L'énergie à l'aube d'un monde nouveau

Par Dominique Pialot  |   |  879  mots
En quelques années, le coût de l'éolien en mer a été divisé par trois !
Depuis cet été, une avalanche d'annonces illustre une accélération de la compétitivité et du rôle joué par les énergies renouvelables. Celles-ci affichent une croissance insolente et les énergéticiens conventionnels investissent à tour de bras pour mettre un peu de vert dans leur « mix ».

La première centrale solaire sans subventions publiques vient de sortir de terre en Angleterre. Certes, elle bénéficie de conditions particulières qui lui permettent d'abaisser significativement ses coûts. Mais cette nouvelle n'en constitue pas moins une étape marquante sur la route des énergies renouvelables vers la compétitivité face aux autres énergies. Et ce n'est que la dernière nouvelle en date d'une séquence particulièrement dense.

Les chiffres du World Nuclear Industry Status Report, publié le 12 septembre, sont sans appel. Quelque 240 milliards de dollars ont été investis dans les renouvelables en 2016, contre 10 milliards pour le nucléaire. Soit 130 GW de solaire et d'éolien produisant près de 210 térawattheures verts. En comparaison, les 9 gigawatts (GW) de nucléaire ajoutés en 2016 (et leur production de 35 TWh) font pâle figure. Même si les quelque 400 réacteurs installés dans le monde fournissent 10,5 % de l'énergie consommée, la Chine et l'Inde ont produit en 2016 plus d'électricité éolienne que nucléaire.

Les prévisions les plus optimistes n'avaient pas anticipé cette croissance fulgurante, favorisée par un effondrement des coûts. Ceux du solaire ont été divisés par dix en dix ans ! Même pour l'éolien en mer, la plus onéreuse des renouvelables, qui flirtait encore en 2014 avec les 150 £/MWh (soit 170 euros), ils sont tombés à 57,5/ MWh dans les derniers appels d'offres en Mer du Nord. En y ajoutant un back-up pour compenser leur intermittence, on parvient à 70 £, à comparer avec les 92,50 £/MWh concédés par le gouvernement britannique pour le nucléaire d'Hinkley Point.

Prises de participation en série

Aussi, en France (où le gouvernement a annoncé consacrer aux renouvelables 4,9 milliards de son « Grand plan d'investissement ») comme ailleurs, les grandes utilities [entreprises de services aux collectivités, ndlr], qui ont bâti leur fortune sur les énergies fossiles ou le nucléaire, investissent à tour de bras pour mettre un peu de vert dans leur mix. Dernière annonce en date : la prise de participation de 23 % de Total dans Eren Re, le dernier bébé du duo d'entrepreneurs français pionniers du secteur. Pâris Mouratoglou, rejoint en 2004 par David Corchia, avec qui il fait toujours équipe (voir son interview page suivante), avait déjà créé une entreprise dans laquelle avait investi EDF, jusqu'à en prendre le contrôle complet en 2011.

Le rachat par Total du fabricant américain de panneaux solaires SunPower en 2011 ou celui de Solaire Direct par Engie en 2015 étaient les premiers signaux de taille d'un mouvement qui s'est fortement accéléré ces derniers mois. En juin, EDF Énergies Nouvelles mettait la main sur 67 % du spécialiste de l'éolien Futuren (ex-Theolia) pour 320 millions d'euros, une première étape avant une OPA pour acquérir le solde. En juillet, le troisième distributeur français d'électricité et de gaz, Direct Énergie, levait 130 millions d'euros pour financer le rachat du producteur d'énergies renouvelables Quadran, acquis pour un montant global de 303 millions d'euros.

Accord avec l'indien Abraaj

Engie, dont les énergies décarbonées et décentralisées représentent déjà 20 % de l'activité, a rendu public il y a quelques jours son accord avec l'indien Abraaj, pour développer ensemble un portefeuille de 1 gigawatt d'éolien, dans un pays qui compte faire progresser son parc installé de 32 GW en 2016 à 60 GW en 2022. L'ex-GDF-Suez a également annoncé son troisième green bond [émission d'obligations destinée à financer des actions environnementales], pour un montant de 1,25 milliard.

Pour Total, qui a également acquis 100 % de Greenflex, qui accompagne les entreprises dans leur transition sociétale et environnementale, l'entrée au capital d'Eren Re vient couronner une séquence qui l'a vu racheter le fabricant de batteries Saft pour 950 millions d'euros en mai 2016, puis mettre un pied dans l'électricité en juin en s'emparant du fournisseur belge de gaz et d'électricité Lampiris, moyennant 200 millions. Eren Re, avec ses objectifs de 3 GW en 2022, représente un atout de poids pour Total qui vise 5 GW d'électricité verte à cet horizon. Pour autant, et bien que sa feuille de route prévoie que 20 % de son chiffre d'affaires résulte en 2035 d'activités « nouvelles « (gaz, électricité et énergies renouvelables), Total vient d'annoncer de gros investissements dans son activité historique, notamment le rachat en août de Maersk Oil pour 7,45 milliards de dollars.

Une goutte d'eau dans le "mix"

Qui qu'il en soit les renouvelables deviennent toujours plus incontournables dans la stratégie de ces grands de l'énergie. Ainsi EDF (par ailleurs précurseur avec le rachat de SIIF Énergies en 2011), présente désormais le nucléaire comme le complément indispensable aux énergies renouvelables en France (voir page 6). Tandis que, pour l'Agence internationale de l'énergie, c'était le gaz qui était promis à un avenir glorieux, en tant qu'énergie de la transition par excellence, plus flexible que le nucléaire et deux fois moins émettrice de CO2 que le charbon - des arguments rappelés récemment par les professionnels du gaz lors de leur congrès à Paris.

Si les énergies renouvelables ne sont encore qu'une goutte d'eau dans le mix énergétique mondial, et si les promoteurs d'une solution 100 % renouvelables apparaissent encore comme une poignée d'idéalistes, nul ne peut plus se permettre d'en ignorer la progression.