Pourquoi l'économie française résistera à l'éclatement d'une bulle immobilière

Par Mathias Thépot  |   |  1501  mots
Vue de Paris, où les prix de l'immobilier ne connaissent pas une véritable baisse. Copyright Reuters
Si une bulle immobilière, hautement plausible dans les zones les plus tendues, explosait en France, elle n'aurait qu'un effet marginal sur la santé de l'économie du pays.

Si baisse brutale des prix de l'immobilier en France il y a, les conséquences sur l'économie resteront minimes. Une telle affirmation peut paraître paradoxale. En effet, plusieurs faits récents hors de nos frontières ont montré que l'explosion de bulles immobilières, entraînant la chute immédiate des prix de la pierre, affectait sérieusement les économies locales. Il suffira de citer ici le cas de l'Espagne.

Dépendance des banques

Cet état de fait pourrait être envisageable en France, mais seulement dans certaines zones tendues comme Paris et ses environs, la Côte d'Azur et quelques grandes métropoles. Craindre l'éclatement d'une bulle dans ces secteurs n'est pas forcément illusoire, notamment au regard de la dépendance croissante du secteur bancaire vis-à-vis de l'immobilier : 47% de l'encours total de crédits bancaires sont des prêts immobiliers, soit 1.079 milliards d'euros, selon les chiffres Banque de France publiés en décembre 2012.

Depuis la crise, les banques parient en effet beaucoup sur le crédit à l'habitat, le considérant  notamment comme un incontournable produit de fidélisation du client à long terme. Elles ont de fait fortement soutenu l'inflation immobilière des quinze dernières années par une distribution large de prêts, accroissant théoriquement le risque d'un retournement du marché sur leur propre secteur.

La solvabilité des ménages peu sensible à une baisse des prix

Pourtant, si un retournement de marché se produisait, l'économie française aujourd'hui très tributaire des banques - ces dernières financent près des trois-quarts de l'activité -, ne devrait pas en souffrir outre mesure.
Dans une note datant d'avril 2012, intitulée « les banques françaises peuvent faire face à un effondrement du marché immobilier », l'agence de notation Standard & Poor's estime que le risque de crédit pesant sur les emprunteurs est peu sensible à une baisse des prix de l'immobilier en France. « En réalité, nous pensons que la solvabilité des ménages est moins sensible à un déclin des prix de l'immobilier qu'à un affaiblissement des revenus (...) et sera davantage dégradée par la croissance du chômage », indiquait l'agence. Certes, S&P estime que la capacité d'emprunt des ménages français se détériore, mais l'agence croit en la résilience de leur solvabilité.

En parallèle, S&P ne redoute pas de défaut du système bancaire, qui serait dommageable pour l'économie française : « De notre point de vue, la probabilité qu'un scénario plus défavorable entraîne une croissance significative des besoins de provisionnement (pour défaut de remboursement ndlr) reste faible à cet instant ».

Etre solvable pour obtenir un crédit

Le secteur financier français présente, il faut le souligner, plusieurs spécificités qui endiguent le risque immobilier en comparaison avec les pays anglo-saxons, ou avec l'Espagne qui subit une grave crise immobilière.
Tout d'abord, il prête une grande attention à la situation financière des emprunteurs, triés sur le volet. « En France, à la différence des pratiques observées dans d'autres pays, les crédits immobiliers sont accordés d'abord en fonction de la solvabilité de l'emprunteur et non pas en fonction de la valeur du bien acquis et pris en hypothèque», explique le rapport économique, social et financier associé au projet de loi de finance 2013 publié par Bercy.

« Cette approche, plus prudente, limite l'exposition des banques au risque d'un retournement des prix de l'immobilier », ajoute le rapport. Pour comparer, « si l'on prend l'exemple du modèle américain, la solvabilité de l'emprunteur n'est pas l'élément primordial, le prêt est accordé du moment que la valeur du bien couvre le crédit », indique Jean-Marc Vilon, directeur général de Crédit Logement, un organisme spécialisé dans la caution de prêts immobiliers.

Un danger si tous les emprunteurs revendent

Concrètement, si un retournement du marché se produisait, le danger pour le secteur bancaire, et indirectement pour les ménages, se matérialiserait « par le biais des emprunteurs qui devraient revendre leur bien et dont le produit de la vente ne couvrirait pas, en raison de la baisse des prix, le capital restant dû », estime Bercy.

Or, ce cas de figure ne concerne pas tous les emprunteurs, « seulement ceux ayant des apports faibles et des maturités élevées », ajoute Bercy.  Du reste, d'aucuns constatent que lorsque les banques consentent à financer la très grande majorité de la valeur d'un logement, elles le font en général pour « les emprunteurs les plus riches qui ont d'autres actifs financiers », soulignait S&P dans sa note.
Ce qui de fait confine la clientèle visée par un retournement du marché à une clientèle très solvable. C'est même, selon S&P, « ce qui contribue à maintenir un taux de défaut à un seul chiffre » sur le marché de l'immobilier en France.

Des critères stricts

Bigrement appréciés par les agences de notation, les critères de solvabilité des banques françaises sont aujourd'hui intransigeants, et gagneraient peut-être à s'assouplir, tout au moins à s'affiner, pour réintégrer une partie de la population parfois injustement exclue.
Les banques demandent en effet un flux de revenus régulier, un contrat à durée indéterminée, et prêtent attention au risque de période de chômage.

En outre, les mensualités des prêts ne peuvent pas dépasser 30% des revenus mensuels des emprunteurs, et la maturité moyenne d'un prêt accordé n'excède pas 20 ans. « Les durées des crédits n'ont pas augmenté et sont restées assez raisonnables ces dernières années », indique Jean-Marc Vilon. « Aujourd'hui, seuls 17% des prêts sont entre 25 et 30 ans et seulement 0,5% sont supérieurs à 30 ans », ajoute-t-il.

Le montage des prêts est également particulièrement sobre en France, avec une grande proportion de prêts à taux fixe, soit 80% de l'encours total, « ce qui limite l'exposition des ménages à un scénario de retournement des taux d'intérêt », estime S&P. Pour les 20% restants, ce sont principalement des prêts à taux variables plafonnés ou à mensualité fixe, ajoute l'agence de notation. « Le modèle du financement de l'immobilier en France est plus solide car beaucoup plus conservateur et protecteur. Il y a peu d'innovation financière », estime pour sa part Jean-Marc Vilon. « Les marges sont très faibles sur le crédit immobilier. On ne peut donc pas risquer d'avoir des taux de défaut très élevés. Ce, d'autant plus que l'on s'engage sur des durées longues » ajoute-t-il.

La caution plutôt que l'hypothèque

Dans sa note, Standard & Poor's relève aussi une autre spécificité du marché français : la caution de prêt immobilier. Cette technique garantie 60% des prêts résidentiels en France, contre seulement 30% pour l'hypothèque, pourtant largement majoritaire dans les pays anglo-saxons. En fait si l'on prend en compte les voisins européens, seules la Suisse et la Belgique ont généralisé cette pratique. « Ces garanties financières agissent comme un premier niveau de protection en cas de détérioration de la qualité de crédit des emprunteurs », indique S&P. Ce qui limite encore l'impact d'un défaut des emprunteurs sur le secteur financier, d'autant que le leader du marché, Crédit Logement, est une société dont les principales banques françaises sont actionnaires. Elles mutualisent donc en quelque sorte leur risque de crédit.

L'éclatement d'une bulle immobilière, facteur d'égalité sociale...

Le secteur financier français ferait donc preuve de robustesse en cas de choc à la baisse sur les prix immobiliers, un choc qui ne déplairait pas aux 3,6 millions de personnes mal-logées en France, selon la fondation Abbé Pierre. Une question se pose alors, ne serait-il pas efficient pour la société et l'économie que les bulles immobilières qui se sont formées dans les zones tendues de l'hexagone éclatent ? Permettant ainsi à une population aujourd'hui exclue du logement ou de l'accès à la propriété d'y revenir, alors que les rentiers qui en souffriraient auraient malgré tout la capacité d'amortir le choc.

... et de bonne santé pour les banques ?

Semblablement, en se positionnant du côté des banques, stopper l'inflation immobilière ne serait pas irraisonné. Celle-ci accroît en effet « le besoin de refinancement de marché des banques » selon Bercy, qui explique : « Alors que les dépôts des ménages n'augmentaient pas dans les mêmes proportions, l'augmentation parallèle des prix de l'immobilier et des encours de crédits à l'habitat s'est traduite, toutes choses égales par ailleurs, par un accroissement du besoin de refinancement par le marché des crédits bancaires à l'économie française ».

À terme, ce déséquilibre rend les banques plus sensibles à des épisodes de stress sur les marchés sur lesquels elles se refinancent, avec l'effet, lui bien réel, que l'on connaît sur l'économie.