Quel sera le montant du chèque de l'Etat pour ses infrastructures de transport ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  937  mots
Philippe Duron, président du conseil d'orientation des infrastructures
Missionné par le gouvernement pour réfléchir à l'avenir des infrastructures de transport terrestre au cours des 20 prochaines années, le conseil d'orientation des infrastructures a rendu son rapport ce jeudi. Focalisé sur les mobilités du quotidien, il préconise trois scénarios dont l'enveloppe d'investissements va de 48 milliards d'euros pour le plus modeste à 80 milliards pour le plus ambitieux.

«Une rupture nette avec plusieurs décennies» de politiques d'infrastructures focalisées sur les grands projets éloignées des besoins essentiels des citoyens qui ont le plus souvent débouché sur des « promesses non financées ». En recevant le rapport du conseil d'orientation des infrastructures présidé par le sénateur socialiste Philippe Duron, c'est ce qu'a à nouveau promis ce jeudi Elisabeth Borne, la ministre en charge des Transports, en rappelant les ambitions du gouvernement de privilégier, dans les investissements d'infrastructures, les mobilités du quotidien et de faire une « pause » dans les grands projets. Selon l'exécutif, il manquait en effet dix milliards d'euros dans les caisses de l'Etat sur le quinquennat - sept milliards pour financer les chantiers promis précédemment et trois milliards pour l'entretien du réseau existant. « Il fallait ouvrir une page », a ajouté Elisabeth Borne.

Projet de loi d'orientation des mobilités en avril

Chargé de définir les projets d'investissements pour les vingt prochaines années, ce rapport a cherché à répondre à «deux objectifs stratégiques », selon Philippe Duron :

« placer la France à la pointe de l'innovation, notamment pour assurer les transitions énergétiques, favoriser et encadrer le développement de l'économie collaborative et engager sans tarder les grands projets de liaisons entre métropoles en commençant par les nœuds ferroviaires ».

Avec donc la mobilité du quotidien comme fil conducteur, le rapport propose trois scénarios dont l'enveloppe d'investissements va de 48 milliards d 'euros pour le plus économe à 80 milliards d'euros pour le plus ambitieux. Le gouvernement tranchera dans les prochaines semaines et le scénario retenu servira de base au projet de loi d'orientation des mobilités qui sera présenté en avril.

Trois scénarios

Le premier scénario « celui de l'orthodoxie financière, de la dépense maîtrisée » selon les mots de Philippe Duron, recense ce qui est envisageable si l'Etat met 48 milliards d'euros sur vingt ans dans le budget de l'Afift (Agence de financement des infrastructures de transport de France). Ce qui correspond à un montant de 2,4 milliards d'euros par an, en hausse de 10% par rapport à la moyenne du budget de l'Afift au cours de ces dernières années. S'il permet à peine de rénover l'existant, ce scénario ne permet pas d'atteindre les objectifs principaux fixés par la lettre de mission du gouvernement, et condamne la plupart des grands projets.
Le deuxième scénario est jugé plus convenable, selon Philippe Duron. Représentant un budget de 60 milliards d'euros sur 20 ans, il répond « aux priorités majeures (transport quotidien et régénération des infrastructures) fixées par le gouvernement". Quant au troisième, « l'ambition maximale », il permet d'accélérer tous les programmes et tous les projets ». Son budget s'élève à 80 milliards d'euros.

D'une manière générale, ce rapport plaide pour la rénovation en priorité des grandes gares, la réalisation de nouvelles lignes ferroviaires, mais par étapes échelonnées sur vingt ans, ainsi que pour l'amélioration de la desserte routière des petites villes. Quel que soit le scénario retenu, il n'est plus question de construire d'un tenant de longues lignes à grande vitesse.

"Les grands projets peuvent toujours trouver une légitimité, mais (...) ils ne sont pas forcément aujourd'hui la première des priorités", a relevé Philippe Duron. "Cependant, s'ils amènent une amélioration aux transports d'un territoire, s'ils viennent corriger des insatisfactions des usagers, ils méritent d'être engagés."

Le conseil d'orientation des infrastructures propose d'en saucissonner la réalisation, en étalant les travaux dans le temps. Il coupe ainsi en morceaux les projets de lignes nouvelles de Paris vers la Normandie, de Bordeaux à Toulouse ou de Marseille à Nice, dont certains tronçons ne verront pas le jour avant longtemps. Pour prendre l'exemple de Bordeaux-Toulouse, les travaux de la section Agen-Toulouse pourraient être engagés sur la période 2033-37 avec le premier scénario, en 2028-2032 avec le deuxième (à condition de ne pas construire Montpellier-Béziers) et en 2023-27 avec la troisième hypothèse. Bordeaux-Agen viendrait plus tard. Et, quoi qu'il arrive, on commencerait par désengorger les gares de Bordeaux et Toulouse. Le rapport suggère parallèlement d'abandonner, ou de repousser à un horizon très lointain, certains projets tels que la ligne nouvelle Bordeaux-Dax ou le doublement de l'autoroute entre Lyon et Saint-Etienne.

Les pistes du financement

Reste à financer cela. Pour trouver des fonds supplémentaires, le rapport réfute l'idée d'augmenter les taxes et recommande au gouvernement de procéder à des redéploiements, et d'utiliser notamment une partie des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (Ticpe). «Quelques centimes de Ticpe sont susceptibles de financer les scenarios 2 et 3 », a-t-il dit.

Autre solution, revoir la niche fiscale octroyée aux entreprises de transport routiers, de taxis pour compenser le prix des carburants. De 900 millions aujourd'hui, elle va dépasser les 3 milliards en 2022 quand la contribution carbone va monter en puissance, a fait remarquer Philippe Duron. « Il n'est pas illégitime de revisiter cette niche fiscale pour qu'une partie de celle-ci soit affectée aux investissements d'infrastructures ».

Troisième solution préconisée par le rapport : une vignette forfaitaire payée par les camions ou les véhicules utilitaires légers.

Suivant la mission qui lui a été confiée, le Conseil ne s'est en revanche pas prononcé sur trois projets majeurs, qui font l'objet de débats distincts à haut niveau : la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin, en Italie, le canal Seine-Nord et le réseau de transports du Grand Paris.