Air France, une grève longue qui va envoyer aux oubliettes celles de 1998 et 2014

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1321  mots
(Crédits : Pascal Rossignol)
Après cinq jours de grève et six autres en perspective, dont les deux prochains ce mardi et ce mercredi, la compagnie est bien partie pour affronter l'un des plus longs conflits sociaux de son histoire, même si la participation est loin d'être majoritaire.

Où va Air France ? Dans le mur, seront tentés de répondre certains, tant la compagnie aérienne se trouve engagée dans une voie qui paraît sans issue. Après cinq jours de grève et six autres en perspective, dont les deux prochains ce mardi et ce mercredi, la compagnie est bien partie pour affronter le plus grave conflit social de son histoire après, bien entendu, celui de 1971 où tous les avions de la compagnie mais aussi ceux d'UTA et d'Air Inter, avaient été cloués au sol pendant 26 jours. Ceci même si le mouvement est seulement suivi par un gros tiers des pilotes, 20% des hôtesses et stewards et 13% du personnel au sol.

Des grèves plus longues que celles de 1998 et 2014?

Si les 11 jours de grève prévus se réalisaient, la "performance" des pilotes en 1998, à quelques jours de la Coupe du Monde organisée en France, serait dépassée. Emmené par Jean-Charles Corbet, le président du SNPL Air France de l'époque, très apprécié par beaucoup de membres de l'équipe actuelle du bureau du syndicat (certains faisaient partie de son équipe il y a vingt ans), les pilotes avaient mis fin à leur conflit au bout de 10 jours.

Avec 11 jours, l'intersyndicale aujourd'hui portée par le SNPL et son président, Philippe Evain, ne serait plus qu'à trois petits jours du niveau de jours de grève réalisé en septembre 2014 quand le SNPL, dirigé par le pourtant modéré Jean-Louis Barber, avait ferraillé pendant 14 jours consécutifs avec le Pdg d'Air France-KLM de l'époque, Alexandre de Juniac, et celui d'Air France, Frédéric Gagey, aujourd'hui directeur financier d'Air France-KLM. Ce conflit avait été désastreux. Par son coût, 425 millions d'euros, mais aussi par l'arrêt d'une dynamique positive qui avait vu Air France, au fond du trou trois ans plus tôt, se redresser grâce au plan "Transform". La compagnie en porte encore les stigmates.

Impact sur les prises de réservation

Aussi, si l'on combine l'impact direct (25 millions d'euros par jour de grève environ, deux fois plus qu'en 2014 où la direction évoquait 10 à 15 millions) et l'impact indirect sur les prises de réservations pour la période estivale, la note du conflit actuel pourrait bien être beaucoup plus salée que celle de 2014. Non seulement parce que la grève risque d'être plus longue, mais aussi parce qu'elle a lieu à une période beaucoup plus pénalisante sur le plan commercial puisqu'elle impacte les vacances de Pâques et la très lucrative saison estivale. Et, contrairement à 2014, où des titres d'Amadeus avaient été vendus pour remplir les caisses, il n'y a plus de bijoux de famille à vendre.

Dialogue de sourds

Le conflit risque de durer car personne ne voit comment le conflit pourrait prendre fin. Les deux parties sont chacune sur une planète différente.

"La direction est consternée d'être confrontée à des interlocuteurs qui n'ont aucune vision économique ni sens de la réalité et entretiennent le rapport de force pour se positionner en vue des élections professionnelles en fin d'année quitte à balancer des énormités comme le fait que la hausse des salaires ne remet pas en cause les investissements et la croissance", explique un très bon connaisseur de l'entreprise, proche de la direction.

En face, les membres de l'intersyndicale dénoncent « le mépris » de la direction à l'égard de ses salariés, laquelle ne cesse de demander des efforts sans retour pour le personnel. Le langage de certains est parfois extrêmement violent.

« Nous sommes tous convaincus de la légitimité de poser le sac et de réclamer un rattrapage de salaires avec tous les efforts que nous avons faits. Moi, j'aimerais vraiment pouvoir m'adresser à la direction en lui disant : quand vous vous levez le matin, que vous vous regardez dans la glace, est-ce que vraiment, tout au fond de vous, en tant qu'être humain, vous ne ressentez pas une forme de honte de ce que vous vous apprêtez à faire dans la journée pour culpabiliser, écraser, réduire au silence vos salariés? Est-ce que parfois, vous n'avez pas envie de jeter l'éponge parce que je suis juste une ordure (...)? On aurait envie de suivre une direction qui se rendrait compte qu'elle est allée trop loin », a déclaré un membre de l'équipe dirigeante du SNPNC, lors d'une assemblée générale de salariés en fin de semaine dernière à Roissy dont des passages ont été diffusés sur Facebook.

Chacun campe sur ses positions

Les deux parties sont arc-boutées sur leur position. D'un côté, l'Intersyndicale exige une augmentation salariale de 6% pour tous les salariés pour rattraper l'inflation perdue par le gel des grilles depuis 2011 (les pilotes réclament même 4,7% de hausse supplémentaires) en expliquant que la compagnie a dégagé le meilleur résultat d'exploitation de son histoire (588 millions d'euros). Une telle hausse représenterait un surcoût structurel de 240 millions d'euros pour la compagnie. La direction refuse. Accepter, ce serait « compromettre l'avenir d'Air France », a déclaré le Pdg d'Air France-KLM ce vendredi sur les ondes de RTL, en précisant que, si les grilles de salaire avaient été gelées depuis 2011, les rémunérations avaient augmenté à un niveau supérieur à l'inflation en raison du GVT ("glissement vieillesse technicité") pour la majorité des salariés (90%).

La direction maintient donc la hausse de 1% des grilles salariales (assortie d'une enveloppe d'augmentations individuelles pour le personnel au sol équivalent à 1,5% de hausse pour les seuls personnels au sol, dans la mesure où ce type d'augmentations sont régies pour les navigants par des accords spécifiques), qui avait fait l'objet d'un accord en février avec la CFDT et la CFE CGC, accompagnée d'un doublement de l'intéressement, à 60 millions d'euros. En incluant le GVT, la masse salariale d'Air France va augmenter de 4,5% en 2018, a fait valoir Jean-Marc Janaillac.

La direction a également proposé d'augmenter les salariés dont le pouvoir d'achat aurait diminué depuis 2011. Une proposition balayée par les syndicats.

La direction aimerait une négociation comme celle de Lufthansa

Comme l'a fait Lufthansa, elle propose aussi aux pilotes un accord « gagnant-gagnant » dans lequel des hausses de rémunération pourraient être déclenchées en contrepartie de mesures permettant à l'entreprise de faire des économies et de la croissance.

Ayant les cartes en main sur un grand nombre de dossiers stratégiques comme l'extension du périmètre de Transavia au-delà de 40 avions sur lequel leur accord est indispensable, les pilotes peuvent sortir d'une telle négociation avec un gros chèque. Pour autant, s'ils devaient être les seuls bénéficiaires d'une hausse de rémunération après que les syndicats de pilotes ait fait cause commune avec leurs camarades du sol et des hôtesses et stewards, cela risquerait d'accentuer les tensions et les ressentiments chez ces derniers. Selon nos informations, la direction est prête à faire un geste pour les personnels au sol et de cabine, mais une fois achevée la négociation avec les pilotes. Pas sûr que la proposition passe. L'intersyndicale semble en effet unie.

Lors de cette AG, en fin de semaine dernière, Philippe Evain a dit qu'il n'y avait pas d'autre choix que de continuer, que le mouvement n'en était pas encore arrivé au moment où le gouvernement doive intervenir auprès de la direction pour faire cesser la grève. Cauchemar de la direction depuis son arrivée à la tête du SNPL Air France en décembre 2014, Philippe Evain joue un rôle central dans ce dossier. A quelques mois des élections professionnelles, la direction n'a probablement pas envie de voir le président du SNPL sortir de ce conflit auréolé d'une victoire qui le placerait dans des conditions favorables à son renouvellement.