Air France, un appel à la grève du zèle des pilotes qui ne dit pas son nom ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  593  mots
L'an dernier, lors des négociations entre la direction et les syndicats sur de nouvelles économies, plusieurs pilotes avaient levé le pied sur la mise en oeuvre de la politique carburant.
Le SNPL et le SPAF appellent les pilotes à la prudence en termes de sécurité des vols. Selon de nombreux pilotes, il s'agit d'un message "codé" pour demander une application à ce point stricte de certaines consignes qu'elle pourrait perturber l'exploitation.

Alors que les syndicats de pilotes d'Air France - SNPL, SPAF et Alter - réfléchissent à la réaction à mener après la décision de la direction de demander le solde des mesures du plan d'économies Transform, le SNPL et le SPAF ont appelé leurs adhérents à la vigilance en termes de sécurité des vols. La demande est fortement commentée en interne. Car selon les nombreux pilotes interrogés, cet appel à la vigilance est un moyen de demander sans le dire aux pilotes de faire la grève du zèle, en augmentant par exemple les temps de roulage sur les taxiways ou en emportant du carburant au-delà de ce qui est nécessaire pour le vol.

"C'est l'art de demander une grève du zèle sans en avoir l'air", décrypte un pilote.

En interne, à Air France, on parle de "casserole" pour "consignes d'application stricte de la sécurité par refus opiniâtre du laisser-aller à l'exploitation".

Des SMS qui appellent à la prudence

C'est donc ainsi que tous les pilotes interrogés ont qualifié les SMS envoyés la semaine dernière par le SNPL et le SPAF.

Mercredi dernier, dans un SMS envoyé à ses adhérents, le président du SNPL, Philippe Evain, a écrit :

"Chers collègues, nous subissons une agression violente. Faites attention sur tous vos vols. Nous sommes le dernier rempart face à l'accident."

Un SMS du bureau du SPAF dit la même chose.

"Chers adhérents, la direction vient d'adresser aux pilotes une ultime provocation. En attendant une réponse à la hauteur de l'attaque, le SPAF vous invite bien sûr à ne pas céder à la moindre pression temporelle qui s'ajouterait à cette pression sociale très préjudiciable à la sécurité des vols."

Pour ceux qui ne sont pas pilotes, l'appel à la grève du zèle ne saute pas aux yeux dans ces deux SMS.

"Il s'agit pourtant d'une demande d'application stricte de certaines procédures comme, par exemple, l'augmentation du roulage de l'avion au sol [avant et après le décollage], l'emport de carburant au-delà du nécessaire pour alourdir l'avion et augmenter la consommation de carburant... ", expliquent plusieurs pilotes.

La pratique est assez courante, selon un pilote. L'an dernier, lors des négociations entre la direction et les syndicats sur de nouvelles économies, plusieurs pilotes avaient levé le pied sur la mise en oeuvre de la politique carburant (optimisation de l'emport carburant, des choix des routes...) au motif que la direction ne la prenait pas en compte dans ses calculs sur les économies générées par les pilotes.

Il y a vingt ans, un vol pour Bruxelles transportant l'ancien Pdg, Christian Blanc, aurait été volontairement "allongé" pour lui faire rater son rendez-vous.

Titré "Roulage : un exemple de bonnes pratiques", un trac du SNPL du 4 mai est un peu plus explicite.

Grève perlée

Sur le "forum" du SNPL, un lieu d'échanges sur le site internet du syndicat réservé aux adhérents, plusieurs pilotes déploraient l'utilisation de la sécurité pour entreprendre une grève du zèle.

Interrogé vendredi sur le sujet, un porte-parole du SNPL a expliqué que "l'appel à la prudence était important dans le contexte actuel". Au SPAF, également interrogé vendredi, on ne fait pas de commentaires sur le SMS.

Au-delà de cet appel à la vigilance, les syndicats doivent décider cette semaine du type d'actions à mener en juin. Selon certains pilotes, plusieurs syndicalistes apprécient le principe d'une grève perlée comme l'ont fait les pilotes de Lufthansa.