Air France : les imprimantes de la discorde

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  893  mots
(Crédits : Christian Hartmann)
La direction reste inflexible sur les salaires en rappelant que ce sera au nouveau PDG de rouvrir les négociations sur le sujet quand il sera nommé. Alors que les syndicats attendaient des réponses à leurs revendications, la direction a proposé des mesures pour améliorer le quotidien, aux antipodes de leurs demandes d'augmentation salariale.

C'est un peu l'art de se créer encore plus de problèmes. Alors que le préavis de grève déposé la semaine dernière par l'intersyndicale pouvait susciter l'incompréhension d'une partie des salariés, dont un grand nombre n'a pas hésité à exprimer leur refus de débrayer sur les réseaux sociaux, l'attitude de la direction d'Air France pourrait redonner de l'élan à la mobilisation.

Pas de mandat pour négocier les salaires

Ce jeudi, la direction d'Air France n'a fait aucune proposition salariale lors du Comité central d'entreprise (CCE) de la compagnie française. Ce n'est pas une surprise. Depuis la démission du PDG Jean-Marc Janaillac le 15 mai, après l'échec cuisant de sa proposition salariale soumise à référendum (+2% en 2018 et +1,65% par an entre 2019 et 2021, hors avancement automatique lié à l'ancienneté -GVT- évalué par la direction à +5% sur cette période), la direction actuelle n'a pas de mandat du conseil d'administration pour négocier. Ce dernier avait convenu que la tâche en incomberait au successeur de Jean-Marc Janaillac, une fois celui-ci trouvé. Le choix devrait être fait début juillet.

Pour autant, si les négociations salariales n'ont pas repris officiellement, des discussions bilatérales avec les syndicats ont été menées par la présidente non-exécutive par intérim, Anne-Marie Couderc, et la direction d'Air France, Franck Terner, le directeur général, et Gilles Gateau, le directeur des ressources humaines. Ces derniers ont essayé de modifier la proposition en restant dans le cadre de la proposition de Jean-Marc Janaillac qui avait, elle, reçu l'accord du conseil.

Ils ont ainsi testé auprès des syndicats une hausse de salaire de 3,65% en 2018, qui regroupait les 2% de hausse proposée initialement en 2018 et de 1,65% prévue en 2019. Mais en contrepartie, la direction ne voulait pas d'augmentation générale des grilles de salaire en 2019 (à l'exception du GVT). Les syndicats ont refusé et ont proposé une augmentation de 4% en 2018 (hors GVT), accompagnée d'une hausse de salaire en 2019 du niveau de l'inflation, soit, selon les prévisions, entre 1,2% et 1,5%.

"Cela faisait +5,5% sur deux ans, auxquels il faut ajouter le GVT, lequel correspondant à une hausse allant de +1,4 à 2%, on n'était pas très loin de la demande initiale", explique-t-on à la direction. Pour elle, il est impossible d'augmenter la masse salariale du groupe d'une telle ampleur, d'autant plus qu'elle n'a pas le mandat de son conseil pour le faire.

Rien de neuf, en fait, de ce côté-là. Sauf que beaucoup de syndicalistes et de syndicats attendaient à un geste sur la rémunération depuis qu'Anne-Marie Couderc avait promis vendredi d'apporter, lors du CCE du 14 juin, des réponses, non pas sur les salaires comme beaucoup l'ont compris, mais pour améliorer le quotidien des salariés. Cette position était claire dans le courrier d'Anne-Marie Couderc envoyé le 8 juin aux syndicats. Elle évoque en effet un malaise au sein de la compagnie qui est "ancien et va au-delà de la seule question salariale" et que "des réponses doivent être apportées" sur ce point.

La déception et la colère des syndicalistes devant l'absence de geste sur les salaires sont d'autant plus fortes que les mesures proposées par la direction sont jugées ridicules, aux antipodes de leurs revendications. Parmi elles, on trouve la rénovation des locaux de piste à Orly, l'augmentation de la disponibilité des chambres de repos dans les locaux d'Air France pour les navigants, "l'agrandissement de la consigne bagages, le renouvellement des imprimantes ainsi que des places de parking plus proches" pour les agents à Roissy. Mais aussi la mise en place d'une "grande démarche d'expression des salariés et de dialogue".

"Du foutage de gueule", selon un pilote, membre de l'intersyndicale. Pour Christophe Malloggi, de FO, la direction a pris "des orientations complètement décalées des attentes légitimes" du personnel". Les administrateurs sont "à l'image des élites de ce pays : déconnectés des réalités", a-t-il déclaré à l'AFP.

La direction semble effectivement ne pas avoir compris que, aussi incompatibles peuvent-elles être avec la situation d'Air France, la revendication salariale des personnels et la conviction qu'elle est légitime à leurs yeux n'en demeurent pas moins une réalité. Comme dans toutes les entreprises, le personnel d'Air France est agacé par des irritants au quotidien, mais ces irritants passent souvent mieux quand la paie augmente. Assurer, comme le dit Anne-Marie Couderc en poste depuis un mois seulement, que le "malaise va au-delà de la question salariale" n'engage que la direction. L'argument avait été utilisé par l'ancien PDG, Jean-Marc Janaillac, pour expliquer le vote négatif des salariés à sa proposition de hausse salariale. Pas sûr qu'il soit le bon et qu'il n'exprime pas plutôt le point de vue d'une direction qui peine à saisir les attentes des salariés, selon un observateur.

Dans ce contexte, le rôle d'Anne-Marie Courderc interpelle. Elle qui devait occuper le poste de manière transitoire pour gérer les affaires courantes semble être sortie de son rôle en ayant voulu tenter de trouver une solution avec les syndicats, puis en leur faisant des propositions sur des mesures d'amélioration du quotidien. A-t-elle voulu réussir là où tout le monde s'est cassé les dents ? Et si oui, dans quel but ? Etre davantage qu'une Présidente transitoire sans pouvoir?