
La série noire continue pour EDF. Deux jours à peine après la découverte d'une fissure « importante » sur le premier réacteur de Penly (Seine-Maritime), l'électricien a également une autre fissure, sur le circuit d'injection de sécurité de Penly 2. Cette deuxième fissure inattendue n'est, cette fois, pas liée à un phénomène de corrosion sous contrainte, mais à la fatigue thermique. Il s'agit d'une sollicitation thermomécanique dans laquelle une pièce est soumise à d'importantes variations de température. Sa profondeur maximale est de 12 millimètres, précise EDF. Elle est donc moins importante que la première fissure observée sur Penly 1, mais reste plus grande que les microfissures détectées sur les autres réacteurs. Un défaut similaire de fatigue thermique a également été repéré sur Cattenom 3.
« Cet évènement n'a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l'environnement. Néanmoins, il affecte la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. En raison de ses conséquences potentielles et de l'augmentation de probabilité d'une rupture, l'ASN le classe au niveau 2 de l'échelle INES en ce qui concerne le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Penly et au niveau 1 pour les autres réacteurs concernés », précise l'agence de sûreté nucléaire, en ajoutant que « plus de 150 soudures ont fait l'objet d'expertises en laboratoire et les contrôles se poursuivaient, avec un programme de contrôle de l'ensemble des réacteurs à partir de 2023. »
Le sort s'acharne donc sur EDF. Alors que l'électricien pensait que le plus gros de la crise était derrière lui après avoir traversé une année noire en 2022, en raison notamment d'un problème de corrosion sous contrainte qui lui a coûté près de 30 milliards d'euros, l'année 2023 pourrait, elle aussi, être minée par ce phénomène.
Apparu fin 2021, ce défaut se matérialisait jusqu'à présent par l'apparition de microfissures sur un circuit de secours situé au sein de la zone radioactive. D'après l'investigation menée par EDF, 16 réacteurs y sont particulièrement sensibles. Ce sont les 16 réacteurs les plus récents du parc, dont le design, c'est-à-dire la géométrie de la tuyauterie, est un peu plus complexe. Dans le détail, il s'agit des réacteurs du palier dit N4, (Chooz B1 et B2 et Civaux 1 et 2) ainsi que les 12 réacteurs du palier P'4, c'est-à-dire les réacteurs de 1.300 MW les plus récents.
Or, lors de contrôles menés sur le réacteur 1 de la centrale de Penly (Normandie) d'une puissance de 1300 MW, le groupe tricolore a décelé, fin février, une nouvelle fissure plus grande que prévu. De quoi plonger l'électricien, déjà en grandes difficultés financières, dans une nouvelle inconnue. Le point en six questions.
1- En quoi cette fissure est-elle si particulière ?
Jusqu'à présent, dans le cadre du phénomène de corrosion sous contrainte détecté en octobre 2021, les plus grandes fissures observées sur les tuyauteries des réacteurs des paliers P'4 et N4 étaient de 6,5 millimètres sur une épaisseur d'un peu moins de 3 centimètres (26 millimètres très exactement). « Il s'agissait de fissures anormales, mais qui ne remettaient pas en cause la tenue des tuyauteries », explique Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
La fissure détectée sur le réacteur de Penly 1 est, elle, significative. Elle s'étend sur 155 mm, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie. Elle est aussi profonde de 23 millimètres sur une épaisseur de 27 millimètres. « Il ne reste que 4 millimètres avant que cela ne lâche. EDF ne peut donc plus garantir l'intégrité de sa tuyauterie, c'est-à-dire le fait que ça ne va pas fuir », explique Karine Herviou. Autrement dit, cette fissure aurait pu conduire à une fuite alors qu'une eau à 150 bars, soit une pression très importante, circule dans ces tuyaux.
Le seul événement plus ou moins comparable remonte à 1998. « Il y a eu une fuite sur le circuit de refroidissement de la centrale de Civaux et donc une fissure, non pas due à de la corrosion sous contrainte, mais à de la fatigue thermique », rappelle Karine Herviou. « La fissure était traversante », précise-t-elle.
Par ailleurs, si la fissure se trouve sur le circuit d'injection de sécurité (RIS), comme les fissures précédemment observées dans le cadre du phénomène de corrosion sous contrainte, elle ne se situe pas sur la même ligne. La fissure de Penly 1 s'est formée sur les lignes qui sont connectées à la branche chaude du système d'injection alors que les précédentes fissures ont été observées sur les lignes connectées à la branche froide. « La fissure de 23 millimètres de profondeur se situe dans une zone qui était considérée par EDF comme peu sensible au phénomène de corrosion sous contrainte », pointe la directrice générale adjointe de l'IRSN.
2 - Quelle est la cause de cette fissure ?
Cet imprévu s'explique en grande partie par les causes à l'origine de cette fissure significative. Le phénomène de corrosion sous contrainte observé jusqu'à présent était directement lié à la géométrie complexe des lignes du circuit d'injection de sécurité. Dans le cas de Penly 1, EDF estime que la fissure est liée à la double réparation de la tuyauterie qui a eu lieu au moment de la construction de la centrale à la fin des années 80's.
« La première réparation a consisté en un réalignement des tuyauteries. Il a fallu exercer une contrainte pour mettre les tuyaux face à face et les aligner. Ce qui est une très mauvaise pratique », estime Karine Herviou.
« Il y a eu une approche qui n'est pas acceptable, qui a consisté un peu à forcer les tuyauteries pour les aligner pour les souder, et il y a eu sur cette soudure des défauts qui ont conduit à une deuxième réparation », a, pour sa part, expliqué mercredi le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk, au Sénat.
« On peut donc s'interroger sur l'existence d'un problème de conception. Le dessin de ces lignes a-t-il été mal fait au moment de la conception ?», questionne Karine Herviou.
Pour rappel, seuls les 32 réacteurs de 900 MW sont de conception américaine (Westinghouse), les autres paliers, dont les deux paliers concernés par le phénomène de corrosion sous contrainte, sont de conception française. Interrogée sur les entreprises à l'origine du design de ces tuyauteries, EDF n'a pas souhaité faire de commentaire.
3 - Y a-t-il un risque de constater des fissures similaires sur d'autres réacteurs ?
« Aujourd'hui, on ne sait pas si d'autres réacteurs sont concernés, mais il y a bien un risque que ce phénomène puisse se reproduire ailleurs », confirme Karine Herviou.
« Ce phénomène peut potentiellement concerner l'ensemble des réacteurs, car tous présentent des soudures réparées. Les résultats des contrôles à venir permettront d'en évaluer l'ampleur », répond pour sa part l'ASN. « A ce stade, il n'a pas été mis en évidence de cas similaire à celui de cette soudure de Penly 1 sur d'autres réacteurs », précise toutefois le gendarme du nucléaire.
4 - Que demande le gendarme du nucléaire à EDF ?
L'ASN a demandé à EDF de réviser sa stratégie de contrôle des soudures. L'électricien procède ainsi actuellement au recensement des soudures concernées par des réparations sur l'ensemble des réacteurs. « L'ASN attend notamment qu'EDF repriorise ses contrôles pour tenir compte des enjeux de sûreté plus importants concernant les soudures réparées », précise le gendarme du nucléaire. La présentation de cette stratégie est attendue pour les prochains jours. L'ASN devra ensuite prendre position, sans toutefois saisir l'IRSN. Elle ne l'avait en tout cas pas saisi dans le cadre de la première stratégie de contrôle présentée par EDF.
Pour rappel, EDF a annoncé, en septembre dernier, procéder à des réparations systématiques sur les 16 réacteurs français qu'il avait identifiés comme sensibles au phénomène de corrosion sous contrainte. Les travaux sont en cours ou prévus en 2023 pour 10 d'entre eux.
5 - Quels impacts sur les prévisions de production en 2023 ?
C'est la grande inconnue de cet incident. « EDF va-t-il procéder à ces contrôles et potentielles réparations pendant les arrêts déjà programmés ou va-t-il décider d'anticiper les arrêts ? », interroge Karine Herviou.
Cette fissure hors norme devrait vraisemblablement entraîner la prolongation d'arrêts sur d'autres sites, pour des contrôles étendus, mais il ne devrait « pas y avoir d'arrêts massifs », a indiqué à l'AFP Julien Collet, le directeur général adjoint de l'ASN.
« A ce stade, la fourchette de production située entre 300 et 330 TWh, demeure inchangée », a déclaré EDF à La Tribune.
Une baisse de la fourchette de production serait une très mauvaise nouvelle pour EDF. En 2022, cette crise industrielle avait contribué à faire chuter la production d'électricité nucléaire à son plus bas niveau historique, en pleine crise énergétique, et à creuser les pertes de l'électricien (17,9 milliards d'euros).
6 - Quel risque cette fissure représente pour l'environnement et les populations ?
L'eau qui circule dans le circuit d'injection de sécurité est une eau légèrement radioactive car elle passe à proximité des ensembles combustibles. Toutefois, en cas de fuite, « il n'y a pas de risque pour l'environnement, ni de rejet pour les populations », assure Karine Herviou. Au sein d'un réacteur, la sûreté est, en effet, assurée par trois barrières de confinement : la gaine qui entoure les pastilles de combustible, l'enveloppe du circuit et, enfin, l'enceinte en béton. Dans le cas présent, le risque de fuite se situe uniquement au niveau de l'enveloppe autour du circuit.
La fissure observée à Penly 1 a été caractérisée comme incident de niveau 2 sur l'échelle Ines, mise en place après l'accident de Tchernobyl. « Les événements de niveau 2 s'observent une à deux fois maximum par an. C'est donc un événement marquant, même s'il n'a pas eu de conséquences sur le site», commente Karine Herviou. En effet, Penly 1 est à l'arrêt depuis près d'un an (22 mars 2022) en raison de sa troisième visite décennale. Il doit de nouveau être connecté au réseau le 2 mai prochain. D'ici là, la réparation de la tuyauterie concernée sera effectuée.
Sujets les + commentés