Taxis : l'Etat a-t-il fonctionnarisé une profession ?

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1141  mots
"Les prix des courses (des taxis) ont augmenté deux fois plus que l'inflation entre 2005 et 2015", note une étude de la Paris School of Economics.
Pour les députés PS Christophe Caresche, et LR Thierry Solère, l'Etat a sa part de responsabilité dans la situation que déplorent les taxis aujourd'hui. Mais les représentants de la profession également. Explications.

Après trois jours de manifestions, l'Etat vient une nouvelle fois de donner raison aux taxis, qui demandaient, pour la plupart le simple "respect de la loi". Dans un communiqué publié jeudi soir tard, après une longue concertation de plus de trois heures avec les 17 organisations de la profession, Manuel Valls a notamment annoncé, peu avant minuit, le renforcement des contrôles à l'égard des VTC. Le Premier ministre a également prévenu que certaines plateformes seraient menacées de fermeture, si celles-ci ne se conformaient pas à la réglementation en vigueur. Avec dans le viseur, le statut des chauffeurs capacitaires, qui ne respecteraient pas les conditions inhérentes à ce statut - le transport d'au moins deux personnes -, ainsi que le retour à la base entre deux courses, comme le prévoit la loi Thévenoud.

Lire aussi : Entendus par Matignon, les taxis lèvent la grève

Le tout, en rappelant tout de même que

Le droit de manifester est une liberté fondamentale, mais qui n'autorise ni débordements ni violences.

Céder face à la violence ?

Interrogé par La Tribune, le député Républicain Thierry Solère est abasourdi:

"Je suis atterré que le Premier ministre donne le sentiment de céder devant 500 taxis qui cassent tout plutôt que d'aider 70.000 personnes qui ont besoin d'un emploi"

Et d'insister :

"Il est incohérent que l'Etat cède à la pression d'un lobby dans un secteur où il a désorganisé l'activité de tout le monde, qui plus est à un moment où il souhaite résorber le chômage..."

En effet le rapport Thévenoud, comme le rapport Attali avant lui, évoquait la possibilité de créer 70.000 postes dans le secteur du transport de personne, sans créer de choc économique. Ce qu'ont rappelé les députés Thierry Solère et le socialiste Christophe Caresche, la veille de la publication du communiqué de Matignon, lors d'une table ronde animée par La Tribune, à l'occasion des journées Chauffeurs-entrepreneurs initiées par Uber, invitant l'ensemble des acteurs à débattre. Les taxis ont décliné l'invitation.

Thierry Solère poursuit:

S'opposer à la géolocalisation et imposer un retour à la base entre deux courses est complètement rebours. Il vaudrait mieux revoir la loi Loti et ne pas la limiter au transport d'un nombre de personnes compris entre deux et neuf.

Licence offerte contre service rendu

Cela dit, une telle prise de position de la part de Matignon peut ne pas surprendre. Le député socialiste Christophe Caresche confiait ainsi la veille, lors d'une table ronde animée par La Tribune:

L'Etat a géré la question des taxis sous un angle régalien. Pour preuve : les autorités compétentes en la matière ont toujours été la Préfecture de Police et le ministère de l'Intérieur, auxquelles les taxis rendaient parfois service. Il arrivait également que la préfecture délivre des licences pour services rendus...

Cela a donc abouti à la cogestion du secteur par l'Etat et la profession (les représentants des taxis dont une société qui a une position dominante sur le marché), qui est à ses yeux, presque inextricable aujourd'hui. Est-il besoin de rappeler à nouveau l'enquête de L'Obs sur le sujet ?

Et de préciser:

"L'Etat a accepté la constitution d'un marché spéculatif qui a entraîné une bulle spéculative : le prix des licences a été multiplié par trois ou quatre en dix ans".

Sur ce point, une récente étude de la Paris School of Economics a montré par exemple que le prix d'une licence à Toulon avait augmenté de 230% entre mai 2000 et mai 2015. Elle aurait, dans le même temps augmenté de 480% à Bordeaux.

Mais surtout, toujours selon cette étude:

"Le prix des licences a augmenté depuis l'arrivée d'Uber" sur le marché "indiquant des anticipations de profits positives".

La question de la rente

Un problème économique se pose alors, explique Christophe Caresche : comment préserver la rente liée à ces licences ?

"En en limitant le nombre : le fameux numerus clausus des licences, qui, à la base, n'étaient pas cessibles", poursuit-il.

"La question patrimoniale est ainsi devenue prioritaire devant celle de l'activité économique".

Oui mais alors. Quid des chauffeurs qui se sont endettés sur des dizaines d'années pour obtenir le précieux sésame ? Est-ce à l'Etat d'intervenir et de les indemniser ? Car oui, "il existe aujourd'hui des victimes chez les taxis", reconnaît Thierry Solère. Mais à ses yeux, il est clair que:

"L'Etat a fonctionnarisé une profession !"

L'Etat n'a pas à payer, mais a un rôle à jouer

Ce n'est cependant pas à lui de sortir le porte-monnaie, estime-t-il encore:

"Non, l'Etat n'a pas à payer. Ce serait une mauvaise gestion de l'argent public."

Qui alors ?

Et Christophe Caresche de lancer:

"Il existe des évaluations des licences en circulation autour de huit milliards : il doit bien y avoir des gens qui ont gagné de l'argent dans l'histoire !"

Notons au passage l'une des conclusions de l'étude de la Paris School of Economics conclut:

"En France, le revenu des taxis est soutenu par une forte augmentation des prix régulés depuis 2012, ce qui peut expliquer l'absence d'impact d'Uber"

Et pour cause :

"Les prix des courses (des taxis) ont augmenté deux fois plus que l'inflation entre 2005 et 2015".

Bref. Le député socialiste insiste bien sur le rôle de l'Etat dans cette affaire:

"L'Etat de droit doit essayer de régler cette question au lieu de faire porter la responsabilité aux VTC. Car si la loi Thévenoud n'est pas appliquée, c'est parce qu'elle n'est pas applicable. Du coup, comme la ligne Maginot, elle est contournée.

Certes il faut réglementer, mais quand on règlemente, il y a toujours la tentation de sur-réglementer... Laissons du temps pour que le secteur vive un peu avant d'apporter des corrections éventuelles. Ne tuons pas la poule aux oeufs d'or".

Un problème et des solutions

Or s'il y a bel et bien un problème, les solutions ne manquent pas. Du moins les VTC, ainsi que d'autres acteurs du secteur, en ont-ils à proposer! Comme la création d'un fonds de transition privé. La jeune pousse Heetch a pour sa part évoqué une taxe de 1% acquittée par l'ensemble des plateformes, sur chaque course effectuée.

D'autant que "le problème des licences ne concerne qu'une minorité de taxis", d'après Thibaut Simphal, le DG d'Uber France. Celui-ci assure également que:

"Plusieurs études ont montré que le prix des licences reflète les capacités des taxis à frauder le fisc"

Reste que le dirigeant, qui espère que taxis et VTC seront cette fois tous réunis lors des prochaines tables rondes organisées par le député socialiste Laurent Grandguillaume, récemment désigné comme médiateur dans ce dossier, et que des solutions concrètes naîtront d'un dialogue.