Y a-t-il un président pour sauver le transport aérien français ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1472  mots
Depuis 2000, les parts de marché dans l'Hexagone des compagnies tricolores ont chuté de 60 à 43% et devraient tomber à 35% "au mieux" en 2022.
La Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM) propose aux candidats à l'élection toute une batterie de mesures pour améliorer la compétitivité du transport aérien français. Si rien n'est fait, 16.000 postes pourraient être supprimés.

Les compagnies aériennes françaises tirent à nouveau la sonnette d'alarme. Si l'Etat ne met pas enfin en place une stratégie favorable au transport aérien, disent-elles, 16.000 emplois supplémentaires dans les compagnies aériennes pourraient disparaître au cours des cinq prochaines années. C'est ce qu'a indiqué, ce mercredi, Pascal de Izaguirre, le PDG de Corsair lors d'une conférence de presse de la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) - à laquelle participaient Jean-Marc Janaillac, le PDG d'Air France-KLM et Alain Battisti, le Président de Fnam et de la compagnie aérienne Chalair -, destinée à interpeller les candidats à l'élection présidentielle sur les difficultés et du déclin du pavillon français.

"Nous voulons une véritable stratégie pour le transport aérien français", a ajouté Pascal de Izaguirre.

Déclin du pavillon français

Depuis 2000, les parts de marché dans l'Hexagone des compagnies tricolores ont chuté de 60 à 43% et devraient tomber à 35% "au mieux" en 2022. "La dynamique du marché français est pour l'essentiel captée par les compagnies aériennes étrangères", a expliqué Pascal de Izaguirre.

Entre l'an 2000 et aujourd'hui en effet, elles ont transporté 43 millions de passagers supplémentaires en France, six fois plus que les opérateurs français. La faute à une compétitivité supérieure à celle des acteurs français, imputable en partie à l'environnement en France. Pour Jean-Marc Janaillac, les compagnies françaises ne disposent pas d'un environnement économique et fiscal pour "lutter contre nos concurrents".

"Nous sommes confrontés à une concurrence déloyale, à des référentiels sociaux, fiscaux et réglementaires différents qui entraînent des écarts de compétitivité très significatifs les concurrents étrangers", a ajouté Pascal de Izaguirre, qui demande que "le pavillon français puisse avoir les moyens de se battre à armes égales  avec ses concurrents".

Stabilisation des taxes et des redevances

La Fnam a listé une pléthore de mesures qui permettrait de l'air aux compagnies françaises.

"Nous voulons une stabilisation des taxes et des charges aéronautiques (en 2016, elles ont représenté 4,6 milliards d'euros) sur la durée du prochain mandat présidentiel", a indiqué Jean-Marc Janaillac. Ce qui, avec la hausse du trafic prévue sur la période, correspondrait à une baisse des taux.

"C'est légitime, acceptable et supportable", a-t-il ajouté.

Une allusion à peine voilée au niveau de redevances d'ADP que les compagnies veulent voir baisser depuis des années. La Fnam demande aussi le retour à système de caisse unique pour ADP. Le gestionnaire des aéroports parisiens a en effet eu le feu vert en 2010 de l'Etat pour mettre en place un système de double caisse qui sépare la comptabilité des recettes aéronautiques de celle des commerces. Le regroupement des deux (comme cela se pratique dans la quasi-totalité des aéroports) permettrait de "subventionner les redevances aéronautiques par les recettes des commerces et de modérer ainsi les redevances".

L'explosion des coûts de sûreté

Les compagnies aériennes demandent aussi que les nouvelles mesures de sûreté imposées par Bruxelles qui se profilent soient à la charge de l'Etat. Leur coût est astronomique : près de 800 millions d'euros. Les compagnies françaises rappellent que, contrairement à leurs concurrentes, elles prennent déjà en charge la totalité des coûts de sûreté dans l'Hexagone via la taxe d'aéroport. Celle-ci s'est élevée à 952 millions d'euros en 2016.

"Les coûts de sûreté sont supérieurs de 35% à la moyenne européenne", a précisé Jean-Marc Janaillac. Ce dernier demande aussi la fin des "prélèvements supplémentaires pour financer des charges non spécifiques au transport aérien", comme la taxe de solidarité.

La stabilisation des charges et la fin des charges non liées au transport aérien généreraient un gain de compétitivité de 190 millions d'euros.

Simplification du cadre règlementaire

Les compagnies aériennes demandent aussi une simplification de la réglementation qui génère, selon elles, "des handicaps de compétitivité".

"Nous souffrons d'un déficit de compétitivité de 1,6 milliard d'euros. La moitié provient d'une anomalie de la taxation, l'autre d'une accumulation de handicaps qui ont une origine réglementaire et qui pourraient être corrigée à coût nul pour l'Etat", a fait valoir Alain Battisti.

Ce dernier a pointé du doigt la réglementation française qui, contrairement aux autres pays européens, corrige et alourdit des textes européens. Les exemples sont nombreux. Ils vont de l'obligation récente de former les hôtesses et stewards à la désinfection des avions alors que la pratique remonte à plusieurs décennies, au télescopage des règles d'utilisation des pilotes entre celles prônées par Bruxelles et le code français de l'aviation civile, en passant par l'obligation de faire une visite médicale pour les PNC tous les deux ans quand Bruxelles la demande tous les 5 ans. "Cette dernière mesure nous coûte par exemple entre 5 et 8 millions d'euros par an", a souligné Alain Battisti.

Concurrence déloyale

Les compagnies françaises demandent également la fin des pratiques de dumping social de certaines compagnies low-cost qui utilisent le statut de travailleur indépendant ou de travailleurs détachés pour baisser leurs coûts

Concernant les compagnies du Golfe qu'elles accusent de bénéficier d'aides directes ou indirectes de leur Etat-actionnaire, les compagnies françaises souhaitent que les autorisations de vols en France soient soumises à la mise en place dans les compagnies de ces pays des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et celles de l'Organisation internationale du travail.

Que peuvent-ils attendre?

Que peuvent attendre les compagnies ? En 2012, elles avaient fait le même exercice. Et si les différents gouvernements de la mandature de François Hollande ont pris des mesures importantes qui ont permis d'économiser plus de 100 millions d'euros (suppression de la taxe sur les vols en correspondance, versement de la totalité de la taxe de l'aviation civile au budget de l'aviation civile alors que jusqu'ici une partie était reversée au budget général, gel des droits de trafic aux compagnies du Golfe à l'exception de 5 vols par semaine à Qatar Airways sur Nice et Lyon), ils "n'ont pas eu le courage" d'aller plus loin selon la Fnam. Dans le même temps en effet, la taxe Chirac a été augmentée ; les redevances d'ADP aussi, même si la hausse est modérée.

L'absence de réponse des candidats au courrier de Jean-Marc Janaillac qui leur présentait la situation du transport aérien n'est pas bon signe. Seuls deux candidats lui ont répondu...

Les compagnies ont aussi un rôle à jouer

Pour autant, le redressement du transport aérien français ne peut se limiter à la seule action de l'Etat. Les gains de compétitivité doivent avant tout être générés dans les compagnies, ont rappelé les dirigeants des compagnies.

"Les efforts demandés à l'Etat n'exonèrent pas les compagnies de faire les efforts de réforme interne. Nous ne voulons pas d'assistanat", a précisé Pascal de Izaguirre.

Il est clair qu'une action de l'Etat pourrait encourager les salariés à accepter de faire des efforts. Notamment à Air France où certains d'entre eux exigent une action de l'Etat au préalable. Tous ne raisonnent pas ainsi. Une autre partie des salariés d'Air France pense que la compagnie est suffisamment compétitive en interne et que le seul écart de compétitivité avec les concurrents provient du poids des taxes en France.

Il n'y a pas de fatalité. Au-delà d'Air France, d'autres compagnies, comme Air Caraïbes ou XL Airways, parviennent, à atteindre des niveaux de compétitivité très élevées malgré le poids des taxes et de la réglementation.

Les atouts que nous envient les étrangers

Enfin, les compagnies aériennes françaises disposent de nombreux atouts que leur envient leurs concurrents. La France est en effet le premier marché aérien européen et la première destination touristique mondiale. La France est par ailleurs le pays européen où l'environnement concurrentiel est moins élevé avec une présence des compagnies du Golfe et des low-cost moindre par rapport à d'autres comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Cela s'explique par l'action de l'Etat d'avoir plafonné en 1996 l'aéroport d'Orly à 250.000 mouvements alors qu'il pourrait en supporter 450.000. Mais aussi par le gel des droits de trafic aux compagnies du Golfe ou la mise en place d'un décret en 2006 sur le droit d'établissement qui repousse les projets de création de base de Ryanair.

Des atouts qui ont fait dire il y a deux ans à Marc Rochet, le président d'Air Caraïbes et de French Blue. "Notre pays est béni des dieux. Si l'on échoue c'est que l'on est vraiment mauvais."