Quand l'opposition aux lignes à très haute tension se termine par un séjour en prison

Par Marie-Caroline Lopez  |   |  872  mots
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Deux opposants à la ligne à très haute tension Cotentin-Maine ont été condamnés mardi par le tribunal correctionnel de Coutances (Manche). L'un d'eux écope de trois mois de prison.

L?ambiance reste très tendue autour du chantier de la ligne à très haute tension (THT) Cotentin-Maine, qui doit acheminer notamment l'électricité qui sera produite par le futur réacteur EPR de Flamanville (Manche). Mardi, deux condamnations, dont une peine de prison, ont été prononcées à l?encontre de deux opposants : une amende pour un leader de la Confédération paysanne et trois mois de prison pour un étudiant. La semaine dernière, une agricultrice a porté plainte pour « violence volontaire » contre un ouvrier de ce chantier qui l'a, selon elle, blessée avec une grue.

"Violence aggravée"

Le jeune étudiant a été condamné à la prison pour "violence aggravée" sur deux gendarmes légèrement blessés lors d'une manifestation contre cette THT le 24 juin à Montabot (Manche). L?événement avait donné lieu à des vifs affrontements entre certains militants et les force de l'ordre. Lors de l'audience le 6 août, le parquet avait requis huit mois de prison, estimant que le prévenu "était bien dans le groupe participant aux violences ce jour là" mais qu'il n'était "pas établi" que le militant soit responsable précisément des blessures des deux militaires touchés.
"Le parquet lui-même avait abandonné les poursuites pour les blessures des deux gendarmes. Ce jugement c'est "c'est pas moi, c'est l'autre mais je suis condamné quand même", a estimé son avocat, Me Gervais Marie-Doutressoulle, interrogé par l'AFP. Il a conseillé à son client de faire appel.
Yanic Soubien, vice-président Europe Ecologie les Verts (EELV) au conseil régional de Basse-Normandie, a jugé "scandaleux" cette condamnation. Il "paye pour tout le monde. On peut douter de l'indépendance de la justice à l'égard du lobby industriel", a-t-il réagi.
Le leader de la Confédération paysanne dans la Manche, Michel Houssin, poursuivi de son côté pour avoir dévissé des boulons sur un pylône en construction, a été condamné à payer 2.000 euros d'amende dont 1.000 avec sursis, à 2.500 euros de dédommagement à RTE, la filiale d'EDF qui gère les THT, et à 800 euros de remboursement de frais de justice.

Surmortalité des veaux

A la barre le 19 juin, Michel Houssin avait reconnu avoir, le 18 mars, "symboliquement" déboulonné quatre boulons d'un pylône en construction, à Saint-Martin-d'Aubigny (Manche). Le syndicaliste envisage de faire appel. "La plupart des magistrats font très bien leur travail. Ici (à Coutances) on est dans l'exception dès qu'il s'agit d'Areva ou d'EDF", a affirmé Me Doutressoulle, qui défendait aussi Michel Houssin.
L'ancien porte-parole de la Confédération paysanne François Dufour, vice-président EELV de Basse-Normandie a pour sa part regretté que "le changement dans ce domaine là n'existe pas" malgré l'alternance politique.
Ce chantier pour construire une ligne à très haute tension sur 163 kilomètres suscite beaucoup d?oppositions locales. Certains agriculteurs accusent la ligne de rendre leurs vaches malades. En juin, le tribunal de Caen a ordonné une double expertise dans une affaire qui oppose RTE, la filiale d?EDF qui construit cette ligne, à un agriculteur. Installé à Planquery (Calvados) à 150 mètres d'une ligne à très haute tension (THT), Gilles Hébert, 50 ans, dénonce une surmortalité de ses veaux. Il soutient que ses vaches sont plus souvent malades qu'ailleurs, ce qui l'oblige à jeter du lait. Il réclame 361.000 euros de dommages et intérêts.

Une éleveuse attaquée par une grue

L?opposition est souvent mouvementée. La semaine dernière, une agricultrice a porté plainte mercredi pour violence volontaire contre un ouvrier de ce chantier. "Il m'a littéralement roulé dessus", a déclaré Sylvie Hubert à l'AFP. L'éleveuse installée à Montabot (Manche) s'est, selon elle, retrouvée avec cinq jours d'ITT (interruption temporaire de travail), une luxation de l'épaule et une minerve.
Mme Hubert est la compagne d'Yves Larsonneur, placé en garde à vue pendant plus de 11 heures le 31 juillet pour "opposition" à la construction dans ses champs de deux pylônes de la THT. Le juge des référés doit examiner le 23 août la requête du couple qui estime que ces travaux ne sont pas légaux.
Le couple réclame 600.000 euros à EDF, qui en propose 200.000. Les deux agriculteurs affirment ne pas s'être opposés aux travaux lundi. "On a vu qu'ils avaient des difficultés avec une grue qui s'est renversée. On est allé voir, ça nous a fait rire. Lui n'arrivait pas à redémarrer une autre grue. Quand il y est arrivé, il m'a foncé dessus", a raconté Mme Hubert.

Une surveillance de deux mois dans des arbres
Echauffourées et gardes à vue ne sont pas rares. Début juin, cinq personnes qui empêchaient les camions de pénétrer sur le chantier ont été retenues une dizaine d?heure en garde à vue, dont le maire de Chefresne, Jean-Claude Bossard, qui a organisé pendant plus de deux mois une résistance active sur un de ses champs. Des opposants s?y sont relayés dans des plateformes installées dans les arbres pour surveiller RTE.
Les travaux pour construire cette ligne à très haute tension ont démarré début 2012, pour une mise en service en 2013. Elle doit traverser également l'Ille-et-Vilaine, le Calvados et la Mayenne. 420 pylônes doivent être érigés.