Le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes est abandonné

Par latribune.fr  |   |  1497  mots
(Crédits : Stéphane Mahé)
Le Premier ministre Edouard Philippe a refermé mercredi un dossier de plus de 50 ans en annonçant l'abandon du projet controversé de construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes et l'évacuation des occupants illégaux de la zone d'ici "au printemps".

>> Papier de 17/01/2018 12:34 - réactualisé à 17:13

Le projet controversé d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes a été abandonné, a indiqué mercredi à l'AFP le président du syndicat mixte aéroportuaire (SMA) Philippe Grosvalet après avoir eu au téléphone un conseiller du Premier ministre Edouard Philippe.

"C'est officiel. C'est abandonné", a déclaré M. Grosvalet, président de ce syndicat regroupant l'ensemble des collectivités favorables au projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

"Par cette décision, il (Emmanuel Macron, ndlr) piétine les procédures et décisions de justice, il piétine nos collectivités locales, il piétine le vote des habitants."

Le président de la République Emmanuel Macron avait commandé l'été dernier à trois médiateurs un rapport évaluant la faisabilité du projet de transfert d'aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes. Ce rapport, rendu public en décembre, passait en revue les avantages et les inconvénients du transfert ou du réaménagement de l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique, sans se prononcer pour l'une des deux options.

L'histoire d'un conflit qui traine depuis 50 ans

Le projet contesté de construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes remonte aux années 1960. Il avait été relancé en octobre 2000 par le Premier ministre socialiste de l'époque Lionel Jospin. Des militants anticapitalistes avaient commencé à partir de 2009 à occuper la Zone d'aménagement différée (ZAD), rebaptisée par eux "zone à défendre" et retenue pour y construire le nouvel équipement.

En 2016, une majorité de 55% des votants s'était prononcée en faveur de la construction du nouvel aéroport à l'occasion d'une consultation locale organisée en Loire-Atlantique, sans proposer alors l'option d'un réaménagement de l'aéroport Nantes-Atlantique.

La construction d'un nouvel aéroport était soutenue par de nombreux élus locaux en raison de la congestion de Nantes-Atlantique et pour favoriser le développement économique et touristique de la région.

L'opposition de Français à cet abandon

Les résultats de l'enquête exclusive de l'IFOP sont sans appel. Loin de soutenir les conclusions des médiateurs, les Français ne sont pas dupes. Pour 6 Français sur 10 (58%), « un renoncement du gouvernement s'expliquerait avant tout par la difficulté d'évacuer la ZAD et le risque d'affrontements avec les opposants occupant le site de Notre-Dame-des-Landes. »

Une telle décision du gouvernement ne serait donc pas motivée par des raisons de fond, mais bien par la violence et la radicalité des opposants devant laquelle l'État s'inclinerait. Ainsi, pour 55% des Français, « un renoncement reviendrait à céder aux zadistes » ; une proportion qui monte à 57% chez les habitants du quart Nord-Ouest et à 60% chez les sympathisants de LREM.

Des conséquences inquiétantes pour les Français... et Macron

La perspective d'un abandon du transfert à Notre-Dame-des-Landes inquiète les Français. 56% d'entre eux estiment que cela affaiblirait l'autorité de l'Etat. Les proches du Président de la république partagent cette inquiétude : 60% des électeurs d'Emmanuel Macron et 63% des sympathisants LREM.

Le 26 juin 2016, les habitants de Loire-Atlantique se sont prononcés par référendum à 55,17% en faveur du transfert à Notre-Dame-des-Landes. Le projet bénéficie également de 179 décisions de justice, toutes favorables sans exception. Aussi, pour une majorité de Français (54%), l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes serait un déni de démocratie. Sans surprise, parmi les habitants du quart Nord-ouest, ils sont 6 sur 10 (58%) à partager cette opinion, tout comme 57% des sympathisants LREM.

Enfin, céder aux zadistes et à leur violence serait en outre un mauvais signal pour le développement économique et les investissements en France pour 53% des Français. Les jeunes de moins de 35 ans sont conscients de ces enjeux d'avenir puisque 61% d'entre eux partagent cette opinion inquiétante, tout comme les proches du Président de la République (56% des électeurs d'Emmanuel Macron et des sympathisants LREM).

>> Rapport complet du sondage : https://www.ifop.com/media/poll/3949-1-study_file.pdf

"Nous mettrons fin à la zone de non-droit"

Le gouvernement s'était donné jusqu'à fin janvier pour prendre une décision sur ce projet validé par un référendum local en juin 2016 et 179 décisions de justice mais aussi fortement contesté par les militants écologistes notamment. L'évacuation de ce site de 1.600 hectares occupé depuis 2009 par les opposants au projet et situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes fera figure de test pour l'exécutif, six ans après l'échec d'une précédente tentative.

"Nous mettrons fin à la zone de non-droit qui prospère depuis plus de dix ans sur cette zone", a assuré Edouard Philippe. "Les occupants illégaux de ces terres devront partir d'eux-mêmes d'ici au printemps prochain ou en seront expulsés", a prévenu le chef du gouvernement.

L'aéroport de Nantes-Atlantique sera quant à lui modernisé dans un premier temps sur l'emprise actuelle de l'aéroport dans des "délais rapides", a indiqué Edouard Philippe. La procédure pour l'allongement de la piste de l'aéroport de Nantes-Atlantique sera également lancée et l'aéroport de Rennes sera parallèlement agrandi.

Le Premier ministre n'a pas mentionné le contrat signé avec Vinci fin 2010 couvrant l'exploitation des aéroports existants de Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire Montoir, la construction du nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le transfert vers celui-ci de la plate-forme de Nantes Atlantique.

Cris de joie et coups de klaxon à Notre-Dame-des-Landes

Les opposants à l'aéroport ont salué mercredi à coups de klaxon et de cris de joie la "décision historique" que constitue l'abandon du projet, qui vient mettre un terme pour certains d'entre eux à une bataille vieille de près de quarante ans.

"Moi je n'arrête pas de pleurer, j'ai la joie qui me fait pleurer", sanglote ainsi Marylise Plongeon, une retraitée de 62 ans, avant de tomber dans les bras des autres opposants au projet d'aéroport réunis en ce mercredi à la "Vache Rit", le QG de la coordination des opposants.

"Nous qui avons si longtemps été en marche dans les sentiers de la zone, on va prendre une adhésion En Marche", s'esclaffe un autre, qui a requis l'anonymat.

Dans la tour de guet de la ZAD, des opposants dansaient et avaient accroché une banderole où l'on pouvait lire : "Et toc !"

Le collectif a également promis de "répondre lui-même" à la réouverture des axes routiers qui traversent la ZAD, et en particulier la D281, surnommée la "route des chicanes".

"La présence ou l'intervention policières ne feraient qu'envenimer la situation", prévient-il dans un communiqué.

Ils réclament désormais un "gel de la redistribution institutionnelle des terres" pour que la ZAD puisse "rester un espace d'expérimentation sociale, environnementale et agricole".

Certains vont partir dès demain

L'évacuation de la ZAD - annoncée par "d'ici la fin du printemps" par le Premier ministre Edouard Philippe - est par ailleurs "une bonne échéance", a dit à Reuters Jean-François Guitton, l'un des membres du COPAIN 44, le collectif de paysans locaux opposés à l'ex-projet d'aéroport.

"Certains vont certainement partir dès demain, car la justification de leur présence ici, c'était la lutte", estime l'agriculteur.

"Pour ceux qui voudront rester sur place, il faudra voir au cas par cas, selon les projets des uns et des autres", dit-il, même si Edouard Philippe a assuré que toutes les personnes qui n'avaient pas de titre de propriété devraient quitter la zone.

Les opposants à Notre-Dame-des-Landes vont désormais se rassembler le 10 février prochain, au surlendemain de l'abrogation de la déclaration d'utilité publique (DUP), pour "fêter l'abandon" du projet et "poursuivre la construction de l'avenir de la ZAD".

Sur la ZAD, certains habitants redoutent toutefois d'être évacués "dès ce week-ende, comme ceux du lieu-dit des "Planchettes", un des 70 "lieux de vie" de la zone, qui empiète sur la route des chicanes dont l'évacuation est une priorité.

"On ne sera pas évacués par les gendarmes, mais par les agro-pollueurs et les gens de l'ouest" de la ZAD, est ainsi convaincu un habitant des Planchettes, pour qui la frange la plus écologiste des zadistes pourrait lâcher les militants anarchistes ou libertaires qui vivent à l'est.

Des élus en colère

Le gouvernement a mobilisé un millier de gendarmes mobiles et CRS en Bretagne pour parer à tout débordement après l'annonce de l'abandon du projet d'aéroport, et ce dispositif pourrait être triplé dans les jours à venir.

Les élus locaux ont eux aussi accueilli avec colère et amertume la décision du gouvernement, à l'instar de la maire (PS) de Nantes Johanna Rolland, pour qui il s'agit d'une "trahison du grand Ouest" et d'un "déni de démocratie".

"Emmanuel Macron signe son premier grand reniement", a réagi pour sa part Philippe Grosvalet, président (PS) du conseil départemental de Loire-Atlantique et du syndicat mixte aéroportuaire (SMA) qui finançait le projet. "Il tourne le dos à des éléments fondamentaux de notre démocratie."

(avec agences)