Le plan d'Air France pour conquérir le marché loisirs long-courrier

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  908  mots
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Le PDG de la compagnie, Alexandre de Juniac, a évoqué vendredi dernier devant ses cadres un projet de low-cost long-courrier qui serait à l'étude. Selon nos informations, aucune création de filiale dédiée n'est prévue . Il s'agirait plutôt de mettre en place un modèle d'exploitation spécifique à cette clientèle qui, entre autres, passerait par un changement des conditions de travail des pilotes.

Un petit choc.  Les cadres d'Air France n'en sont pas revenus lorsqu'ils ont entendu vendredi dernier leur PDG, Alexandre de Juniac, prononcer l'expression "low-cost long-courrier" alors qu'il leur présentait les pistes de réflexion visant à redresser leur compagnie. On peut les comprendre : s'il est déjà compliqué d'imaginer Air France, comme c'est désormais envisagé, se lancer dans l'aventure low-cost sur le moyen-courrier, le marché de prédilection de ce concept, cela semble impensable sur le long-courrier où la quasi-totalité des tentatives a échoué. "Nous avons été surpris", reconnaît un participant. Pour autant, même si le mot a été lâché par le PDG, il n'y a pas de projet de filiale à bas coûts long-courrier aujourd'hui à l'étude chez Air France, selon plusieurs sources internes. "Le sujet a été évoqué dans le passé mais ce n'est pas le cas aujourd'hui", explique un proche du dossier.

D'ailleurs, il n'y a eu aucun mot sur le sujet dans le communiqué de deux pages diffusé lundi sur "la présentation des premières orientations du plan Transform 2015", censé générer deux milliards d'économies au cours des trois prochaines années. "Alexandre de Juniac a probablement voulu montrer que tous les scénarios étaient sur la table, et qu'il y a la volonté d'analyser toutes les solutions possibles. Mais il n'y a pas de projet de ce type", insiste un autre cadre. "Ce n'est pas envisagé", confirme un autre.

Des règles de fonctionnement des pilotes différentes

Pourquoi alors Alexandre de Juniac a-t-il parlé d'offre low-cost long-courrier ? "Il a voulu marquer les esprits pour montrer son inquiétude sur l'incapacité d'Air France à se positionner sur les marchés loisirs long-courriers en raison de ses coûts élevés", estime un cadre. Air France, comme l'ensemble des compagnies historiques, est structurée autour de la clientèle affaires, alors que les experts estiment que la croissance du trafic loisirs long-courriers sera à l'avenir plus dynamique que le trafic affaires.

Selon certains analystes, toutes les lignes long-courriers à vocation loisirs d'Air France seraient en perte. "Le terme low-cost est effectivement inapproprié, assure de son côté un connaisseur du dossier, Alexandre de Juniac parlait d'une activité loisirs long-courrier séparée de l'activité long-courrier classique dont la nature de la flotte pourrait ressembler celle aujourd'hui exploitée sur les DOM  (plus de sièges en classe économique par exemple, pas de Première) avec des règles de fonctionnement du personnel navigant différentes. En outre, elle serait marketée différemment. Mais attention : il ne s'agit en aucun cas de créer une compagnie aérienne en servant à bord des cacahuètes et un verre d'eau".

Objectif : être capable de répondre à la spécificité de ces lignes à faible recette unitaire et de les exploiter de manière rentable. Sur ces lignes à forte proportion de clients loisirs (Bangkok, Orlando, Cancun mais aussi toutes celles des Caraïbes et de l'Océan Indien), marquées par une forte saisonnalité, le sacro-saint vol quotidien toute l'année d'un programme de vols régulier n'a plus de sens.

Une exploitation plus flexible

L'idée d'Air France est de mettre en place une exploitation plus flexible, en ouvrant des lignes saisonnières ou en exploitant celles qui seraient maintenues toute l'année avec une intensité variable selon les saisons. Pour cela, il faut que les plannings du personnel navigant permettent un travail plus important selon les saisons.

"Il faut une répartition du temps de travail différente, qui colle avec les demandes de voyages des clients. Cela ne signifie pas un surplus de travail ou d'une coupe sur le salaire". Aujourd'hui, Air France compte neuf appareils dans sa flotte spécialisée sur le réseau Caraïbes/Océan Indien et le nombre d'avions concernés ne dépasserait pas 12 exemplaires, 15 maximum. Cette activité serait vendue sous la marque "Air France quelque chose". 

Le low-cost long-courrier impossible ?

On est donc loin d'une Ryanair long-courrier. "C'est impossible, Air France ne peut pas le faire", explique-t-on en interne. Comme le soulignent de nombreux experts, le précepte de base permettant d'appliquer le modèle low-cost au moyen-courrier, à savoir l'utilisation optimale des avions, n'est pas transposable sur le long-courrier, où, par exemple, les appareils d'Air France volent 17 heures par jour. Les six heures restantes correspondent aux trois heures d'escale à Roissy pour préparer l'avion et autant en bout de ligne pour le retour. "Il n'y a pas d'autres exemples de compagnies dans le monde qui utilise mieux les avions sur long-courrier", dit-on en interne.

"Les low-cost long-courriers sont aujourd'hui des compagnies traditionnelles qui profitent de la faiblesse de leurs coûts du personnel liée à leur pays d'origine", explique un observateur, faisant allusion à des transporteurs asiatiques comme Vietnam Airlines ou Malaysia Airlines.

Pour autant, en Asie justement, plusieurs compagnies low-cost long-courriers (avec une classe affaires), se sont lancées (Air Asia X, Jetstar, la filiale de Qantas) ou vont l'être prochainement (Singapore Airlines a prévu la création d'une filiale de ce type, All Nippon Airways et China Eastern aussi). Avec un baril à 125 dollars qui plombe les résultats de la quasi-totalité des compagnies aériennes du monde, il vaut mieux être prudent avant d'assurer que le modèle low-cost long-courrier asiatique est voué à l'échec comme l'affirment déjà certains experts. L'arrêt d'une ligne Kuala-Lumpur- Paris d'Air Asia X ne permet pas de tirer une conclusion trop hâtive.