Ukraine : première sanction face à Moscou, l'Allemagne suspend le gazoduc Nord Stream 2

Par latribune.fr  |   |  1122  mots
"Sans cette certification, Nord Stream 2 ne peut pas être mis en service". (Crédits : POOL)
Brandie depuis plusieurs mois par l'administration américaine, la menace de suspension du projet de gazoduc géant reliant la Russie à l'Europe a été mise à exécution suite à l'avancée de Vladimir Poutine dans les territoires indépendantistes du Donbass, situés en Ukraine. Au-delà des questions géopolitiques se jouent des enjeux économiques majeurs, notamment pour le groupe Engie qui redoutait cette "mauvaise nouvelle". En outre, le projet a été cofinancé par cinq groupes énergétiques européens, dont l'industriel français.

Le projet est au coeur de la crise russo-ukrainienne qui a pris un tout nouveau tournant depuis la reconnaissance lundi soir par Moscou des territoires indépendantistes du Donbass. Nord Stream 2, du nom de ce gazoduc pharaonique exploité par le géant russe Gazprom, qui relie la Russie à l'Europe - et principalement l'Allemagne - via la mer Baltique, a vu son autorisation de fonctionnement suspendu mardi par le chancelier allemand Olaf Scholz. Alors que les Occidentaux avaient menacé la Russie en cas d'offensives, cette décision est la première sanction imposée en représailles. Mais avec elle, vont toutefois se poser des questions stratégiques sur la fourniture du gaz et sur les cours de cette ressources qui représente 20% de la consommation l'Union européenne.

"J'ai demandé au ministère de l'Economie" et à l'agence fédérale de certification du projet de suspendre leurs travaux de certification", a annoncé Olaf Scholz mardi. "Sans cette certification, Nord Stream 2 ne peut pas être mis en service", a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse à Berlin avec le Premier ministre irlandais Micheal Martin, ajoutant que le dossier allait être "réexaminé" par le gouvernement allemand.

La menace de Washington

En clair, le chancelier allemand met à exécution une menace proférée par Washington dès la fin janvier. "Je n'entrerai pas dans les détails, mais nous travaillerons avec l'Allemagne pour bloquer le projet", avait indiqué le porte-parole du département d'Etat américain, Ned Price.

Joe Biden a lui promis de "mettre fin" au gazoduc controversé sans préciser comment les Etats-Unis pourraient couper cette infrastructure sous-marine reliant directement la Russie à l'Allemagne, si Berlin s'y opposait. "Je vous assure que nous y arriverons", avait déclaré le président américain.

Officiellement achevé en septembre, après cinq ans de travaux, le gazoduc doit permettre à la Russie d'exporter 110 milliards de m3 de gaz naturel par an, soit la moitié de ses livraisons à l'Europe. Il suit le même parcours que son jumeau Nord Stream 1, opérationnel depuis 2012. Contournant l'Ukraine, le tracé doit augmenter les possibilités de livraison de gaz russe à l'Europe.

Le projet a été cofinancé par cinq groupes énergétiques européens, dont Engie (avec OMV, Wintershall Dea, Uniper, Shell).

"Une mauvaise nouvelle" pour Engie

Le groupe énergétique français Engie a d'ailleurs souligné huit jours plus tôt l'importance de l'approvisionnement en gaz russe pour l'Europe, estimant qu'un conflit russo-ukrainien serait "une mauvaise nouvelle" de ce point de vue et défendant l'importance du gazoduc controversé.

"Le gaz russe est un composant majeur du mix gazier européen, français pour Engie", a déclaré sa directrice générale, Catherine MacGregor, lors d'une conférence de presse. "Donc on envisage un potentiel conflit russo-ukrainien comme vraiment une mauvaise nouvelle", a-t-elle ajouté.

"S'il y avait de manière très ponctuelle et très court terme un problème, nous saurions faire, nous saurions gérer sur la base des stockages que nous avons", a-t-elle toutefois estimé, sachant que les stockages français étaient encore remplis à 34% en France la semaine dernière.

Mais à "moyen terme ou long terme, on a besoin du gaz russe", et notamment "on a besoin du gaz russe pour re-remplir les stockages durant l'été", a souligné Mme MacGregor.

Pour rappel, le pipeline long de 1.230 kilomètres était jusqu'ici en attente d'une certification par le régulateur de l'énergie en Allemagne, en raison de problèmes juridiques, en l'occurrence le non respect de certaines dispositions de la législation allemande et européenne. Mais ce premier délai imposé fin 2021 devait se résoudre en "mars 2022", selon plusieurs sources gouvernementales citées par Reuters.

Une attente que Moscou avait pour le moins alors accepté : "dès le début, il était clair que nous devions être patients. Nous, en tant que partie russe, sommes convaincus que le projet lui-même est important pour l'Europe, il est important pour nous et pour les consommateurs européens", déclarait en fin d'année le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.

Les liens économiques avec l'Etat russe

Ce report va toutefois poser des questions sur l'approvisionnement de l'Allemagne, dont les importations en gaz proviennent à 55% de la Russie, un chiffre en hausse de 15 points depuis 2012, selon le dernier rapport "Statistic Review of World Energy". Le gaz chauffe en outre 50% des logements du pays et représente 26,7% de la consommation primaire d'énergie, selon des chiffres gouvernementaux. D'autres pays de l'Union européenne se fournissent en gaz russe. La France, dont le mix énergétique repose à 21% sur le gaz, n'est pas la plus exposée au gaz russe.

Mais le niveau des réserves de gaz en Allemagne est récemment descendu à un niveau "inquiétant". A Bruxelles, on étudie donc les alternatives au gaz russe pour éviter les pénuries et la flambée des prix du gaz, y compris importer du GNL (gaz naturel liquéfié) sur lequel les Etats-Unis se positionnent.

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Les liens entre les dirigeants de Gazprom, - une entreprise dans laquelle l'Etat russe est l'actionnaire majoritaire - et l'Allemagne sont encore plus étroits. Début février, le groupe indiquait qu'il réfléchissait nommer l'ancien chancelier Gerhard Schröder à son conseil d'administration, après plusieurs années d'une collaboration déjà intense. Ami de longue date de Vladimir Poutine, Gerhard Schröder est aussi un ardent défenseur des positions du Kremlin dans la crise ukrainienne.

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D'autres sanctions à venir

Mais la nouvelle administration à Berlin est sur une ligne très différente. "Nous ne pourrons pas accepter la reconnaissance (des provinces pro-russes), c'est pourquoi il est si important de réagir maintenant et rapidement", a fait valoir Olaf Scholz.

Le chancelier allemand a en outre prévenu que "d'autres sanctions" contre la Russie pourraient suivre, en cas d'aggravation de la situation en Ukraine, et d'ores et déjà averti que l'Union européenne allait adopter des sanctions "massives et robustes".

En cours de discussion, elles pourraient concerner des centaines de personnes et porter sur l'interdiction des transactions sur les obligations russes, selon l'agence Reuters.

Mais les avis divergent sur les sanctions à prendre parmi les 27 pays du bloc communautaire dont les relations avec Moscou et le niveau de dépendance au gaz russe varient.

Aussi, le successeur d'Angela Merkel a appelé à des efforts diplomatiques entre Occidentaux et la Russie "pour éviter une catastrophe". "C'est l'objectif de tous nos efforts diplomatiques", a-t-il ajouté soulignant que "80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, une guerre menace l'Europe de l'Est".

(Avec Agences)