Le transport aérien français peut-il retrouver ses ailes ? (Air France, Corsair, XL Airways, Air Caraïbes, Aigle Azur, ADP...)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  2402  mots
Il y a urgence pour les ailes françaises. Certes, leur situation financière est aujourd'hui meilleure qu'il y a quelques années, puisque la plupart des compagnies aériennes françaises sont dans le vert, à l'image d'Air France qui a dégagé 588 millions d'euros de résultat d'exploitation en 2017. Mais ces résultats sont très inférieurs à ceux de British Airways, de Lufthansa, et de KLM, l'autre filiale d'Air France-KLM.
En organisant, de fin mars à l'automne, des Assises du transport aérien, le ministère des Transports veut redonner des couleurs aux compagnies françaises, qui souffrent d'un déficit de compétitivité. Mais elles n'échapperont pas à des efforts de productivité.

Le transport aérien français va entrer dans une période cruciale. Quelques mois qui vont déterminer son avenir : celui d'un pavillon fort, capable de rivaliser avec la concurrence des compagnies étrangères, ou, au contraire, celui d'un pavillon fragilisé, composé d'un nombre restreint de survivants, tous relégués au second plan de la hiérarchie mondiale, comme hélas il semble en prendre aujourd'hui le chemin. C'est pour éviter ce scénario noir que le gouvernement va ouvrir, de fin mars jusqu'à cet automne, des Assises du transport aérien, une première dans ce secteur qui représente près de 100 000 emplois directs et 2,4 % du PIB français, selon le Scara (Syndicat des compagnies aériennes autonomes).

Alléger les coûts

L'un des objectifs de ces Assises : faire débattre les différents acteurs du secteur pour qu'ils proposent au gouvernement des mesures à prendre afin de redonner des couleurs aux compagnies aériennes tricolores, les seules, dans la chaîne de valeur du secteur (avionneurs, aéroports...), à ne pas gagner confortablement leur vie. L'idée est d'alléger les coûts du transport aérien français, alors que les prix des billets d'avion ne cessent de baisser dans une concurrence accrue.

Il y a urgence pour les ailes françaises. Certes, leur situation financière est aujourd'hui meilleure qu'il y a quelques années, puisque la plupart des compagnies aériennes françaises sont dans le vert, à l'image d'Air France qui a dégagé 588 millions d'euros de résultat d'exploitation en 2017. Mais ces résultats sont très inférieurs à ceux de British Airways, de Lufthansa, et de KLM, l'autre filiale d'Air France-KLM. Et ils proviennent surtout davantage de la reprise économique et de la relative faiblesse du prix du baril que de la mise en place de mesures structurelles. Or, le pétrole ne restera pas éternellement autour de 60 dollars le baril comme il l'a été ces derniers temps. Et la pression concurrentielle ne cesse de s'accroître, notamment celle des compagnies low cost dont certaines commencent à s'installer sur le long-courrier, comme Norwegian et Level. Au point de mettre en danger un grand nombre de compagnies françaises, comme Corsair, XL Airways, La Compagnie, Aigle Azur, ASL Airlines, qui n'ont pas la taille suffisante pour lutter.

« Avec ces Assises, l'objectif est de prendre impérativement des mesures d'amélioration de notre compétitivité, avant que le pétrole ne remonte. Nous avons là une excellente fenêtre de tir, il ne faut pas la manquer », explique le dirigeant d'une compagnie aérienne.

Ces Assises arrivent donc à point nommé, peutêtre même trop tard pour certaines petites compagnies. Un grand nombre d'entre elles sont, en effet, en vente ou cherchent à s'adosser à un grand groupe.

En organisant ces Assises du transport aérien, comme il l'a fait pour les mobilités terrestres en décembre, le gouvernement répond à une demande des syndicats et des directions des compagnies aériennes françaises qui, depuis des années, ne cessent d'alerter les pouvoirs publics sur leurs difficultés, sans avoir les réponses attendues. Pendant le quinquennat de François Hollande, plusieurs rapports (celui du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, rédigé par Claude Abraham en 2013, celui demandé à Bruno Le Roux en 2014 par Matignon, ou encore celui de la Cour des comptes en 2016) ont pourtant tous pointé les difficultés des compagnies aériennes françaises, mais n'ont jamais été suivis d'effets (ou si peu).

Pis, alors que les suppressions de postes se multipliaient, en particulier à Air France - on se souvient de l'épisode de la chemise arrachée de l'ancien DRH -, l'augmentation des montants de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « taxe Chirac », en 2013, celle des redevances des aéroports parisiens d'ADP, même si elles restaient encore modérées, ou l'attribution de quelques vols supplémentaires en France à Qatar Airways en échange de l'achat de Rafale par le Qatar en 2015, ont renforcé le sentiment chez les salariés des transporteurs aériens que l'État se moquait de l'avenir des compagnies aériennes nationales et que tout effort de compétitivité était inutile puisque leur gain était systématiquement absorbé par des décisions prises par l'État, pénalisantes pour leur compagnie.

Les parts de marché se réduisent comme peau de chagrin

Pourtant, des mesures ont déjà été prises pendant le quinquennat de François Hollande, en 2015 et 2016, comme la suppression de la taxe de l'aviation civile pour les passagers en correspondance, l'arrêt du versement de cette même taxe au budget général (et non au budget de l'aviation civile) qui a permis la baisse significative de la redevance pour les services terminaux de la circulation aérienne, ou le blocage des droits de trafic des compagnies du Golfe, à l'exception des 5 vols hebdomadaires accordés à Qatar Airways pour desservir Nice et Lyon (toujours pas ouverts). Mais ces mesures restent insuffisantes pour combler le déficit de compétitivité des ailes françaises face aux compagnies étrangères et enrayer leurs pertes de parts de marché dans l'Hexagone. Celles-ci ont encore baissé de 0,8 point en 2017, elles ne représentent plus que de 42,1% à peine contre 60% en 2000. Elles risquent même de tomber à 35% en 2022, selon la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam), sans tenir compte de l'effet du Brexit, pour l'heure inconnu. Selon la Fnam, si l'État ne met pas enfin en place une stratégie favorable au transport aérien qui permettrait de créer 3.000 postes par an, 16.000 emplois supplémentaires dans les compagnies aériennes pourraient disparaître au cours des cinq prochaines années, après les 11.000 recensés au cours des cinq dernières années.

Les deux casquettes de l'État

La faute à des compagnies aériennes françaises qui n'ont pas su, pour certaines, prendre les mesures nécessaires pour s'adapter à de nouveaux concurrents, comme les compagnies low cost sur le réseau court et moyen-courrier et les transporteurs du Golfe entre l'Europe et l'Asie-Pacifique. En cause aussi, un environnement franco-français défavorable sur le plan du coût du travail et de la fiscalité, qui les empêche de se battre à armes égales avec les compagnies aériennes étrangères. Certains pointent aussi l'absence de stratégie pour ce secteur de la part de l'État tiraillé par ses deux casquettes, celle de l'État actionnaire de certains gros acteurs (comme Air France-KLM, ADP, Airbus pendant très longtemps...) et celle de l'État régulateur du marché.

Si les atouts spécifiques du marché français de l'aérien sont indéniables (première destination touristique mondiale, hubs de Paris..), les handicaps sont nombreux en termes de coûts.

« Le niveau de taxation et des charges en France est un immense frein à la compétitivité des compagnies françaises », explique le PDG d'Air France-KLM, Jean-Marc Janaillac.

D'autant plus quand il touche une compagnie comme Air France, qui réalise 60 % de son chiffre à l'international avec 97% des salariés sous contrat français.

Selon le Pdg d'Air France-KLM, le poids des charges sociales est tel qu'il peut créer un différentiel de coûts allant de 400 à 700 millions d'euros par rapport à d'autres grands pays européens.

« Lufthansa paie des charges patronales à hauteur de 25 %, plafonnées à 100 000 euros de salaires, quand Air France paie 46 % de manière non plafonnée. Au final, l'écart de coûts est de 400 millions d'euros. C'est difficile à rattraper », expliquait-il récemment au Sénat.

Avec des rémunérations des pilotes qui dépassent largement les 100.000 euros, cette absence de plafonnement des charges sociales patronales en France est préjudiciable. Un problème de compétitivité en Europe pour les très hauts salaires, déjà pointé par le secteur financier dans la perspective du Brexit et qui pourrait être aménagé - Bruno Le Maire a évoqué ce sujet en décembre dernier. Pour Franck Terner, le directeur général d'Air France, le décalage de rentabilité entre la compagnie française et KLM (588 millions d'euros de résultat d'exploitation en 2017 pour la première, contre 910 millions pour la seconde) s'explique uniquement par le seul « environnement français ». Ce qui fait sourire chez KLM...

Outre le poids des charges sociales, les compagnies ne cessent de dénoncer un niveau de taxes spécifiques au transport aérien qui serait « supérieur en France à celui des autres pays ». Parmi elles, la taxe de solidarité, qui sert à financer les programmes de santé dans les pays en développement, symbolise à leurs yeux la taxation excessive dont ils font l'objet. Non seulement elle ne pèse que sur le transport aérien, mais elle est quasiment exclusivement payée par les transporteurs français, au premier rang desquels Air France à hauteur de 60 millions d'euros.

Les coûts de sûreté et leur financement constituent une autre particularité du ciel français. Eux aussi seraient 35% supérieurs à la moyenne européenne.

Les coûts de sûreté créent des écarts de compétitivité

En France, « 78% des coûts de sûreté incombent aux compagnies aériennes, un niveau plus élevé que celui des compagnies étrangères », font valoir les transporteurs. Plus exactement, la sûreté est payée par les passagers à travers la taxe d'aéroport, et indirectement par les compagnies qui absorbent son coût dans leurs tarifs. Le montant est, lui aussi, plus élevé qu'ailleurs en Europe. En France, le coût de la sûreté aéroportuaire est estimé à 800 millions d'euros par an. Surtout, ce chiffre pourrait doubler avec l'installation d'ici à 2020 de nouveaux équipements, imposés par Bruxelles. Par ailleurs, le système de péréquation pour financer la sûreté des petits aéroports et l'impact sur les coûts de sûreté d'un réseau dense d'aéroports ont été pointés par la Cour des comptes. Un sujet difficile car sans cette péréquation, de petits aéroports seraient menacés.

Dans la même veine, les compagnies aériennes en France ne cessent de dénoncer le niveau des redevances et leur augmentation continue par ADP, le gestionnaire des aéroports parisiens, même s'il reste moins cher que Londres, ou Francfort. Surtout, elles demandent la fin du système de double caisse chez ADP (lire pages 10 et 11). Il s'agit d'un système de double comptabilité entre les activités aéronautiques (qui font partie du périmètre régulé) et les activités liées aux boutiques, aux restaurants et aux parkings, sur lesquels ADP a la liberté de fixer les prix, et qui dégagent de fortes marges. Validé en 2010 par l'État (actionnaire d'ADP), ce système ne permet plus de faire subventionner les redevances aéroportuaires par les revenus des commerces des aéroports, et donc de faire baisser les redevances. La double caisse symbolise aussi aux yeux des compagnies l'hégémonie de Bercy au sein de l'État, davantage intéressé par les bénéfices d'ADP, dont il reçoit chaque année de beaux dividendes, que par la santé des compagnies aériennes.

Au final, les doléances émanant des compagnies ou des organisations professionnelles (la Fnam, le Scara...) sont longues comme le bras : parmi elles, on compte notamment la mise en place d'« un environnement social, fiscal comparable à celui de l'Allemagne ou des Pays-Bas par exemple », dit Jean-Marc Janaillac. Pourquoi pas, rappellent plusieurs professionnels, en appliquant par exemple à l'aérien un régime spécifique pour les personnels navigants, à la manière de ce qui a été mis en place dans la marine marchande : les armateurs sont exonérés de certaines cotisations sur les liaisons internationales. Autres revendications : la fin des taxes non liées au transport aérien comme la « taxe Chirac » - ou du moins un élargissement de son assiette ; la baisse des redevances aéroportuaires ; une simplification de la réglementation française qui génère, selon les compagnies, «des handicaps de compétitivité » (notamment quand elle corrige et alourdit les textes européens) ; ou encore des règles d'une concurrence équitable, d'une part, avec les compagnies low cost européennes quand elles créent des bases d'exploitation en France (respect du droit français, personnel sous contrat français, charges payées en France) et, d'autre part, avec les compagnies du Golfe, soupçonnées d'être subventionnées, en conditionnant de nouvelles autorisations de vols à l'application de cette « concurrence loyale ».

Un geste de 600 millions d'euros

Que peuvent attendre les compagnies ? Comme le dit un Pdg, « c'est à la fin du marché que l'on compte les bouses de vaches ». Tous espèrent des mesures dès la prochaine loi de finances. Si Jean-Marc Janaillac dit avoir bien conscience qu'il sera « très compliqué d'effacer la différence [avec d'autres pays européens, ndlr] », il espère « qu'un pas sera fait pour les réduire ». Certains analystes estiment qu'à partir de 100 millions d'euros de gains annuels, ces mesures apporteraient déjà un beau gain à Air France. Un montant qui risque néanmoins d'en décevoir plus d'un. Certains syndicats rêvent d'un geste de l'État proche de 600 millions d'euros.

Échaudés par tous les rapports précédents qui n'ont débouché sur rien, beaucoup craignent néanmoins que la montagne n'accouche d'une souris. D'autant plus qu'il ne faut pas tout attendre de l'État. S'il a un rôle indéniable à jouer, il est clair, comme tous les rapports mais aussi les PDG des compagnies aériennes l'ont souligné, que les entreprises ont un rôle central pour améliorer leur compétitivité. « C'est avant tout l'affaire des entreprises », reconnaissait Évelyne Ratte, présidente de la 7e chambre de la Cour des comptes, lors de la remise du rapport sur le manque de compétitivité du transport aérien à l'automne 2016. Il est évident néanmoins qu'une action de l'État issue des Assises de l'aérien pourrait encourager les syndicats à accepter de faire des efforts de productivité supplémentaires. Notamment à Air France où certains d'entre eux exigent au préalable un premier pas des pouvoirs publics...

Lire ici : Et pourtant, la France est un pays béni des dieux pour l'aérien

A lire aussi dans La Tribune hebdo la première interview d'Elisabeth Borne concernant les problématiques du transport aérien.