La viande artificielle : un rêve pour milliardaire excentrique ou solution miracle pour nourrir l’humanité ?

Par Marina Torre  |   |  810  mots
Le test public du premier steak haché “éprouvette“ en partie financé par l’un des fondateurs de Google, Sergueï Brin, a fait le tour du monde. D’autres multimilliardaires parie sur ce qu’ils affirment être “la viande du futur“. Un terme qui laisse nombre d’experts sceptiques.

"Le 'bétail' n'existait plus. La viande était 'cultivée" sous la direction de chimistes spécialistes et selon les méthodes, mises au point et industrialisées.

Cet extrait du roman de René Barjavel, Ravage, dans lequel les héros dégustent des steaks de synthèse élevés dans les sous-sols des brasseriesne relève plus uniquement de la littérature. Le test public, le 6 août d'une portion de cette viande fabriquée en laboratoire qui a fait le tour de la planète, tend en tous cas à laisser penser que le b?uf artificiel pourrait bientôt arriver dans nos assiettes. Mark Post, le chercheur néerlandais à l'origine de cette prouesse espère qu'une production de masse sera possible "d'ici 10 à 20 ans". En attendant, la fabrication de muscle artificiels à partir de cellules souches de vache et de sérum reste expérimentale, et très chère. Le "frankenburger", comme l'a surnommé la presse anglo-saxonne en référence au héros de Mary Shelley, coûte en effet 250.000 euros...

Des milliardaires mécènes

Sa conception elle-même vaut une fortune. Aussi rien d'étonnant à ce qu'un riche philanthrope ait soutenu cette invention. L'identité du bienfaiteur en question n'est pas anodine puisqu'il s'agit de Sergueï Brin, le fondateur de Google.

Ce dernier a même défendu son bifteck in vitro dans une vidéo où il apparaît muni de ses Google Glass.

 

Comme lui, d'autres milliardaires qui ont fait fortune dans les nouvelles technologies investissent dans des substituts aux produits animaliers. La fondation Bill Gates finance ainsi en partie une start-up baptisée Hampton Farms qui cherche des alternatives aux ?ufs. Peter Thiel (Paypal) de son côté, soutient les recherches de Modern Meadows qui tente de fabriquer du cuir de synthèse, via sa fondation "Breakthrough Labs".

 Nourrir l'humanité, lutter contre la pollution

Au-delà de l'intérêt médiatique de s'afficher ainsi comme mécène pour les innovations les plus futuristes, à quoi bon chercher ainsi une alternative à la viande ? Les défenseurs de ces coûteuses recherches avancent deux arguments majeurs (outre la défense des animaux) : une réponse aux pénuries redoutées et un moyen de lutter contre le réchauffement climatique. 

Ces substituts sont en effet censés répondre à un premier problème : l'accroissement de la population mondiale et de la demande de viande, surtout dans les pays émergents comme la Chine. Selon l'organisation des nations unis pour l'alimentation (FAO), d'ici 2050, si comme prévu la population est bien passée de 7 à 9 milliards d'être humains, la demande de viande devrait doubler (voir graphique ci-dessous).

Manque de surfaces cultivables

Or, les niveaux de production actuels ne permettraient pas de répondre à cette demande, surtout en raison du manque de surface de terre disponible pour l'agriculture. Surtout que, dans le même temps la surface utilisée pour la production d'agro-carburant progresse.

Surtout, l'élevage et la production des aliments nécessaires aux bêtes produit des gaz à effet de serre. "Au total, il représente 14% des émissions" de ces gaz, "en incluant tous les éléments intrants en amont, comme l'énergie utilisé lors des transports", détaille Michel Doreau, chercheur à l'Inra, spécialiste des herbivores et des questions environnementales.

Vraiment efficace, la viande de synthèse? 

Pour autant, une viande artificielle répondrait-elle à ces problèmes? Pas si elle sa production est encore plus coûteuse en énergie et en matière première redoute par exemple la biologiste américaine Christine Agapakis, dans un post de blog. 

Un constat partagé par Michel Doreau pour lequel s'ajoute des obstacles juridiques : "l'Union européenne interdit de donner des hormones de synthèse aux animaux. Or, elles doivent être présentes pour faire croître de la viande in vitro. Il ne paraît pas raisonnable de les interdire dans un cas et pas dans l'autre".

 

Le chercheur estime que toutes les solutions "ne sont pas à trouver dans la haute technologie". Surtout si elles "peu acceptées et acceptables socialement". Exemple de ce type de piste: la production d'animaux génétiquement modifiés, des porcs qui produisent moins de phosphore ou des saumons qui grandissent deux fois plus vite. Là encore, la mise sur le marché est loin d?être effective et l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) confirme qu?aucune demande d'autorisation n'a encore été demandée pour des animaux génétiquement modifiés.

 Approches globales

Autrement dit, les pistes les plus sérieusement évoquées par les chercheurs concernent des approches beaucoup plus globales comme la réduction des engrais au nitrate utilisées par les agriculteurs, ou bien la distribution d'une alimentation plus riche en lipides aux animaux, qui produiraient ainsi moins de gaz à effet de serre. Des solutions bien plus concrètes que la viande de laboratoire...