Areva bataille pour monter à bord du futur réacteur franco-chinois

Par Marie-Caroline Lopez  |   |  1207  mots
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Areva se bat pour participer au développement du futur réacteur 1000 MW de 3ème génération que EDF va développer avec les Chinois. En interne chez EDF, la montée en puissance des Chinois dans le nucléaire inquiète.

L'enjeu est de taille, surtout pour Areva. Des négociations en cours avec EDF et son partenaire, l'électricien chinois CGNPC, dépend la participation du constructeur nucléaire français au prochain réacteur 3ème génération qu'EDF et son puissant allié chinois tenteront de construire partout dans le monde. Si les trois groupes ont pour objectif de parvenir "avant l'été" à la signature d'un protocole d'accord (Memorandum of understanding), qui posera les bases du développement, tout n'est pas réglé, loin de là. "Nous sommes au milieu du gué", déclare le directeur des réacteurs et services chez Areva, Claude Jaouen.

En fait, la question principale n'est pas encore tranchée. Il s'agit de décider si ce futur réacteur de taille moyenne (1.000 MW, contre 1.600 MW pour l'EPR) sera une "rupture technologique", plus simple et donc moins cher que l'EPR, ou s'il découlera indirectement de l'EPR, via son petit frère Atmea de 1.000 MW, conçu par Areva et Mitsubishi. Pour Areva, il n'est pas question de participer au projet franco-chinois sans partir de l'Atmea.

Un réacteur moins cher à vendre que l'EPR

Le constructeur français y a intérêt s'il veut rentabiliser les 200 millions d'euros déjà investis, avec son associé japonais, pour développer l'Atmea. Mais de toute façon, il ne peut pas faire autrement car il a signé un contrat d'exclusivité sur cette gamme de réacteurs de troisième génération avec Mitsubishi. Côté exploitants (EDF et CGNPC), on verrait en revanche d'un bon ?il un réacteur moins cher, voire beaucoup moins cher que l'EPR estimé aujourd'hui à plus de 6 milliards d'euros. D'autant qu'avec 1.000 MW, les deux électriciens visent des besoins moins importants, en particulier dans les pays émergents, très demandeurs d'atome. Ce développement franco-chinois a été annoncé par Nicolas Sarkozy et le président Hu Jintao fin 2010.

Pour ne pas être exclu de ce projet, Areva dispose de deux arguments de poids : le calendrier et la compétence, en tout cas pour l'instant. "Les Chinois n'ont pas, à ce stade, la capacité de développer vite le c?ur du réacteur sans l'aide d'un chaudiériste français, en tout cas étranger", affirme un spécialiste du secteur. Cela peut changer rapidement puisque les Chinois acquièrent à toute vitesse un véritable savoir faire nucléaire. En 1987, ce sont les Français de Framatome (devenu Areva) qui ont construit la première centrale du pays, à Daya Bay. Depuis 2008, les électriciens chinois, tout seuls, lancent la construction d'un réacteur pratiquement tous les deux mois. Il y avait 28 réacteurs en chantier en 2011, avant Fukushima. Ce sont d'ailleurs principalement des CPR 1000, des réacteurs de deuxième génération conçus sur la base de la technologie française

Pékin veut un nouveau réacteur développé d'ici à 2015

De surcroît, les Chinois sont plutôt pressés. Ils veulent voir naître ce nouveau né d'ici à 2015. Ce qui, selon Areva, exclut la conception d'un nouveau réacteur en partant de zéro. Un nouveau programme exigerait 10 ans. "Ils ont beaucoup de décisions à prendre pour redessiner leur programme nucléaire après Fukushima. Ils doivent notamment décider du nombre de CPR 1000 qui doivent encore être lancés, du nombre de réacteurs de génération 3, du calendrier, du choix du modèle, l'EPR d'Areva ou l'AP 1000 de Westinghouse. Il faut qu'ils y voient clair assez rapidement", commente un bon connaisseur du secteur nucléaire chinois.

Si les trois partenaires se mettent d'accord pour travailler à partir de l'Atmea et d'une version avancée du CPR 1000 ("les deux réacteurs ont 95 % de spécifications communes", affirme une partie prenante des négociations ), Areva pose deux autres préalables à sa participation. "Cet engagement est également soumis, quel que soit le degré de convergence avec Atmea, à des accords industriels et commerciaux à mettre en place, tant pour le marché chinois que celui hors de Chine, avec un réel retour industriel nécessaire pour Areva et l'industrie nucléaire française plus généralement", déclare Claude Jaouen.

En clair, le constructeur français veut être sûr d'obtenir une part significative de l'ingénierie et de la fourniture des composants. Pour les deux EPR en cours de construction à Taishan, Areva et ses fournisseurs européens ont fourni la moitié des composants industriels de l'ilot nucléaire (lui-même ne pesant qu'entre 25 et 33 % de l'investissement global). Et plus de la moitié de l'ingénierie. Autre point clé : la réalité de l'accès au marché intérieur chinois.

Une stratégie chinoise expansionniste dans le nucléaire

La partie est donc loin d'être gagnée pour Areva. L'enjeu commercial est d'autant plus crucial que les Chinois affichent ces derniers temps une stratégie très expansionniste dans le nucléaire. En Turquie, en Afrique du Sud, ils se portent candidats aux appels d'offres en cours. Aux Etats-Unis, CGNPC, le partenaire d'EDF, et CPIC, autre électricien nucléaire chinois, ont signé en mars 2012 des accords avec l'exploitant nucléaire Duke. Objectif : le partage d'expérience et d'informations sur la construction des AP 1000 de Toshiba-Westinghouse et sur l'extension de la durée des vies des centrales, le tout en échangeant du personnel.

Ces accords alimentent la crainte qui monte actuellement chez EDF, de voir les Chinois menacer leurs emplois et ceux d'Areva en France. Inquiétude qui peut parfois virer à la psychose. "Les ingénieurs chinois sont de plus en plus présents sur le chantier EPR de Flamanville", lance un cadre. La sinisation rampante d'EDF, pouvant prendre, selon certains, des formes plus personnelles. "Plusieurs cadres d'EDF en Chine reviennent avec une épouse chinoise", s'inquiète un salarié. L'actuel grand patron de la production électrique chez EDF, Hervé Machenaud, nommé par Henri Proglio, est en effet un grand connaisseur et amateur de la Chine. En poste plusieurs années sur place (sa famille est encore là-bas), il a développé activement un réseau de fournisseurs locaux. "Une chinoise, Song Xudan, va remplacer un Français à la tête de la division Chine", s'émeut un dirigeant.

Henri Proglio assume ce partenariat chinois

"La Chine nous prend tout gratuitement et ne nous donne rien en échange", estime un autre cadre. Ces craintes ont été alimentées ces derniers mois par la publication par le site du Nouvel Obs d'un projet d'accord secret entre EDF et son associé chinois. Selon ce texte, les deux électriciens se promettaient en 2010 d'étudier la participation de CGNPC "aux nouveaux projets nucléaires d'EDF en France et dans d'autres pays comme investisseur et/ou fournisseur de services".

Pour le PDG d'EDF, Henri Proglio, cette stratégie "chinoise" est parfaitement assumée. Il l'encore répété lors de l'assemblée générale des actionnaires jeudi 24 mai. "EDF, Areva et les autres industriels français maintiennent leur compétences industrielles au meilleur niveau en participant aux nouveaux projets en Chine, qui comptent la moitié des réacteurs en construction dans le monde". En clair : soit les Français s'associent, soit les Chinois feront sans eux. Et au passage, EDF n'exclut pas de gagner sur les coûts en ayant recours à des fournisseurs chinois.