Anne Lauvergeon balance sur Sarkozy, Proglio ....et les autres

Par Marie-Caroline Lopez  |   |  834  mots
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A l'occasion de la parution de son livre « La femme qui résiste » (Plon), Anne Lauvergeon dévoile dans une interview à L'Express certaines conversations privées avec le président de la république. Henri Proglio, Alexandre de Juniac en font notamment les frais. Savoureux.

Anne Lauvergeon ne prend pas de gants. Avec une fausse ingénuité, elle raconte dans une interview à L'Express datée du 11 avril, certaines conversations qu'elle aurait eu avec Nicolas Sarkozy. En commençant par un entretien qui aurait eu lieu avant son élection. « Début 2007, il m'avait confié qu'il serait élu, qu'il ne ferait qu'un mandat, puis qu'il irait gagner de l'argent chez Bouygues », déclare-t-elle. Avant d'affirmer que Nicolas Sarkozy cherchait encore à vendre des centrales nucléaires à Kadhafi à l'été 2010.

« Nous jouions à fronts renversés: moi, qui aurais dû pousser à la vente, je m'y opposais vigoureusement, et l'Etat, censé être plus responsable, soutenait cette folie. Imaginez, si on l'avait fait, de quoi nous aurions l'air maintenant ! La vente de nucléaire s'accompagne de la création d'une autorité de sûreté capable d'arrêter la centrale en cas de problème. Or, dans un tel régime, un président de l'autorité de sûreté qui n'obéit pas est au mieux jeté en prison, au pire exécuté ! Pourtant, quelle insistance ! A l'été 2010, j'ai encore eu, à l'Elysée, une séance à ce sujet avec Claude Guéant et Henri Proglio... « , explique-t-elle dans cette interview.

Sarkozy : "Juniac ne sera jamais président d'Air France"
L'ex patronne d'Areva revient également sur le moment où Nicolas Sarkozy lui a proposé un ministère après son élection en 2007. Lequel ? « Celui que je voulais », lance-t-elle. Mais elle a refusé car « Il ne composait pas un gouvernement, il recrutait pour un casting! Je remplissais nombre de cases : femme, monde économique, industrie, international, Mitterrand, moins de 50 ans... et Areva libérée ». La conversation la plus savoureuse : celle qu'elle aurait eu avec le président sortant lorsqu'il lui a annoncé sa non reconduction à la tête d'Areva en juin 2011.

Elle souriait en sortant de cet entretien, parce que, explique-t-elle, « C'était vraiment drôle : par exemple, il m'avait dit que, s'il ne m'avait pas donné la direction d'EDF, c'est parce que je ne la lui avais pas demandée ! Avec le recul, cet entretien me semble plus surréaliste encore : ainsi, il m'a proposé la direction d'Air France, que j'ai refusée, en m'étonnant, puisque Alexandre de Juniac, un de ses grands amis, était candidat pour le poste. Il m'a dit : "Alexandre est un ami, mais il n'a pas le niveau, il ne sera jamais président d'Air France. Il faut être sérieux.", glisse-t-elle.

"pourquoi le patron d'EDF a eu ainsi table ouverte à l'Elysée ?"
Evidemment, Henri Proglio, PDG d'EDF, est épinglé, mais sans révélation particulière, du moins dans cet entretien. Que lui reproche-t-elle ? « A lui personnellement, rien. A ses méthodes, beaucoup de choses. La France a la grande chance de posséder quatre entreprises mondiales dans le domaine énergétique - EDF, GDF-Suez, Total et Areva. Avec Gérard Mestrallet et Christophe de Margerie, nous avions des visions communes et un jeu collectif. Henri Proglio est arrivé en se proclamant capitaine (de l'équipe de France nucléaire), en refusant systématiquement de passer le ballon et en taclant ses coéquipiers. A peine nommé, il a critiqué publiquement la filière, qu'il connaissait fort peu, prônant le démantèlement d'Areva. Pour se sentir aussi fort, il fallait bien qu'un axe d'airain se constitue, fait de politiques et d'intermédiaires afin de servir ses intérêts. ». Et elle lance : « Saura-t-on un jour pourquoi le patron d'EDF a eu ainsi table ouverte à l'Elysée durant tout ce quinquennat? Regardez encore, la semaine dernière, les résultats de l'appel d'offres de l'Etat pour 10 milliards d'euros dans l'éolien offshore ».

Les carences de l'Etat -actionnaire

Enfin, Anne Lauvergeon revient sur les carences de l'Etat actionnaire d'Areva, fil rouge de son livre. « Il nous fallait une augmentation de capital de 3 milliards d'euros. En 2004, Nicolas Sarkozy, ministre des Finances, la décide. Après lui, Hervé Gaymard la confirme, mais n'a pas le temps de la mettre en oeuvre. Puis vinrent Thierry Breton et Dominique de Villepin, qui ont tout suspendu... Enfin, après 2007, il n'y a plus eu de stratégie du tout. On nous a dit qu'il fallait fusionner avec Alstom, puis vendre T & D, puis attendre le rapport Roussely, puis démanteler Areva au profit d'EDF... Toute stratégie cohérente a disparu au profit du court terme et des intérêts d'un clan. Et des intermédiaires ! Je suis passée par l'incrédulité, l'effarement, puis l'indignation... ».
Dernière erreur de Sarkozy sur Areva, selon Atomic Anne : « L'idée selon laquelle c'est EDF qui doit vendre les produits d'Areva. Comme si l'on disait que c'est à Renault de vendre des pneus Michelin aux concurrents de Renault ! Mieux, EDF pouvait vendre aussi, selon son intérêt, des centrales russes ou chinoises ! Quel désordre destructeur ! Tout a été fait stratégiquement pour abîmer un système qui fonctionnait. ». En attendant la publication de son livre, les « bonnes feuilles » seront dans Le Point à paraître jeudi.