Comment Fukushima a permis à Veolia de se renforcer dans la robotique nucléaire

FUKUSHIMA, DIX ANS APRES - Épisode 6/7. Présent depuis 2011 à Fukushima pour participer à la décontamination et au démantèlement du site, Veolia y a développé de nouvelles technologies, notamment robotiques. Il espère pouvoir les déployer dans de nouveaux marchés.
Giulietta Gamberini
Le secteur du nucléaire demande, pour des raisons de sécurité, de recourir à des robots privés d'électronique et d'hydraulique, que nous produisons aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Et au Japon, où pourtant les robots sont partout, cette technologie particulière est peu présente, explique Veolia.
"Le secteur du nucléaire demande, pour des raisons de sécurité, de recourir à des robots privés d'électronique et d'hydraulique, que nous produisons aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Et au Japon, où pourtant les robots sont partout, cette technologie particulière est peu présente", explique Veolia. (Crédits : DR)

Il est l'un des rares industriels français à avoir été présent sur site, et ce dès le lendemain de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Dix ans plus tard Veolia, géant mondial de l'eau et des déchets, non seulement travaille toujours avec Tokyo Electric Power Company (Tepco), la multinationale japonaise qui exploitait la centrale et qui aujourd'hui est responsable de son démantèlement. Sa filiale dédiée aux activités du groupe dans l'assainissement nucléaire, Veolia Nuclear Solutions (VNS), commence aussi à tirer les bénéfices de cette expérience inédite sur d'autres marchés.

"L'expérience de Fukushima a conforté notre modèle, fondé sur l'apport de technologies, et de l'expertise associée, aux opérateurs locaux en charge du démantèlement", résume Jean-François Nogrette, vice-président de Veolia Technologies & Contracting, zone regroupant les "activités de spécialités mondiales" du groupe à laquelle appartient VNS.

De l'agilité pour s'adapter à l'urgence

Les premières interventions de Veolia à Fukushima ont eu lieu dès 2011, alors que VNS, créé en 2013, n'existait pas encore. "Nous étions déjà présents au Japon dans le secteur de l'eau, et Tepco avait besoin d'une solution rapide pour décontaminer l'eau utilisée pour refroidir les réacteurs", raconte Jean-François Nogrette. Sollicité avec Areva, Veolia s'est alors employé à adapter à cette mission particulière une technologie que le groupe utilisait déjà pour le traitement de l'eau dans le pays.

La technique télé-opérée ainsi déployée en 6-8 semaines, le temps exigé par Tepco, a permis d'extraire le césium, un isotope très radioactif, de plus de 370.000 mètres cubes d'eau. L'agilité ainsi démontrée par le groupe, alors que le temps pour concevoir une technologie inédite faisait défaut, lui a permis d'établir une relation de confiance avec Tepco, ainsi qu'avec d'autres partenaires sur place, tels que Mitsubishi et Toshiba, analyse Jean-François Nogrette.

Entre 2013 et 2015, VNS a d'ailleurs été appelé à poursuivre la mission de décontamination de cette eau stockée à Fukushima, afin d'en extraire, en partenariat avec Mitsubishi et Toshiba, un autre élément radioactif, le strontium. L'entreprise a cette fois pu construire et livrer un système de traitement mobile conçu ad hoc, susceptible d'être déplacé entre les cuves. Toshiba, qui aujourd'hui assure la gestion de l'eau, toujours stockée sur site car encore chargée en tritium, continue d'ailleurs de se servir de cette technologie.

Un robot dans le réacteur en 2014

Si ces premières expériences ont permis de conforter la stratégie de VNS fondée sur l'apport de valeur ajoutée technologique, ce choix a davantage été renforcé après 2014. A partir de cette date, c'est en effet surtout grâce à la robotique que l'entreprise a pu continuer de trouver sa place à Fukushima.

"Le secteur du nucléaire demande, pour des raisons de sécurité, de recourir à des robots privés d'électronique et d'hydraulique, que nous produisons aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Et au Japon, où pourtant les robots sont partout, cette technologie particulière est peu présente", explique Jean-François Nogrette.

Une première unité a été fournie à Tepco en 2014: un robot chargé d'inspecter le réacteur numéro 2 afin de faire état des dégâts de l'explosion et de l'existence d'éventuels risques de fuites. Grand comme un frigo, mais équipé d'un bras de cinq mètres, pouvant bouger horizontalement comme verticalement, il pouvait être télé-opéré de très loin, décrit Veolia. Conçu, fabriqué et expédié en 13 mois, il a fait sa première entrée dans le réacteur en 2014.

Des capteurs et logiciels pour cartographier le réacteur

VNS travaille à présent sur un nouveau robot qui devrait être finalisé en juin prochain, et qui représente une nouvelle avancée de sa technologie. Equipé d'un bras de 25-30 mètres, assisté par un autre petit robot chargé d'en assurer la maintenance à distance, il sera surtout assorti de capteurs et logiciels lui permettant de détecter des formes. L'objectif est de créer une maquette en 3D du réacteur, de localiser les débris, d'en établir une cartographie précise en vue du démantèlement. Après un transfert de connaissances à Mitsubishi et Tepco, il devrait pouvoir opérer dès janvier 2022.

"Dans les deux cas, il s'agit de prototypes adaptés spécifiquement aux distances, à la charge radioactive, mais surtout au caractère inconnu des lieux de la centrale, détruits par l'explosion", souligne Veolia.

Un nouveau robot à venir pour chercher les débris

Dans le cadre de la relations partenariale ainsi établie avec Tepco, la robotique semble également représenter l'essentiel de l'avenir de Veolia à Fukushima. L'étape suivante devrait en effet consister dans la construction, en fonction des résultats de la cartographie 3D, d'un plus gros robot chargé de chercher les débris du combustible, espère le groupe.

Une fois les opérations de démantèlement de Fukushima commencées, VNS compte toutefois aussi travailler, dans un horizon de 5-8 ans, sur la vitrification des déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue. Une technologie que, depuis l'acquisition en 2016 de Kurion, start-up californienne spécialiste des technologies d'assainissement nucléaire -dont l'expertise est complémentaire à l'ancien savoir-faire de Veolia en matière de déchets dangereux-, l'entreprise développe en Europe comme aux Etats-Unis, où un site dédié est en cours d'ouverture au Texas.

Lire aussi: Le lourd héritage des déchets du nucléaire

Des robots aussi pour les raffineries

L'innovation robotique développée par VNS commence d'ailleurs déjà à trouver des marchés en dehors du secteur nucléaire, souligne Jean-François Nogrette: par exemple, dans des raffineries, où l'on recherche des technologies permettant d'effectuer certaines tâches sans présence humaine. Dès septembre prochain, Veolia espère finaliser un robot, inspiré de ses frères japonais, destiné au nettoyage des colonnes de distillation catalytique du pétrole.

Mais la présence à Fukushima favorisera sans doute aussi VNS face au très prometteur marché du démantèlement nucléaire, qu'une étude publiée le 17 mars 2020 par le cabinet Roland Berger avec le groupe d'ingénierie Assystem a évalué à 95 milliards d'euros ne serait-ce qu'en Europe entre 2020 et 2050.

"L'expertise de Veolia en matière d'assistance robotisée a notamment été renforcée par l'expérience à Fukushima", note Jean-François Nogrette.

Lire aussi: Nucléaire : démantèlement, dépollution, déchets... un savoir-faire français

Et le software que VNS développe en vue de la cartographie 3D du réacteur japonais semble aussi avoir un avenir dans le cadre de la co-entreprise créée en 2019 par Veolia avec EDF, Graphitech, afin de développer les technologies et l'ingénierie nécessaires au démantèlement des réacteurs nucléaires les plus anciens, de technologie graphite. Au monde, on en compte une soixantaine: en France, au Royaume Uni, en Espagne, en Italie, en Lituanie et... au Japon.

Lire aussi: Quel sort pour les déchets les moins radioactifs ?

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Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 11/03/2021 à 10:26
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Ouais mais bon, les robots n'arrivent toujours pas à s'approcher assez près du combustible nucléaire en fusion pour en savoir plus. Mais bon on nous vend bien de l'intelligence artificielle qui n'en est pas hein...

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