Air France, un remède de cheval en deux fois

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1398  mots
Le conseil d'administration d'Air France-KLM a validé le plan B de réduction de voilure d'Air France. La baisse d'activité (-14 avions) se fera en deux temps, à partir de la saison d'été 2016 puis de la saison d'hiver 2016-2017 dont le niveau d'offre sera maintenu lors du programme été 2017. Si la première phase (-5 avions) est actée, la seconde laisse le temps à la négociation avec les syndicats pour arracher des accords de productivité.

Un plan B en deux parties. C'est le scenario pour Air France qu'a validé ce jeudi le conseil d'administration d'Air France-KLM, la maison-mère d'Air France et de KLM. Réunis à Amsterdam, les administrateurs ont, après avoir constaté l'échec des négociations à Air France, accepté le plan alternatif proposé par Frédéric Gagey, le PDG de la compagnie tricolore, pour faire passer 80% des lignes long-courriers dans le vert d'ici à fin 2017, contre 50% aujourd'hui, et dégager un bénéfice d'exploitation de 740 millions d'euros dans deux ans, largement supérieur aux profits qui se profilent en 2015, les premiers après six années de pertes consécutives. Jamais annoncé, le budget établi en interne en début d'année tablait sur un bénéfice d'exploitation de 300 millions d'euros et la direction a indiqué récemment qu'il était jusqu'ici respecté.

Ce plan vise à réduire la taille de l'entreprise. Les capacités en sièges de la compagnie doivent baisser de 10% sur le réseau long-courrier d'ici à deux ans. Cette baisse de voilure, si elle est bien mise en oeuvre, entraînera le retrait de la flotte d'une quinzaine de gros-porteurs sur deux ans et des suppressions de postes massives sous la forme de départs volontaires et de licenciements secs, une première dans l'histoire d'Air France.

Ce plan B comporte en fait deux phases de réduction d'activité.

Retrait de 14 avions en deux ans

Une première à partir du programme été 2016 (qui débute fin mars) avec le retrait de 5 appareils, une seconde qui prévoit la sortie de la flotte de 9 avions supplémentaires à partir du programme hiver 2016-2017, qui commencera fin octobre 2016 (jusqu'à mars 2017). Ce niveau de capacités sera maintenu l'été 2017.

Cette réduction de voilure devrait faire des dégâts collatéraux sur l'activité moyen-courrier qui alimente les vols long-courriers. Selon certaines sources, des  appareils moyen-courriers pourraient être retirés au cours des deux prochaines années, après la quarantaine déjà sortie de la flotte depuis 2012.

Annoncée lundi 5 octobre au Comité central d'entreprise (CCE) d'Air France, la première phase pourrait entraîner la suppression de 3.000 personnes selon des sources internes. Ce vendredi, lors du conseil d'Air France cette fois, la direction a évalué à 2.900 personnes le sureffectif induit par la baisse d'activité à court terme. Le nombre d'emplois menacés serait ainsi de "300 pilotes, 700 PNC (hôtesses et stewards) et 1.900 au sol" selon l'AFP. Les départs volontaires seront privilégiés. Mais si les candidats sont insuffisants, la direction aura recours aux départs contraints.

Quant à la seconde phase, personne n'ose en parler. «Ce sera au moins le double »,  estime un connaisseur du dossier.

Une chance pour les négociations

Ce plan en deux temps comporte un avantage. Si la première phase a atteint le point de non-retour (certains indiquent même qu'elle était prévue dans le plan A), la deuxième peut être évitée, ou du moins atténuée. Car elle laisse encore une place à la négociation avec les syndicats pour trouver un accord sur des mesures de gain de productivité du personnel. En effet, en raison du processus de consultation des élus du personnel lors d'un plan de sauvegarde pour l'emploi (PSE) ou d'un plan de sauvegarde pour l'emploi et de la date limite pour pouvoir procéder à des annulations de livraisons d'avions, il reste en gros trois mois pour se remettre autour de la table et trouver éventuellement un accord, qui pourrait, selon certaines sources, éviter les licenciements secs.

"Il faut trouver un accord avant janvier pour éviter les mesures irréversibles comme le report de livraison des B787", explique un connaisseur du dossier.

Selon une source syndicale, le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) a demandé à voir la direction le 6 octobre au lendemain des annonces du CCE.

"Les négociations doivent reprendre. Chacun doit participer à l'effort, notamment les pilotes, et j'invite chacun a faire preuve d'une très grande responsabilité et à trouver les bonnes solutions pour l'avenir d'Air France", a déclaré ce jeudi Manuel Valls.

Le secrétaire d'Etat aux transports, Alain Vidalies, a lui aussi appelé à une reprise des négociations.

"Une négociation n'est jamais terminée, il n'est jamais trop tard pour négocier. Si la direction et les pilotes peuvent reprendre la négociation, il est souhaitable qu'ils le fassent, sachant qu'il y a une certaine urgence (...). Chacun a compris que, plutôt qu'un plan qui va entraîner des licenciements, un effort que personne n'a choisi mais qui est une contrainte, un passage obligé, doit être au rendez-vous. J'espère que ce message sera entendu", a-t-il plaidé. Selon lui, "le gouvernement préfère qu'on sauvegarde l'emploi plutôt que rester spectateur et enregistrer les licenciements".

Ce vendredi sur Europe 1, Alexancdre de Juniac, le PDG d'Air France-KLM a rappelé que "les négociations étaient terminées mais que si dans les semaines qui arrivent les organisations syndicales arrivent avec un vrai projet, une vraie volonté de discuter, la porte n'est pas fermée".

Un proche de Valls à la direction d'Air France

Pour autant, la défiance entre la direction et le SNPL est telle que certains observateurs estiment qu'il faudra, éventuellement, attendre l'arrivée du nouveau directeur des ressources humaines d'Air France, Gilles Gateau, l'ancien directeur de cabinet adjoint de Manuel Valls, pour, éventuellement, débloquer la situation. Même si sa prise de fonction est prévue en janvier 2016, il pourrait néanmoins arriver dans les murs d'Air France dès novembre.

Accord de périmètre

Après l'échec des négociations avec les syndicats de pilotes, la direction dispose d'un atout dans sa manche. Le 31 mars prochain, l'accord de périmètre qui définit l'activité en propre de la compagnie Air France, celle des filiales du groupe Air France (HOP, Transavia) et des compagnies partenaires, prend fin. Son importance est cruciale pour les pilotes d'Air France.  "Le SNPL peut toujours rêver, il ne renégociera jamais des conditions aussi favorables pour Air France", explique un pilote.

"Equilibre avec KLM"

A cela s'ajoute le risque d'une dénonciation des accords de "production balance" entre Air France et KLM qui détermine le niveau de production des deux compagnies au sein du groupe (grosso modo 2/3 pour Air France et 1/3 pour KLM).

"Si l'accord est dénoncé, la direction pourrait transférer de l'activité de Roissy vers Amsterdam où les redevances aéroportuaires sont moins élevées", fait remarquer un observateur.

S'il est clair que les coûts des pilotes ne sont pas la cause unique de la situation d'Air France (les écarts de compétitivité des hôtesses et stewards et des personnels au sol par rapport à la concurrence sont plus élevés), la pression ne va cesser de monter sur le bureau du SNPL dès lors que la menace de licenciements approchera (340 pilotes seraient concernés). Le conseil syndical du 8 octobre s'annonce chaud. Va-t-il à nouveau voter une motion demandant au bureau de retourner à la table des négociations? Certains ne l'excluent pas.

Pour faire revenir les pilotes à la table des négociations, la direction devra aussi avancer dans ces négociations avec les syndicats de personnels navigants commerciaux (PNC). "Les pilotes n'ont pas envie de signer sans être sûr que les autres catégories du personnel. L'objectif de la direction était d'avoir des accords cadres le 30 septembre avec toutes les catégories du personnel", fait remarquer un pilote.

Moins médiatisé, le blocage avec les PNC est au moins aussi fort que celui des pilotes. Deux des trois syndicats d'hôtesses et de stewards représentatifs (UNSA PNC et SNPNC) ont refusé jusqu'ici de participer aux négociations pour réviser l'accord collectif des PNC, lequel court jusqu'à fin octobre 2016.

Enfin, le sort des personnels au sol manque de clarté. Pour apaiser les esprits, la direction a prévenu qu'il n'y aurait pas de licenciements secs (mais un plan de départs volontaires) pour cette catégorie de personnels à l'exception des escales les moins compétitives, comme Marseille. De fait, il n'y aura pas de départs contraints à l'escale de Roissy et la maintenance en 2016 mais, s'interrogent certains en interne, ce discours est-il tenable avec une forte baisse d'offre de 10%.

En attendant, les syndicats appellent à des arrêts de travail lundi 5 octobre. Alexandre de Juniac ne prévoit "pas de perturbations importantes".