Nucléaire et renouvelables, le « en même temps » de la décarbonation

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1531  mots
(Crédits : iStock)
ÉDITO - Alors que le nucléaire revient en grâce à l'échelle de la planète, notamment en France avec l'examen à partir de ce lundi à l'Assemblée nationale du projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs, La Tribune consacre un dossier spécial d'une centaine de pages sur la revanche de l'atome.

Chères lectrices, chers lecteurs,

Vous en avez l'habitude. La Tribune accompagne régulièrement son offre quotidienne d'un format unique dans l'univers de la presse numérique : un dossier de fond sur un sujet de transformation économique et/ou sociale, voire sociétale, ou encore environnementale. Une enquête complète, avec une multitude d'angles, d'exemples et de témoignages pour décrypter les enjeux d'une thématique au cœur de l'actualité.

Après notre dernière édition sur les chamboulements de la mondialisation provoquée par la guerre en Ukraine, nous avons décidé d'aborder la question du nucléaire, et plus précisément les conditions et les conséquences de son retour en grâce à l'échelle de la planète après sa traversée du désert qui a suivi la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011. Le sujet est sensible. Notamment en Europe où il déchire l'Union européenne, la société civile des différents pays, les partis politiques, et même les écologistes, divisés entre les partisans de cette énergie décarbonée pour lutter contre le réchauffement climatique, et ses opposants qui la jugent, au contraire, nocive pour l'environnement en raison des déchets radioactifs qu'elle rejette, mais aussi risquée malgré son très haut niveau de sûreté. Un discours renforcé par la découverte de nouvelles fissures sur plusieurs réacteurs d'EDF, même si celles-ci se situent au bas de l'échelle des risques nucléaires élaborée par les instances internationales.

Pourquoi un tel dossier ?

Tout d'abord, parce que la décarbonation de l'économie et la lutte contre le dérèglement climatique sont au cœur des priorités de La Tribune. Et que le nucléaire, qui n'émet pas de C02, sera l'une des composantes clés, aux côtés des énergies solaires, éoliennes, hydrauliques mais aussi du gaz vert, pour tenter d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Avec en filigrane, l'espoir (encore) de limiter le réchauffement de la planète en dessous de 2 degrés (1,5°de préférence) à la fin du siècle par rapport à l'ère préindustrielle, fixé par l'Accord de Paris en 2015. Les scénarios « 100% renouvelables » seront, en effet, incapables de répondre au doublement attendu de la consommation mondiale d'électricité d'ici à 2050 lié à la croissance de la population, du niveau de vie et de l'électrification des usages. Tous les scénarios du GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) ne disent pas autre chose et incluent l'atome parmi les solutions à mettre en place pour générer de l'électricité ou de l'hydrogène décarboné. La production nucléaire devrait par conséquent doubler d'ici à 2050, selon l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA),

Ensuite, parce que le nucléaire est également au cœur des enjeux économiques, politiques, géopolitiques et sociétaux de la planète. Constaté dès la COP 26 de Glasgow, fin 2021 pour ses atouts climatiques, le regain d'intérêt pour l'atome s'est surtout confirmé quelques semaines plus tard en Europe avec la guerre en Ukraine. Mais pour des raisons de souveraineté énergétique cette fois, après la décision des pays occidentaux de s'affranchir des hydrocarbures russes. Une mesure qui a mis à nu l'hyper dépendance de l'Union européenne à la Russie et qui a provoqué dans l'urgence des décisions favorables au nucléaire. Des pays qui avaient prévu d'en sortir ont repoussé l'échéance, d'autres, restés à l'écart jusqu'ici, ont franchi le pas, tandis que certains, qui jouissaient d'une longue expérience dans l'atome, ont décidé d'accélérer. Une voie sur laquelle s'est même engagé le Japon.

Enfin, parce que le nucléaire occupe une place particulière dans l'Hexagone. Avec une production représentant plus de 70% de son mix électrique, la France est le pays le plus nucléarisé du monde. Le résultat d'une longue histoire industrielle, commencée après la Seconde Guerre mondiale, érigée en fierté nationale -au même titre que l'aéronautique avec le Concorde- quand l'atome a garanti l'indépendance énergétique du pays, pourtant moins bien loti en sources d'énergie que ses voisins allemands ou britanniques. Une histoire dont la fin se dessinait quand François Hollande a décidé en 2015, quelques mois avant l'Accord de Paris pour le climat, de réduire la part du nucléaire à 50% du mix électrique français en 2025.

Une promesse de campagne reprise à son compte mais repoussée à 2035 par son successeur, Emmanuel Macron, avant que ce dernier ne fasse volte-face à quelques semaines de la fin de son mandat en lançant le 10 février 2022 à Belfort... le plus gros programme électronucléaire du monde occidental depuis 40 ans. Un cap pour assurer la souveraineté énergétique de la France et par ricochet la réindustrialisation du pays, qui a besoin d'une énergie abondante, décarbonée et bon marché pour sa compétitivité. Une souveraineté qui ne sera, néanmoins, jamais parfaite au regard de notre dépendance au combustible.

Si elle prendra du temps, la relance du nucléaire tricolore est déjà en marche sur le plan législatif. Certes, moins médiatique que la réforme des retraites, elle n'en demeure pas moins sous les feux des projecteurs avec l'arrivée ce lundi à l'Assemblée nationale de l'examen en première lecture du projet de loi adopté au Sénat favorisant l'accélération de la construction de nouveaux réacteurs. Un texte qui s'accompagne par ailleurs d'un amendement controversé : la suppression du plafonnement à 50% de la part de l'atome dans le mix électrique d'ici à 2035. Ce projet de développement, et son frère jumeau dans les énergies renouvelables (bien que décevant sauf dans l'éolien off-shore), ouvriront la voie d'ici à l'été à un projet de loi de programmation énergétique, censé définir la nouvelle trajectoire de chacune des énergies.

A l'Assemblée nationale, ce calendrier se télescope d'ailleurs avec celui des travaux de la commission d'enquête parlementaire, qui, depuis des mois, tente de reconstituer le film de l'impensable perte d'indépendance énergétique de la France observée depuis la fin de l'année 2021 avec la multitude de réacteurs mis à l'arrêt pour des problèmes de corrosion sous contrainte. Une introspection de haut vol qui met en lumière une décennie de politique énergétique davantage dictée par des considérations politiques ou tactiques que par des motivations environnementales ou de souveraineté. Mais cet accident industriel rappelle aussi que la complexité du nucléaire est source de vulnérabilité. Et que l'on ne peut, par conséquent, mettre tous nos œufs dans le même panier.

Pour décrypter les enjeux de cette relance du nucléaire mais aussi les dessous de ce secteur d'activité ultra-stratégique et son impact sur les régions françaises, La Tribune a décidé de mobiliser l'ensemble de sa rédaction à Paris et dans les bureaux régionaux pour réaliser ce numéro hors-série exceptionnel d'une centaine de pages, dans lequel vous trouverez notamment :

- une enquête sur le retour en grâce de l'atome au niveau mondial que nous vous proposons de découvrir en accès gratuit.

- deux autres sur les stratégies du leader mondial du nucléaire, le groupe russe Rosatom, et son rival américain Westinghouse.

- Une analyse du marché de l'uranium et un décryptage sur les accords entre EDF et Rosatom sur l'approvisionnement de l'uranium retraité.

- Un entretien avec Pierre Gadonneix, ancien PDG d'EDF de 2004 à 2009 et président d'honneur de l'électricien dans lequel il détaille les conditions pour réussir le plan de relance du nucléaire.

- Un portrait de Joël Barre, l'ancien directeur général de l'armement, nommé délégué interministériel au Nouveau Nucléaire pour piloter la relance de l'atome.

- Un reportage à Bure, en Moselle, dans le centre témoin d'enfouissement des déchets radioactifs.

- Deux décryptages sur les deux obstacles colossaux à surmonter : le financement et le recrutement.

- Une analyse des déboires de l'EPR.

- Un chapitre consacré au nucléaire de demain avec non seulement les pistes à l'étude mais aussi un portrait des startups qui émergent dans ce secteur.

- Un focus sur le marché des petites centrales.

- Cinq enquêtes en région, dont une sur la bataille des communes proches de la centrale de Penly (lieu des deux premiers EPR2) qui veulent elles aussi bénéficier de la rente du nucléaire, ou encore une sur les difficultés de Gravelines à boucler les fins de mois malgré la manne que lui verse la plus grande centrale de France.

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