Fukushima : le Japon va rejeter dans le Pacifique 1 million de tonnes d'eau contaminée au tritium, la Chine en colère

Par Harumi Ozawa, Mathias Cena / AFP  |   |  900  mots
Ces quelque 1,25 million de tonnes d'eau contaminée par la radioactivité, stockées tout autour de la centrale, ont été retraitées par filtration à plusieurs reprises pour la débarrasser de la plupart des substances radioactives (radionucléides), mais pas du tritium, lequel ne peut pas être éliminé avec les techniques actuelles. Cette photo du 1er mars 2013 montre quelques-uns des réservoirs de ces rejets liquides. (Crédits : Reuters/Kyodo)
Environ 1,25 million de tonnes d'eau contaminée sont actuellement stockées dans plus d'un millier de citernes tout autour de la centrale nucléaire. Ces rejets radioactifs liquides proviennent notamment des injections d'eau nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs entrés en fusion après le gigantesque tsunami du 11 mars 2011. La décision de la rejeter progressivement dans l'Océan Pacifique met fin à sept années de débats sur la manière de se débarrasser de ces déchets, mais ravive le mécontentement des pêcheurs et agriculteurs japonais comme chez les pays riverains.

Le Japon va rejeter à la mer, après traitement, plus d'un million de tonnes d'eau issue de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, a annoncé mardi le gouvernement nippon, malgré l'opposition dans des pays voisins, dont la Chine, et des communautés locales de pêcheurs.

Cette décision met fin à sept années de débats sur la manière de se débarrasser de l'eau provenant de la pluie, des nappes souterraines ou des injections nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs nucléaires entrés en fusion après le gigantesque tsunami du 11 mars 2011.

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Eaux retraitées sauf pour le tritium qu'on ne sait pas éliminer

Environ 1,25 million de tonnes d'eau contaminée sont actuellement stockées dans plus d'un millier de citernes près de la centrale accidentée il y a dix ans dans le nord-est du Japon.

L'eau sera rejetée "après nous être assurés qu'elle est à un niveau (de substances radioactives, NDLR) nettement en-dessous des normes de sécurité", a déclaré mardi le Premier ministre Yoshihide Suga, ajoutant que le gouvernement japonais prendrait "des mesures" pour empêcher que cela n'entache la réputation de la région.

Une décision était d'autant plus urgente que l'eau s'accumule rapidement: en 2020, le site a généré chaque jour environ 140 mètres cube d'eau contaminée. Les limites de la capacité de stockage sur place pourraient être atteintes dès l'automne 2022, selon Tepco, l'opérateur de la centrale.

L'eau destinée à être relâchée dans cette opération, qui ne devrait pas commencer avant deux ans et pourrait prendre des décennies, a été filtrée à plusieurs reprises pour être débarrassée de la plupart de ses substances radioactives (radionucléides), mais pas du tritium, lequel ne peut pas être éliminé avec les techniques actuelles.

Aggravation de la suspicion des consommateurs sur leur alimentation

Cette option, privilégiée au détriment d'autres scénarios, comme une évaporation dans l'air ou un stockage durable, est très contestée par les pêcheurs et agriculteurs de Fukushima qui redoutent que cela n'affecte davantage l'image de leurs produits auprès des consommateurs.

"La gestion de l'eau contaminée est une question qu'on ne peut pas éviter" dans la reconstruction à Fukushima, avait déclaré M. Suga la semaine dernière après sa rencontre avec le dirigeant de la Fédération des coopératives de pêche du Japon, vent debout contre le projet.

Pour les pêcheurs japonais, le gouvernement a menti

Le gouvernement "nous a dit qu'il ne rejetterait pas l'eau (à la mer, NDLR) sans l'adhésion des pêcheurs", a déclaré mardi Kanji Tachiya, responsable d'une coopérative locale de pêche à Fukushima, juste avant l'annonce de la décision.

"Maintenant, ils reviennent là-dessus et nous disent qu'ils vont rejeter l'eau, c'est incompréhensible", a-t-il ajouté.

"Le gouvernement japonais a une fois de plus laissé tomber les gens de Fukushima", a réagi mardi Greenpeace, fustigeant une "décision complètement injustifiée de contaminer délibérément l'océan Pacifique avec des résidus nucléaires".

L'organisation environnementale a répété son appel à poursuivre le stockage de l'eau jusqu'à ce que la technologie permette de la décontaminer complètement.

Soutien scientifique à la "dilution en mer"

Début 2020, des experts commissionnés par le gouvernement avaient recommandé le rejet en mer, une pratique déjà existante au Japon et à l'étranger sur des installations nucléaires en activité.

"Il y a un consensus parmi les scientifiques sur le fait que l'impact sur la santé [d'un rejet en mer de l'eau tritiée, Ndlr] est minuscule", a déclaré à l'AFP Michiaki Kai, professeur et expert des risques des radiations à l'université des sciences de la santé d'Oita (sud-ouest du Japon).

L'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) plaide aussi pour l'option d'une dilution en mer.

"Nous prenons la décision (du gouvernement) au sérieux", a déclaré mardi Tomoaki Kobayakawa, le patron de Tepco, s'engageant à prendre "des mesures pour empêcher que des rumeurs néfastes ne circulent" à l'encontre de l'agriculture, des forêts, de la pêche et du tourisme locaux.

Une décision qualifiée "d'extrêmement irresponsable" par la Chine

Les voisins du Japon, avec qui Tokyo entretient des relations houleuses sur fond de contentieux historiques, ont manifesté leur mécontentement.

La Chine a qualifié mardi "d'extrêmement irresponsable" l'approche du Japon qui "va gravement nuire à la santé et à la sûreté publiques dans le monde, ainsi qu'aux intérêts vitaux des pays voisins".

La Corée du Sud conteste aussi, mais les États-Unis soutiennent

La Corée du Sud a exprimé de "vifs regrets" après cette décision qui représente "un risque pour l'environnement maritime". Séoul n'a toujours pas digéré une précédente décision de rejeter en mer des paquets d'eau radioactive juste après l'accident de Fukushima, sans lui avoir demandé son avis.

Le gouvernement américain, allié de Tokyo, a cependant exprimé son soutien à l'opération, notant que le Japon avait "pesé les options et les effets, avait été transparent dans sa décision et sembl(ait) avoir adopté une approche en accord avec les normes de sûreté nucléaire internationalement reconnues".