"La stratégie de l'Etat empêche la SNCF de préparer l'ouverture à la concurrence" (Cour des comptes)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1314  mots
Dans son rapport sur l'Etat-actionnaire publié la semaine dernière, la Cour des comptes recommande à l'Etat de transformer le statut d'EPIC de la SNCF en société anonyme avant l'ouverture à la concurrence afin de lever non seulement l'hypothèque que fait planer ce statut en termes de concurrence équitable et d'aides d'Etat, mais aussi la mainmise de l'Etat dans la gestion de l'entreprise qui handicape sa performance opérationnelle et financière.

Le sujet irrite les syndicats de la SNCF qui y voient la première étape d'une privatisation. Dans son rapport sur la gestion de l'Etat-actionnaire publié jeudi, la Cour des comptes recommande à l'Etat de préparer la transformation du statut d'EPIC (établissement public industriel et commercial) de la SNCF en société anonyme avant l'ouverture à la concurrence prévue en 2020 pour les TGV et au plus tard en 2023 pour les TER et les Intercités, afin de lever, non seulement l'hypothèque que fait planer ce statut en termes de concurrence équitable et d'aides d'Etat, mais aussi la mainmise de l'Etat dans la gestion de l'entreprise qui handicape sa performance opérationnelle et financière. Aux yeux de la Cour des comptes en effet, l'Etat est loin de briller pas par sa vision stratégique.

«L'Etat n'a pas de stratégie claire, cohérente, et partagée, qui permettrait de préparer le groupe public à l'ouverture à la concurrence, d'améliorer sa productivité et de mieux répondre aux besoins de ses clients», a lancé la Cour des comptes. Et d'enfoncer le clou : «L'Etat agit au détriment de l'équilibre financier du groupe SNCF, avec pour conséquence la croissance continue de la dette (50 milliards d'euros fin 2015)».

Pour la Cour, la SNCF est considérée au même titre qu'Areva et EDF, comme une entreprise connaissant de "grandes difficultés".

La jurisprudence de la Poste

Pour rappel, en regroupant dans une même entité, (groupe SNCF) le gestionnaire de l'infrastructure (SNCF Réseau, ex Réseau Ferré de France) et l'opérateur (SNCF Mobilités), la réforme ferroviaire d'août 2014 a donné naissance à un ensemble complexe juridiquement, composé de trois EPIC (la structure de tête SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités). Aux yeux de la Cour des comptes, cette structure risque d'être considérée par Bruxelles comme une aide d'Etat le jour où le monopole de la SNCF sautera, comme ce fut le cas pour La Poste en 2010.

"Le statut d'EPIC est source de fragilité juridique dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. La jurisprudence européenne considère en effet que la garantie de passif implicite et illimitée de l'État, sous-jacente à ce statut, peut être regardée comme conférant un avantage particulier susceptible de fausser la concurrence et d'affecter les échanges, et ainsi de constituer une aide d'État. Sa compatibilité avec les règles européennes n'est donc pas assurée", expliquent les Sages de la rue Cambon.

Une incompatibilité que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) et un rapport parlementaire ont déjà souligné. Le sujet ne date pas d'hier. La question d'un statut de société anonyme s'est notamment posée lors de la préparation de la loi sur la réforme ferroviaire. Mais elle fut vite balayée devant le risque de grogne sociale. Elle n'est pas prête de revenir sur la table dans la mesure où il est peu probable que le gouvernement qui naîtra de l'élection présidentielle s'attaque à un projet aussi sensible socialement. En tout cas, pour le gouvernement actuel, ce sujet n'est pas la priorité de la SNCF.

"La priorité réside aujourd'hui, non dans une évolution statutaire mais dans le redressement de la situation financière des entités du groupe public ferroviaire, dans la perspective de l'ouverture à la concurrence du secteur attendue à moyen terme. Ce redressement devra s'appuyer sur le cadre fixé par les contrats de performance signés entre l'État et les trois entités du groupe public ferroviaire", explique Matignon.

"L'Etat a de multiples objectifs, souvent contradictoires"

Justement, pour la Cour des comptes, en impliquant une gouvernance qui donne le pouvoir à l'Etat et non à l'entreprise, le statut d'EPIC fragilise la performance de la SNCF.

 «Ce statut fait de l'entreprise un démembrement de l'État, sans intérêt social précisément identifié et suffisamment distingué de celui de l'État. De ce fait les entreprises concernées sont soumises à de fréquentes interventions et à des mécanismes de décision publique n'offrant pas un cadre satisfaisant pour le déploiement de leur stratégie (prévisibilité, stabilité, délais). La poursuite de multiples objectifs, souvent contradictoires, imposés par l'État, entrave l'efficacité de l'entreprise. Sans être impossible, une telle approche serait plus difficile à mettre en oeuvre avec une entreprise dotée d'un statut de société anonyme lui conférant un intérêt social spécifique», assure la Cour des comptes.

Ne pas récupérer la dette et maintenir la paix sociale: les préoccupations de l'Etat

Pour les Sages de la rue Cambon, les choix de l'Etat visent deux objectifs : "maintenir la paix sociale et faire en sorte que l'endettement des entreprises ferroviaires ne soient pas pris en compte dans la dette des administrations publiques". En effet, l'Etat ne veut pas que la dette de la SNCF soit comptabilisée dans la sienne, alors qu'il peine déjà à respecter les critères de Maastricht (déficit public inférieur ou égal à 3% du PIB). Cette obsession de ne pas revivre les grèves de 1995 pousse ainsi l'Etat à s'immiscer dans le dialogue social.

"La prégnance de la dimension sociale peut se traduire par l'intervention directe du gouvernement dans des négociations sociales, comme récemment avec la SNCF (juin 2016)", fait valoir la Cour, en rappelant que l'Etat avait contourné la direction pour négocier directement avec les syndicats les accords sur le temps de travail de la SNCF.

A ce titre, les propos du secrétaire d'Etat aux transports Alain Vidalies le 13 septembre dernier, sont éloquents.

"La SNCF appartient aux Français, pas à sa direction ni à ses syndicats. Aujourd'hui c'est moi, demain ce sera un autre qui parlera au nom de la SNCF", avait-il dit devant plusieurs journalistes.

Productivité insuffisante

Résultat, pour la Cour des comptes, le statut d'EPIC empêche le conseil d'administration de la SNCF d'être suffisamment autonome, "à commencer par l'approbation de la nomination des dirigeants et de la stratégie". Le statut de société anonyme contribuerait au contraire «à créer les conditions d'une véritable autonomie de gestion, nécessaire à l'amélioration de la productivité et au redressement de la situation financière ».

Pour la Cour, la productivité de la SNCF est en effet« insuffisamment corrélée à son contexte économique». Selon elle, "elle a beaucoup moins progressé que ses pairs en Suisse ou en Allemagne au cours des 15 dernières années en termes d'unités transportés par salarié et est restée étale en termes de circulation des trains par salarié".

Une affirmation qui a fait réagir le président du directoire de la SNCF, Guillaume Pepy. Ce dernier a émis des réserves concernant l'appréciation de la Cour de la productivité du groupe et a apporté d'autres chiffres de comparaison avec les chemins de fer suisse et allemand.

"La Cour note par exemple un gain de productivité de 21 % des chemins de fer allemands depuis 2008. Or, selon des données publiques émanant de la Deutsche Bahn il apparaît que le ratio unités kilométriques sur le nombre d'agents hors ceux affectés à l'infrastructure, serait au contraire en baisse de 12 % entre 2008 et 2015. Pour les chemins de fer suisses, le gain de productivité sur cette même période serait à 8,1 %", a-t-il indiqué.

Concernant la recommandation de la Cour de modifier le statut de la SNCF, Guillaume Pepy a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur ce sujet. Il a néanmoins ajouté qu'il "observait simplement que la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, a pourvu SNCF à l'égard de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau, d'attributions identiques à celles qu'exerce une société-mère sur ses filiales au sens de l'article L.233-1 du Code de Commerce".