Privatisation d'ADP : le casse-tête des actionnaires minoritaires

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  661  mots
Aujourd'hui, ADP vaut 16 milliards d'euros en Bourse. Sa valorisation pourrait grimper à 25 milliards d'euros en cas de privatisation.
Selon plusieurs observateurs, le droit exclusif dont dispose ADP pour exploiter les aéroports parisiens, sans limitation de durée, est incompatible avec une privatisation. Si elle était décidée, celle-ci ne pourrait passer que par l'instauration d'une concession de très longue durée. Problème, ce changement de régime impacterait la valeur d'ADP et pénaliserait les actionnaires minoritaires qu'il faudrait indemniser. Cette charge peut incomber à l'État ou à un nouvel acquéreur par le biais du lancement d'une offre publique d'achat. Or ce point suppose que l'État, qui possède aujourd'hui 50,6 % du capital, cède un bloc d'actions d'au moins 30 % du capital, le seuil à partir duquel un actionnaire doit lancer une OPA sur l'ensemble du capital.

Étudiée par l'État, la privatisation d'ADP, le gestionnaire des aéroports parisiens, tourne au casse-tête pour l'Agence des participations de l'État (APE). Sans même parler de la question de l'opportunité ou pas de privatiser des actifs stratégiques pour le pays qui promet de beaux débats au Parlement au moment où le processus législatif de la privatisation sera effectif, se pose celle de confier à un acteur privé l'exploitation éternelle d'un monopole de fait.

Un droit d'exploitation éternel est incompatible avec une privatisation

En effet, depuis la loi de 2005 relative aux aéroports, ADP dispose d'un droit exclusif pour l'exploitation des aéroports de Roissy, d'Orly et du Bourget sans limitation de durée. Si cette question de l'éternité de l'exploitation d'un actif en situation de monopole ne pose pas de problème quand l'État reste aux manettes du groupe, comme c'est le cas aujourd'hui avec les 50,6 % du capital qu'il détient, elle devient problématique quand l'actif en question est privatisée comme ce sera le cas demain si l'État vend tout ou partie d'ADP. D'autant plus qu'ADP est propriétaire de l'ensemble de son foncier.

Ce point a été souligné la semaine dernière par Xavier Huillard, le PDG du groupe Vinci, donné favori en cas de privatisation d'ADP.

« Le vrai sujet est qu'ADP jouit d'un droit d'exploitation éternel. Certains pensent que cela ne pose pas de problème tant que l'État détient plus de 50 % du capital, mais qu'en passant sous la barre des 50 %, il y a une contradiction constitutionnelle entre le droit d'exploitation éternel et le fait que l'État ne soit plus en position de contrepoids », a indiqué Xavier Huillard à quelques journalistes, en aparté de la conférence de presse présentant les résultats annuels.

Selon certains observateurs, cette éternité se heurterait au droit européen de la commande publique mais aussi, en France, aux principes généraux du droit de la commande publique du Conseil Constitutionnel, et notamment de la liberté d'accès à la commande publique. Pour eux, l'État ne peut pas privatiser ADP s'il maintient l'éternité.

 « L'APE en a complètement conscience et travaille sur une limitation de la durée d'exploitation », explique un connaisseur du dossier. Autrement dit, l'État planche sur un système de licence ou de concession qui serait, à l'issue du contrat, renouvelé ou remis en jeu, voire repris par l'État.

Pas si simple pour autant. La disparition de l'éternité n'est pas sans poser problème. En impactant négativement la valeur d'ADP, elle pénaliserait les actionnaires minoritaires actuels qu'il faudrait indemniser. Le montant de l'indemnisation dépendrait évidemment de la durée de la concession. Plus celle-ci sera longue (entre 50 et 99 ans, comme pour Eurotunnel), plus la perte de valeur serait faible.

Offre publique d'achat

Reste à savoir qui indemniserait les actionnaires minoritaires. Deux possibilités pour cela. "Soit l'État, soit l'acquéreur, et dans cette deuxième option, à travers une offre publique d'achat (OPA) dont le montant inclurait une prime correspondant à la perte de valeur liée à l'abandon du principe d'éternité", explique-t-on à La Tribune.

Un tel scénario passe nécessairement par la cession d'un bloc d'actions d'au moins 30% du capital d'ADP correspondant au seuil à partir duquel un actionnaire doit lancer une OPA sur l'ensemble du capital. Si l'État cède par exemple 20 % en deux blocs, aucun des acquéreurs ne détiendrait 30 % du capital et ne pourrait par conséquent lancer une OPA. Si l'État ne veut pas se lancer dans cette voie, il devra donc prendre à sa charge l'indemnisation des actionnaires minoritaires. Ce qui paraît peu probable. Pour l'heure néanmoins, l'État n'a pas encore tranché sur la façon dont il compte s'y prendre.

Aujourd'hui, ADP vaut 16 milliards d'euros en Bourse. Selon un proche du dossier cité par Reuters mi-décembre, la valorisation pourrait grimper à 25 milliards d'euros (dette comprise) en cas de privatisation.