L’Enac lorgne l'incroyable business de la formation des pilotes d’avion

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1027  mots
Selon Boeing, le transport aérien a besoin de 498.000 nouveaux pilotes au cours des 20 prochaines années
L'école nationale de l'aviation civile entend créer des franchises à l'échelle mondiale pour augmenter ses moyens de production. Une Enac a Oman va ouvrir en 2014. Le moyen de recaser tous les diplômés français qui n'ont pas trouvé de compagnies à l'issue de leur formation.

498.000. C'est le nombre de pilotes de ligne à former au cours des 20 prochaines années selon Boeing. Même si Marc Houalla, le directeur de l'Enac, l'école nationale de l'aviation civile, estime plutôt le nombre à 50.000 à 100.000 pilotes au cours des dix prochaines années, au prix de 100.000 euros la formation d'un seul pilote de ligne, le business est juteux. Et suscite les convoitises. En témoigne la bagarre qui s'annonce pour l'appel d'offres lancé récemment par Air Algérie pour la formation de 200 pilotes en deux ans. Pas moins de onze écoles provenant des quatre coins du globe sont sur les rangs. Aux côtés des Australiens ou des Canadiens, l'Enac, alliée avec une autre école française, l'Esma, en fait partie. Une bagarre qui illustre la volonté de l'Enac de se développer sur ce marché, contrôlé au niveau mondial par les écoles anglo-saxonnes, comme les canadiens de CAE, les Anglais d'Oxford, ou encore les américains de PAN AM et de Fligth Safety.

International

 Fondée en 1949, l'Enac, traditionnellement spécialisée sur la formation des métiers de contrôles aériens, d'ingénieurs aéronautiques, et sur la formation théorique des navigants techniques, est montée en puissance dans la formation des pilotes en fusionnant en 2011 avec le Sefa, en charge jusqu'ici de la formation pratique. Mais, ce dernier ne faisait pas de formation internationale. Après avoir formé les instructeurs pour qu'ils puissent enseigner en langue anglaise, c'est le cas aujourd'hui. Les différents contrats signés avec des compagnies aériennes chinoises China Southern, China Eastern, Oman Air et surtout Easyjet (et bien d'autres) pour la formation de leurs pilotes en attestent. Ces élèves étrangers représentent 80% des 100  pilotes formés chaque année par l'Enac. Les autres sont élèves français, sélectionnés par un concours extrêmement difficile, et leur formation est payée par l'Etat.

 Un budget de 125 millions d'euros

Ces contrats avec les compagnies aériennes contribuent à alimenter les ressources propres de l'Enac, alors que la subvention de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) diminue.

« Le budget de l'Enac est de 125 millions d'euros. 35 millions viennent de nos ressources propres, c'est à dire de la vente de nos formations, contre 15 millions il y a 15 ans. Dans deux ans, elles pourraient atteindre environ 50 millions », estime Marc Houalla, le directeur de l'Enac.

La formation des pilotes représente 40% des ressources propres de l'école. Et pourrait atteindre entre 40 et 50% dans quelques années.

 Capacités de production

Car l'Enac se met en ordre de bataille pour capter une partie de ce marché. Marc Houalla cherche à mettre en place un réseau d'écoles de pilotages dans plusieurs zones géographiques stratégiques comme la Chine , l'Asie du sud-est, le Brésil, la Russie et le Moyen-Orient. « L'idée est d'ouvrir des franchises », indique-t-il, « pour augmenter nos capacités de production ». Celles de l'Hexagone sont insuffisantes pour répondre à la demande. C'est d'ailleurs dans le Golfe persique que le projet est le plus abouti. L'Enac va ouvrir à Oman une école de pilotage. Entièrement financée par le gouvernement omanais, elle aura vocation de former non seulement les pilotes de la compagnie Oman Air, mais aussi ceux, à terme, des autres compagnies de la région (Maghreb compris), dont certaines comme Emirates ou Etihad Airways se développent fortement. Un sacré pari dans la mesure où les écoles anglo-saxonnes sont omniprésentes dans la région. Au Qatar, dès que l'Enac a pointé son nez, les avocats d'une école américaine ont débarqué en agitant l'exclusivité qu'ils avaient pour la formation des pilotes de Qatar Airways. Il n'empêche, au regard du grand nombre de livraisons d'avions à venir au sein des transporteurs de cette région, il table sur le besoin, pour ces compagnies, d'avoir besoin de nouvelles sources de formation à proximité. 

150 pilotes français sur le carreau

Si l'objectif est d'augmenter la « production », l'ouverture de l'école d'Oman (mais aussi les prochains franchisés) nourrit un autre objectif : celui de caser les quelque 150 pilotes français qui depuis sept ans, n'ont pas trouvé de postes à l'issue de leur formation, soit à Air France qui a gelé les embauches ou dans d'autres compagnies. Ceci alors que le besoin de pilotes augmente dans le monde. Mais il y a plusieurs freins à l'embauche des pilotes français. Beaucoup de compagnies ne recrutent des navigants pour être copilote qu'à partir du moment où ils comptabilisent déjà 1.500 heures de vol à leur actif. Problème, les pilotes de l'Enac finissent leur formation avec seulement 250 heures. Autre frein, la barrière nationale. Beaucoup de pays comme le Brésil ou la Chine (qui manquent pourtant de pilotes) ne recrutent que des pilotes nationaux. L'idée est donc, avec ces écoles étrangères d'envoyer des pilotes français comme instructeur, une étape qui peut servir de tremplin par «réseautage » à une embauche, à Oman Air par exemple dans le cas de l'école d'Oman.

 Renommée mondiale

L'Enac a de sérieux atouts pour réussir à l'international. Sa renommée est mondiale. Si elle n'a pas encore la taille des grandes écoles de pilotage, elle est plus grande école aéronautique du Vieux continent, toutes formations confondues. Surtout, en termes de pilotage, l'école ne cesse de marquer des points.  

« Il y a deux ans, Lufthansa nous a appelé et nous a dit : nous avons testé la moitié des écoles européennes pour la sélection des pilotes et trois écoles sortent du lot : la nôtre, (celle de Lufthansa, ndlr),  KLS et l'Unac. Plusieurs de nos pilotes de lignes sont allés chez Lufthansa en court-circuitant tout le process interne de Lufthansa», explique Marc Houalla.

En décembre, Easyjet a également recruté des  17 pilotes de l'Enac qui n'avaient pas trouvé de compagnies aériennes.

 S'il veut créer des franchises à l'international, Marc Houalla veut également, pour répondre aux appels d'offres étrangers, regrouper sous la bannière Enac, les petites écoles françaises qui n'ont pas la taille pour postuler en solo. « Nous avons envie d'être le porte-drapeau du pilotage à la française », explique Marc Houalla.