Aéronautique : 2 fois plus de passagers dans 20 ans, comment faire ? (Boeing, Airbus, Air France)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1204  mots
vols. 52 avions décollent aujourd’hui toutes les minutes et le nombre de passagers devrait croître de 5% par an. / Reuters
Doublement du trafic aérien, doublement de la flotte d’avions d'ici 15 à 20 ans ! Un défi pour la filière aéronautique, les aéroports, la gestion du trafic mais aussi la formation des pilotes. État des lieux…

Plus de 1,5 milliard de passagers en 2003, 3,4 milliards en 2014, 6,7 milliards en 2032, peut-être 16 milliards en 2050 : l'incroyable croissance du trafic aérien mondial semble infinie.

Depuis de longues années ce rythme effréné n'a jamais cessé. Selon Airbus, Boeing et l'Association internationale du transport aérien (IATA), au cours des vingt prochaines années, le nombre de passagers aériens devrait encore augmenter d'environ 5% par an. Des prévisions à si long terme interpellent toujours...Mais force est de constater qu'elles se sont toujours réalisées jusqu'ici. Le trafic aérien a su surmonter les plus terribles crises. Au cours de la dernière décennie, rien n'a enrayé sa hausse : ni les attentats du 11 septembre, ni la flambée du prix du baril, ni les contraintes environnementales, ni le développement des nouvelles technologies qui permettent les échanges à distance, ni même la crise financière de 2008-2009 ou celle de la zone euro qui a suivi. Les passagers sont toujours plus nombreux à prendre l'avion.

Le potentiel des classes moyennes dans les pays émergents

Ces prévisions de croissance sont liées à celles de l'économie mondiale (elle-même tirée par les pays émergents), que favorisent à la fois l'urbanisation et l'émergence d'une classe moyenne disposant des moyens de se payer un billet d'avion.

Selon Airbus, celle-ci devrait représenter près des deux tiers de la population mondiale en 2032, contre un tiers environ aujourd'hui. En 2012, un habitant sur cinq a fait un voyage aérien dans les pays émergents, ils devraient être deux sur trois en 2032, prévoit le constructeur.

La libéralisation accrue du transport aérien constitue l'autre grand levier de croissance. Elle favorise l'émergence de nouvelles compagnies (à bas coûts notamment), lesquelles contribuent à accentuer la concurrence.

Le marché intérieur chinois sera le plus gros marché du monde

Comme c'est le cas depuis les années 80, la croissance du trafic ne sera pas uniforme dans toutes les régions du monde. Dans les zones matures comme les États-Unis et l'Europe, elle sera modérée ; ce sont les pays émergents - Inde, Amérique du Sud, Afrique et surtout Asie - qui joueront les locomotives.

Cette croissance à deux vitesses fait basculer le centre de gravité de l'aviation vers l'Asie, en Chine en particulier. Aujourd'hui au troisième rang derrière les marchés intérieurs américain et européen, le marché domestique chinois va devenir le plus important du monde au cours des vingt prochaines années. Le reste du classement ne bougera pas : le marché intérieur américain sera deuxième, le marché intraeuropéen troisième, les vols entre l'Europe et les États-Unis resteront le quatrième axe le plus fréquenté (et le premier en long-courrier), ceux entre l'Europe et l'Asie suivront en cinquième position...

Doublement de la flotte

Pour absorber tous ces passagers, la flotte d'avions dans le monde est appelée à doubler pour atteindre plus de 40.000 avions en 2032.

D'ici à 20 ans, près de 37.000 appareils neufs devraient être livrés pour une valeur d'environ 5 200 milliards de dollars au prix catalogue, selon la dernière étude de Boeing. Un pactole qui découle de la nécessité pour les compagnies de croître mais aussi celle de renouveler leur flotte. Un mouvement poussé par la cherté du prix du baril de pétrole et par l'arrivée sur le marché de nouveaux appareils dont les technologies réduisent fortement la consommation de kérosène et les coûts d'exploitation.

Rarement dans le passé autant de nouveaux produits entrent en même temps sur le marché (A350, B787, A320 Neo, B737 Max, Bombardier C-Series, Comac 919, MS 21, E-Jets d'Embraer, B777-X...).

La croissance du trafic constitue un énorme défi pour toute la chaîne du transport aérien. Les aéroports tout d'abord devront accroître la capacité de leurs aérogares et de leurs pistes. Dubai, Istanbul, Singapour, sans oublier la kyrielle de projets en Chine (le plan quinquennal en cours 2011-2015 prévoit la construction de 82 aéroports et l'extension de 120 existants), au Brésil (71 nouvelles plateformes sont prévues d'ici à 2020), ou en Inde, partout les constructions d'infrastructures gigantesques se multiplient dans les pays émergents, alors qu'elles se raréfient dans les pays matures sous l'effet conjugué du manque d'investissements, des perspectives de croissance plus faibles qu'ailleurs et de l'hostilité des riverains et des mouvements écologistes à toute nouvelle construction.

Encore trop de compagnies

De leur côté, les services de navigation aérienne devront faire passer en toute sécurité plus de vols dans le ciel. Aujourd'hui, 52 avions décollent toutes 60 secondes dans le monde. Les avionneurs, et toute la chaîne de leurs fournisseurs devront, quant à eux, mettre les bouchées doubles pour augmenter les cadences et livrer les avions dans les temps.

La construction mondiale d'avions progressera également avec l'arrivée d'ici à la fin de la décennie des industriels chinois (Comac) et russes (Irkut) sur le marché des avions de plus de 150 places, un préalable pour eux au lancement, à plus long terme, de gros-porteurs plus difficile à maîtriser. La croissance du trafic pose enfin la question de la pénurie des pilotes et de leur formation. Selon Boeing, il faudra en effet former 498.000 pilotes au cours des vingt prochaines années pour accompagner le doublement de la flotte mondiale !

Pour les acteurs de la construction aéroportuaire, les industriels du « air traffic management », les écoles de formation aux métiers du transport aérien et les constructeurs d'avion et leurs fournisseurs, la croissance du transport aérien constitue un formidable eldorado. Tous gagnent déjà bien leur vie, alors que les compagnies aériennes dégagent de faibles marges... quand elles parviennent à être bénéficiaires.

Paradoxalement, malgré l'importance et le dynamisme de ce marché, elles sont le maillon faible du système. La faute à un émiettement du marché, du fait du trop grand nombre de transporteurs (IATA compte 232 compagnies), alors que les aéroports ou les avionneurs sont en situation de monopole ou de duopole.

« La consolidation devrait apporter la réponse du secteur [à ses difficultés], mais il y a des obstacles réglementaires forts car tous les pays considèrent leurs compagnies comme un outil de souveraineté et empêchent les prises de contrôle », déclarait récemment Alexandre de Juniac, le PDG d'Air France-KLM.

Pour améliorer leurs marges, bon nombre d'acteurs plaident en effet pour une accélération de la consolidation du transport aérien au niveau mondial, avec des mariages entre compagnies de continents différents alors que, jusqu'ici, la consolidation s'est réalisée sur une base régionale, que ce soit aux États-Unis (Delta- Northwest, United-Continental, American-US Airways), en Europe (Air France-KLM, Lufthansa-Swiss-Austrian Airlines, British Airways-Iberia), en Chine ou en Amérique latine (Lan-TAM). Mais cette nouvelle étape s'annonce compliquée. Elle a déjà commencé avec la stratégie de prises de participations capitalistiques aux quatre coins du globe menée par Etihad Airways, le transporteur d'Abu Dhabi et, à un degré moindre, par l'américaine Delta. Un processus qui s'annonce long.

Retrouvez les analyses des intervenants du forum de l'aéronautique civil et militaire, le Paris Air Forum, qui se déroulera le 11 juillet prochain.