Netflix menace de rendre Canal+ prohibitif

Par Charles de Laubier, Edition Multimédi@  |   |  721  mots
Sur l'écran, Kevin Spacey dans le rôle de Franck Underwood, héros de House of Cards, une série conçue et réalisée pour la plate-forme de VoD américaine, Netflix. / DR
Imaginez que vous ayez accès à plus de 2 milliards d'heures de programmes de télévision - dont un catalogue dépassant les 100.000 films et séries à multiples épisodes et saisons - pour 5,80 euros par mois seulement !

C'est le prix que vous auriez à payer si Netflix, dont le lancement pourrait intervenir en France à l'automne prochain, applique ni plus ni moins l'équivalent en euros des 7,99 dollars en vigueur aux États-Unis.

L'invasion Netflix ?

Même si son abonnement sera sans doute plus élevé, à savoir jusqu'à 10 euros par mois si l'on se réfère à ses pratiques hors des États-Unis (Amérique latine, Royaume-Uni, Irlande, Finlande, Danemark, Suède, Norvège et Pays-Bas), Netflix constitue un immense défi pour le marché français.

Alors que la société de Los Gatos (Californie) compte déjà plus de 2 millions d'abonnés en ligne en Europe (sur un total mondial de 48,3 millions au 31 mars, dont 35,6 millions aux États-Unis), son cofondateur et PDG, Reed Hastings, a confirmé en avril qu'il lancera bien son service de vidéo à la demande par abonnement (SVoD) « dans au moins deux autres pays européens d'ici à la fin de l'année ». Il s'agit de la France, et sans doute de l'Allemagne, le Luxembourg restant sa tête de pont européenne pour des questions fiscales évidentes.

Pas sûr que l'on en sache plus lors de l'assemblée générale annuelle des actionnaires prévue le 9 juin. Quoi qu'il en soit, le paysage audiovisuel français (PAF) frémit déjà depuis plus d'un an que Netflix - valorisé 20 milliards de dollars en Bourse bénéficie d'une vaste campagne de publicité gratuite à force de voir sa prochaine arrivée annoncée, commentée et crainte. Celui qui se présente comme « le pionnier (depuis 2007) de la diffusion sur Internet de programmes télé et de films » s'apprête à débouler dans le pays cinématographique le plus réglementé au monde, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine !

Ayant réalisé en 2013 un chiffre d'affaires de 4,3 milliards de dollars, pour un bénéfice net de 112,4 millions, Netflix dispose d'une force de frappe de 3 milliards de dollars sur un an - voire 7 milliards sur cinq ans ! - dans l'acquisition de droits de diffusion en streaming de séries et de films.

C'est que les investissements dans des oeuvres originales et exclusives - telles que la désormais célèbre série politique House of Cards ou la non moins appréciée tragicomédie Orange is the New Black - lui coûtent de plus en plus cher. Pour la France, il a les droits exclusifs de séries telles que Hemlock Grove et Narcos du français Gaumont. À tel point que, confronté à la hausse de ses investissements à l'international, Reed Hastings a prévu d'augmenter son tarif « d'un ou deux dollars selon les pays et seulement pour les nouveaux abonnés ».

L'Irlande est déjà passée de 6,99 à 7,99 euros par mois

Qu'il soit à 7,99 ou à 9,99 euros par mois en France, l'abonnement Netflix menace de rendre prohibitif les 39,90 euros de la chaîne payante Canal+.

« Je passe deux ou trois mois par an aux États-Unis et je suis abonné depuis quelques années à Netflix, dont je connais bien le catalogue et les séries. Et je me dis que lorsque je paie 7 dollars par mois pour Netflix, pourquoi continuerais-je à payer 40 euros pour avoir Canal+ ? », s'est interrogé Gérard Carreyrou, ancien dirigeant de TF1, en interpellant René Bonnell, ancien de Canal+, devant le Club audiovisuel de Paris le 26 mars dernier.

L'interpellé lui a donné raison :

« Canal+ va avoir un problème de prix [et] va sans doute être obligé de fractionner son offre entre l'OPay-TV [Online Pay TV] et une chaîne plus généraliste en faisant baisser les prix. »

La chaîne cryptée, qui perd déjà des abonnés (surtout sur CanalSat), a commencé à se diversifier avec son service de VoD CanalPlay, de SVoD CanalPlay Infinity et le lancement l'an dernier d'une vingtaine de chaînes sur YouTube (réseau multichaîne CanalFactory). La filiale de Vivendi discuterait même avec Orange d'une participation dans Dailymotion, selon le Financial Times.

Mais cela sera-t-il suffisant ? Netflix dépasse déjà le Canal+ américain, HBO (Home Box Office), du groupe Time Warner, et compte devenir rapidement « deux à trois fois plus gros, avec entre 60 et 90 millions d'abonnés aux États-Unis ». En France, la chaîne cryptée du groupe Vivendi aux 9,5 millions d'abonnés (dont 63,8 % individuels) risque de subir le même sort.