Déraillement mortel du TGV Est : un rapport pointe de graves erreurs de la filiale de la SNCF

Par latribune.fr  |   |  952  mots
Le déraillement du TGV Est, le 14 novembre 2015, lors d'un essai ferroviaire, a provoqué la mort de 11 personnes et fait 42 blessés.
Le 14 novembre 2015, le premier déraillement mortel dans l'histoire du TGV (11 morts et 42 blessés) a eu lieu non pas en service normal, mais pendant un essai technique au cours duquel se sont enchaînés des dysfonctionnements dans les procédures comme dans la chaîne de commandement, selon un rapport révélé par Le Parisien et consulté par l'AFP.

C'est "un manque de rigueur" dans l'organisation des essais du TGV Est, dont le déraillement a fait 11 morts et 42 blessés le 14 novembre 2015, qui est pointé par le rapport remis au CHSCT de Systra, la filiale de la SNCF chargée des essais, et consulté vendredi par l'AFP.

L'analyse menée par le cabinet Technologia, révélée par "Le Parisien", indique que :

"Les experts ont pu relever des dysfonctionnements qui, sans être la cause directe de l'accident, restent néanmoins des points à corriger pour réduire les risques liés à ce type d'essais à l'avenir".

Elle fait suite à un autre rapport commandé par la SNCF et Systra, début juillet, qui préconisait lui aussi de mieux encadrer les essais ferroviaires.

Retard de freinage aux causes "multiples"

L'enquête judiciaire en cours a mis en évidence une vitesse excessive comme cause "unique" du déraillement du TGV, tombé dans un canal en Alsace après avoir abordé à 265 km/h une courbe où la vitesse était prévue à 176 km/h.

Mi-février, le Bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) signalait un retard de freinage de 12 secondes aux causes "multiples" mais "pas encore complètement établies".

Le premier rapport du 19 novembre 2015 avait déjà pointé la vitesse excessive et non maîtrisée:

"Si le freinage avait débuté un kilomètre plus tôt au moins, le TGV n'aurait pas déraillé samedi 14 novembre", selon le rapport d'enquête immédiate de la SNCF dévoilé jeudi.

Cet accident, le premier déraillement mortel dans l'histoire du TGV, avait fait 11 morts, dont cinq experts de la société d'ingénierie Systra, et 42 blessés.

Procédures et chaîne de commandement défaillantes

Mais un excès de vitesse n'est jamais dû au hasard, encore moins lorsqu'on est, comme dans ce cas-ci, dans les conditions d'une expérimentation.

     >Lire aussi: Les leçons des « organisations à haute fiabilité » (F. Delorme et L. Ambil, The Conversation, 2016)

Selon Technologia, les règles de conduite des essais "ne définissent pas assez explicitement les rôles et responsabilités de chacun" et le document de référence "manque de rigueur".

Le cabinet relève par exemple des "imprécisions" dans les modalités de calcul des courbes de vitesse et les moyens du chef des essais de faire très rapidement ralentir le train, alors qu'il ne se trouve pas dans la cabine de conduite.

Contrôleur automatique désactivé

Dans ces consignes internes, la désactivation du contrôleur automatique lors des tests en survitesse est présentée "sous un aspect anodin", souligne-t-il également.

Pourtant, cette désactivation, "sans aucun remplacement par un système équivalent, éliminant ainsi toute possibilité de correction d'une possible erreur humaine, induit un niveau de risque qui aurait dû être mieux identifié et recevoir une réponse appropriée".

Flou dans les procédures d'accès au site d'expérimentation

Les experts du cabinet déplorent en outre la pratique "courante" de faire monter à bord des essais des invités non-salariés.

Depuis l'accident, les procédures ont été révisées et "les textes sont plus clairs", notent-ils, en listant une série de recommandations pour améliorer la gestion des risques.

Interrogée par l'AFP, Systra n'a pas souhaité faire de commentaire, invoquant les "enquêtes encore en cours". Filiale de la SNCF et la RATP, la société d'ingénierie emploie 5.000 salariés.

(Avec AFP)

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POUR ALLER PLUS LOIN :

  • Sur le risque d'accident dans les transports ferroviaires

Peut-être cette étude de 2005, intitulée "Analyse des risques d'accident dans les transports ferroviaires", et qui pointait alors des failles dans les systèmes de sécurité européens, pourrait-elle apporter aujourd'hui un éclairage complémentaire sur cet événement tragique.

Dans ce rapport, rédigé par deux experts français de l'INRETS* (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité, rattaché au gouvernement français)*, et diffusé lors du 40e congrès annuel de l'AQTR (l'organisme québécois des transports), on peut notamment lire cet avertissement qui stigmatisait des manques au niveau terminologique et conceptuel, sur la définition même de ce que sont la sécurité, le danger et le risque, c'est-à-dire sur l'absence de langage commun de travail :

"Dans une Europe ferroviaire qui se veut tenante de méthodes, d'indicateurs et d'objectifs de sécurité communs, il est primordial de définir et arrêter un processus d'Analyse Préliminaire des Risques (APR) type fondé sur un langage commun facilitant la coopération en matière d'APR au niveau national et puis au niveau européen. Nous estimons que la divergence autour des définitions et des concepts de base est très importante. La notion de danger est confondue à celle de risque qui se fait confondre elle-même au 'niveau de risque'."

(*) NB: INRETS + LCPC = IFSTTAR. La fusion du Laboratoire central des Ponts et Chaussées (LCPC) et de l'Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS) est effective depuis le premier janvier 2011. L'Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l'Aménagement et des Réseaux, baptisé IFSTTAR, conserve un statut d'EPST (établissement public à caractère scientifique et technologique) placé sous la tutelle conjointe du ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

  • Sur les "organisations à haute fiabilité" (HRO)

Les leçons des « organisations à haute fiabilité » (in "De Zola à Kerviel : les banques changeront-elles un jour ?", par F. Delorme et L. Ambil, The Conversation, 2016)

D'une prévention des risques classique à des organisations à haute fiabilité (par Camille de Bovis, sur Cairn.info)