Bruxelles refuse la fusion entre Alstom et Siemens

Par latribune.fr  |   |  1488  mots
Le 27 septembre 2017, quand Henri Poupart-Lafarge, Pdg d'Alstom, et Joe Kaeser, son alter ego chez Siemens, tenaient conférence pour annoncer leur intention de fusionner leurs activités activités ferroviaires afin de créer un champion européen de taille mondiale. (Crédits : Reuters / montage La Tribune)
La Commission européenne a rejeté le projet de fusion entre Alstom et Siemens, censé créer un champion européen du ferroviaire face à la concurrence internationale, notamment chinoise. En Bourse, le cours d'Alstom grimpe, tandis que l'action Siemens était durablement chahutée.

[Artilce publié le 6.02.2019 à 14h23, mis à jour à 15h avec communiqué eurodéputés socialistes]

La Commission européenne a rejeté mercredi le projet de fusion entre Alstom et Siemens, censé créer un champion européen du ferroviaire avec le soutien de Paris et Berlin face à la concurrence internationale, notamment chinoise.

"La Commission a interdit la concentration parce que les parties n'étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés", a déclaré la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager.

Selon la Commission, la fusion aurait notamment porté atteinte à la concurrence sur les marchés des systèmes de signalisation et des trains à très grande vitesse (TGV).

L'entité issue de la fusion serait ainsi devenue le "leader incontesté" sur plusieurs marchés de la signalisation des grandes lignes et des lignes urbaines et aurait réduit "de façon significative" la concurrence pour le matériel roulant TGV, au préjudice des clients européens.

Dans la foulée, Alstom a annoncé qu'il renonçait à son rapprochement avec les activités ferroviaires de l'allemand Siemens pour "repartir de l'avant".

"Ce n'est pas seulement ceux qui crient le plus fort qu'il faut écouter"

"L'intérêt pour cette fusion a été très important de la part de l'Allemagne et de la France, mais il y a 26 autres pays qui eux aussi ont un intérêt pour ce marché", a souligné Margrethe Vestager lors d'une conférence de presse. "Ce n'est pas seulement ceux qui crient le plus fort qu'il faut écouter."

Cette décision largement attendue a été critiquée par les deux gouvernements, le patronat européen et les dirigeants des deux entreprises. Ils reprochent à la Commission de limiter son analyse au seul marché intérieur européen sans tenir compte de l'évolution de l'environnement mondial, marqué notamment par l'émergence de géants chinois comme CRRC dans le ferroviaire.

"Bruxelles sert les intérêts de la Chine" (Le Maire)

Le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a ainsi reproché à la Commission européenne de "servir les intérêts économiques et industriels de la Chine". Mais la Commission a estimé que la concurrence chinoise n'était pas menaçante en Europe.

"Aucun fournisseur chinois n'a jamais participé à un appel d'offres en matière de matériel de signalisation en Europe ou fourni un seul train à très grande vitesse à l'extérieur de la Chine", a répondu Margrethe Vestager, selon qui "il n'y a aucune perspective d'entrée des Chinois sur le marché européen dans un avenir prévisible."

Alstom comme Siemens ont déjà fait savoir qu'ils ne contesteraient pas la décision de la Commission européenne.

Dans une interview publiée hier mardi par Le Figaro, Henri Poupart-Lafarge (Alstom), a averti que ce projet de mariage dans le ferroviaire n'aurait "pas de seconde chance" en cas de veto de Bruxelles, et que chacun repartirait de son côté.

Paris et Berlin veulent une réforme des règles de concurrence

Les ministres français et allemand de l'Économie, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, ont pour leur part fait savoir qu'ils demanderaient une réforme des règles de concurrence européennes.

Bruno Le Maire a précisé sur France 2 qu'il souhaitait voir retenu, comme marché pertinent pour analyser la concurrence, le monde entier et non seulement l'Europe, et que le Conseil européen s'exprime sur les décisions européennes en la matière.

"A ce stade, nous n'avons pas reçu de proposition française en la matière", a répliqué Margrethe Vestager, qui a constesté la nécessité de réformer les règles de concurrence.

"Cette affaire n'est pas la preuve que nous devons modifier nos règles en matière de concurrence. Nous devons peut-être les modifier si nous voulons garantir que les marchés soient concurrentiels lorsque nous passerons au numérique."

Bombardier se réjouit (tout comme les syndicats d'Alstom)

L'un des principaux concurrents occidentaux de Siemens et Alstom, le groupe canadien Bombardier, s'est pour sa part réjoui de la décision de la Commission, tout comme les syndicats d'Alstom opposés à la fusion depuis le début.

"Nous sommes satisfaits que la Commission européenne (...) ait interdit la fusion proposée", a dit le vice-président du groupe Daniel Desjardins dans une déclaration transmise à Reuters. La fusion "aurait gravement affecté la santé et la compétitivité de l'ensemble du marché ferroviaire européen, contraignant les consommateurs, usagers du rail et contribuables européens en payer le prix."

Mauvaise nouvelle pour la SNCF

Le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, a qualifié mercredi de "mauvaise nouvelle du jour" le veto européen à la fusion dans le rail du français Alstom et de l'allemand Siemens, regrettant que les règles de la concurrence empêchent la création de "champions européens".

"C'est une triste nouvelle que l'on ne puisse pas construire un champion européen de taille mondiale dans une industrie qui se mondialise pour de vrai", a indiqué M. Pepy à l'AFP. "On avait très tôt exprimé notre soutien au projet, comme client", a-t-il expliqué, notant que le projet de fusion était "vraiment un projet industriel monté entre les deux groupes".

Le projet permettait selon lui d'"obtenir une meilleure compétitivité, et donc de meilleurs prix parce que les équipements auraient été construits à une plus grande échelle", et aussi d'offrir une gamme de produits "plus complète".

Guillaume Pepy a regretté que, "pour apprécier l'impact d'un rapprochement, on prenne en compte non pas les marchés de demain, mais les marchés tels qu'ils sont aujourd'hui, c'est à dire en gros les marchés d'hier".

"Au lieu de se dire 'tiens, le monde change, et les Japonais, Coréens, Chinois, Indiens... sont aujourd'hui des puissances très fortes dans le matériel ferroviaire, la compétition est mondiale et donc il faut des champions européens', on regarde à échelle de l'Europe ce que sont les parts de marché d'hier, on fait des additions, et ont dit " ah là, c'est trop", a-t-il soupiré.

Poursuivant son raisonnement, le patron de la SNCF, se demandait :

"Donc on regarde à l'échelle européenne et pas à l'échelle du monde, et on regarde hier et pas demain. Cela pose question: est-ce qu'on peut faire une industrie européenne dans ces conditions?"

Il ajoutait:

"Ce que je trouve paradoxal, c'est que si Alstom se rapprochait d'un non-européen, il n'y aurait rien à dire. Si Alstom se rapproche d'un européen, c'est interdit."


Bruxelles a interdit mercredi la fusion entre Alstom et les activités ferroviaires de Siemens au grand dam de Paris et Berlin, fervents partisans de la création d'un champion européen du ferroviaire pour faire face au numéro un mondial, le chinois CRRC.

La commissaire chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, a estimé que "les entreprises n'étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence" soulevées par le gendarme européen.

L'Union européenne ne doit pas être "l'idiote du village planétaire"

Pour les eurodéputés socialistes et radicaux, sur la même ligne que Bruno Le Maire ou Guillaume Pépy, ils se disent, dans un communiqué,  déterminés à favoriser la constitution de champions européens. Selon eux, "cette décision démontre l'urgence de refonder la politique de la concurrence européenne : cette dernière ne peut plus empêcher l'Europe de se doter de la politique industrielle dont elle a tant besoin".

Les eurodéputés socialistes et radicaux promettent d'en faire un des thèmes importants de leur programme lors des élections européennes :

« Nous réviserons la politique de concurrence européenne et assouplirons les règles d'octroi des aides d'État pour faciliter l'émergence de champions européens face aux géants chinois et américains ».

Ils rappellent que le concurrent chinois CCRC pèse deux fois plus lourd que nos deux champions européens réunis (230 TGV par an pour le premier, 35 pour le tandem européen). Leur constat est le suivant :

"Combien de temps allons-nous rester passivement à regarder les Chinois s'imposer dans tous les secteurs ? Si la politique de la concurrence doit servir à lutter contre les géants américains qui abusent de leur position ultra-dominante, elle ne doit pas faire de l'Union européenne l'idiote du village planétaire en ouvrant son marché sans construire ses acteurs (...)."

En Bourse, l'action Alstom grimpe, celle de Siemens chahutée

Les conséquences de cette annonce en Bourse pour chacun des deux protagonistes étaient aujourd'hui pour le moins contrastée.

A 14h30, l'action d'Asltom avait gagné 4,31% et semblait pouvoir continuer sa progression. A l'opposé, le titre Siemens se voyait malmené tout au long de la matinée, s'affichant en début d'après-midi à -0,87%.

(avec Reuters)