
Air France-KLM a enregistré en 2017 un bénéfice d'exploitation de 1,5 milliard d'euros. Un record dans l'histoire du groupe. Mais ce résultat, qui provient à 60% de KLM, est largement moins élevé que les quelques 3 milliards et 2,6 milliards respectivement dégagés dans le même par IAG (British Airways, Iberia...) et Lufthansa. Air France et les autres compagnies aériennes françaises pointent à juste titre le poids de l'environnement français pour expliquer des résultats inférieurs à ceux de leurs concurrents. Mais ils oublient souvent de reconnaître les atouts « naturels » considérables que leur apporte le ciel français. Il y a quelques années, Marc Rochet, le président d'Air Caraïbes et de French Bee, avait, lui, pourtant mis l'accent sur ce point.
« Notre pays est béni des dieux », avait-il confié un jour à La Tribune, ajoutant même que « si l'on échoue c'est que l'on est vraiment mauvais » !
Les atouts sont en effet très nombreux pour les compagnies françaises, et notamment pour Air France.
La France, premier marché aérien européen
Elles ont en effet la chance de se positionner sur le premier marché aérien européen, avec 164 millions de passagers en 2017, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni. Même si la concurrence du TGV est féroce sur toutes les destinations à moins de trois heures, ce poids du transport aérien, qui est lié à la population du pays, à son économie, et à la taille et à forme de son territoire, constitue en effet un atout précieux. A ce marché domestique, s'ajoute l'attractivité de la France, première destination touristique mondiale, et de Paris en particulier où se situe le hub d'Air France.
Si British Airways dispose d'un atout similaire avec le capital touristique de Londres, elle ne l'a pas concernant l'attractivité touristique de l'Angleterre, largement moins forte que celle de l'Hexagone. Lufthansa quant à elle, ne dispose ni de l'un ni de l'autre. Sans faire injure à ces villes, Francfort et Munich, où sont situés les hubs de la compagnie allemande n'ont pas l'attrait touristique de Paris. Ni l'Allemagne celle de la France ! Quant à Berlin, la capitale allemande, si elle possède un potentiel touristique à exploiter, elle n'est pas le lieu d'un des hubs de Lufthansa.
Un seul grand hub à gérer
Air France est également avantagée par le centralisme français. La concentration à Paris du pouvoir politique et de la quasi-totalité des sièges sociaux des grandes entreprises lui a permis de concentrer la quasi-totalité de ses opérations au départ de la capitale (même si celles-ci sont à cheval entre Roissy et Orly) et d'exploiter un seul hub pour l'alimentation de ses long- courrier (Roissy). Un avantage par rapport à Lufthansa encore qui a dû s'adapter aux conséquences du fédéralisme allemand, à l'origine de l'existence de plusieurs gros bassins de population et richesse (Hambourg, Düsseldorf, Berlin...), en dehors des deux hubs de la compagnie.
C'est un inconvénient de taille pour la compagnie allemande sur le plan opérationnel et pour la mise en place de stratégies de hubs, dans la mesure où la compagnie doit exploiter deux systèmes de correspondances avec deux réseaux de vols parallèles qui ne doivent pas se cannibaliser. Pour autant, contrairement à Alitalia qui n'a jamais su organiser un système de double hub (Milan et Rome), Lufthansa a réussi à surmonter ces inconvénients grâce à une planification des programmes de vols très efficace. Mieux, avec le rachat de Swiss et d'Austrian Airlines, la compagnie allemande a même réussi à faire tourner quatre hubs situés pourtant les uns sur les autres (Francfort, Munich, Vienne, Zurich).
L'existence d'une seule structure unique de hub (moyen-courrier/long- courrier) à Paris pour Air France est par ailleurs renforcée par les capacités de développement de l'aéroport de Charles-de- Gaulle. Le hub de CDG dispose de quatre pistes quand l'aéroport londonien d'Heathrow est bloqué depuis des lustres à deux pistes et que Lufthansa a dû batailler ferme pour disposer d'une piste supplémentaire à Francfort.
Orly protégé
Enfin, l'environnement concurrentiel est moins dur en France qu'au Royaume-Uni et en Allemagne, où le poids des low-cost et des compagnies du Golfe sont plus importants. Face aux compagnies low-cost, Air France profite de l'absence de créneaux horaires disponibles pour ses concurrents à l'aéroport d'Orly en raison du plafonnement de l'aéroport à 250.000 mouvements par an alors que sa capacité permettrait d'en traiter au moins 450.000. Cette décision politique qui remonte à 1996, constitue un véritable bouclier face à Ryanair, Easyjet ou Vueling, qui rêvent soit de s'y installer (Ryanair), soit de s'y développer pour les deux autres. Faute de créneaux disponibles à Orly, les low-cost qui veulent vraiment se développer à Paris sont contraintes de se poser à Roissy, moins favorable à une activité low-cost.
Face à ces compagnies low-cost, Air France profite aussi des « contraintes de l'environnement » français que dénoncent, à juste titre, les syndicats pour expliquer les difficultés d'Air France. Or, aussi pénalisants soient-ils pour Air France, le coût du travail en France, la cherté des coûts aéroportuaires, l'accumulation des taxes, la fiscalité, ont longtemps été un frein au développement des low-cost en France, même si la pénétration des compagnies à bas coûts est en train de rattraper son retard. A cela s'ajoute le décret de 2006 sur le droit d'établissement qui constitue lui aussi un bouclier face à Ryanair. Jusqu'ici, son PDG, Michael O'Leary a toujours invoqué l'instabilité juridique de ce décret pour ne pas mettre en place des bases d'exploitation en France. Mais ce dernier a changé d'avis en annonçant en janvier son intention de créer dès cette année des bases en France avec des personnels sous contrat français.
Concernant l'attribution des droits de trafic aux compagnies du Golfe, Air France est là aussi mieux lotie que ses concurrentes British Airways et Lufthansa. Emirates par exemple assure 8 vols quotidiens entre Londres et Dubaï contre trois à Paris (sauf un jour de la semaine où il n'y a que deux vols). Après une politique très généreuse, notamment sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, le gouvernement français a fermé les robinets depuis 2012 pour protéger Air France. Certes, l'Etat a manqué à son engagement en promettant en 2015 des vols à Qatar Airways lors de l'annonce de l'achat par Doha de Rafale pour desservir Nice et Lyon à raison de cinq vols hebdomadaires chacun (Lyon n'a pas été ouvert).
Raisons intrinsèques
Pour de nombreux observateurs, l'ensemble de ces avantages compensent l'impact négatif d'un environnement fiscal et social défavorable qu'il ne faut pas évidemment pas nier. Il est réel. Il y a néanmoins d'autres facteurs qui expliquent la fragilité des compagnies françaises. Pour Air France, il se trouve dans une compétitivité intrinsèque inférieure à celles de ses concurrentes européennes notamment chez les hôtesses et stewards (PNC), où il se situerait au-delà de 40%, et dans le personnel travaillant sur les aéroports, où l'écart serait encore plus élevé. Pour les pilotes, il ne serait que de 10 à 20%. Pour les autres compagnies françaises, la situation est différente. Toutes composées de 5 à 10 avions comme Corsair, Aigle Azur, XL, La Compagnie, elles n'ont pas la taille critique pour se développer. Or, pour avoir la taille critique, il faut des moyens. Et les actionnaires d'un grand nombre d'entre cherchent plutôt à vendre ou à s'adosser à un grand groupe.
« Il y a un problème de capitalisation du pavillon français. C'est son problème majeur. Les difficultés récurrentes d'Air France pèsent sur l'ensemble des compagnies françaises, car elles dissuadent les actionnaires potentiels d'investir dans le transport aérien français. Quand vous avez des grèves tous les quatre matins, cela n'aide pas les autres compagnies », pestait l'an dernier Laurent Magnin, le PDG d'XL et de La Compagnie.
Avec la menace de grève des pilotes en janvier puis celle, générale, du 22 janvier pour une hausse des salaires de 6%, il n'a pas dû changer d'avis...
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