Transition énergétique. De l'art subtil de décider en pleine incertitude

Par Dominique Pialot  |   |  893  mots
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Blocages réglementaires ou de principe, incertitudes quant à l'évolution de la technologie et des modes de vie, un marché mondial en plein bouleversement... pas simple d'imaginer le mix énergétique français dans 10 ou 40 ans.

A quelques semaines de la remise à Delphine Batho d?un premier draft de propositions transmises par le Conseil national du débat sur la transition énergétique, les discussions qui se sont tenues cette semaine dans le cadre du forum annuel organisé par Enerpresse étaient nécessairement placées sous le signe de cette transition.

On a pu observer qu?en dépit de quelques points de consensus, les blocages, qu?ils résultent d?oppositions frontales entre acteurs aux intérêts divergents ou d?incohérences réglementaires, demeurent légion. Sans parler des incertitudes inhérentes à toute projection future, qui suscitent des réactions diverses.

Les territoires en première ligne sur l?efficacité énergétique

Parmi les sujets les plus consensuels : le rôle croissant que seront amenés à jouer les territoires dans cette transition. A des échelons variables, les collectivités locales ont été remises à l?honneur dans notre douce France historiquement hyper centralisée en vertu de leur efficacité en matière d?actions de lutte contre le changement climatique et notamment de développement des énergies renouvelables (ENR). Un « certain niveau de décentralisation » de la production d?énergie semble désormais acquis.

D?autant que dans la situation actuelle de crise économique et de finances publiques exsangues,il faut d?abord que les investissements se réalisent pour que cette transition s?enclenche. Or, quelle que soit leur nature (ferme éolienne, ligne à haute tension, centrale de méthanisation?) la quasi totalité des projets se heurte à l?opposition des riverains. Et ce sont bien les collectivités locales les mieux à même de lever ces réticences, à condition de pouvoir faire la démonstration des retombées positives d?un projet en termes d?emplois et d?activité économique au niveau local. Ce qui suppose de modifier à la fois la fiscalité, afin de maximiser ces retombées locales, et la réglementation, pour accélérer les processus de décision et d?autorisation particulièrement lourds et longs en France, et favoriser, par exemple, le financement participatif des projets ENR.

Une consommation divisée par deux d?ici à 2050

Autre donnée admise de façon quasi-unanime, à l?exception notoire des fournisseurs d?électricité, la nécessité de diviser la consommation nationale d?énergie par deux d?ici à 2050 pour être en mesure d?atteindre le facteur 4 (division par 4 des émissions de gaz à effet de serre à cette échéance).

Consensus également sur la nécessité de s?attaquer en priorité au secteur du bâtiments, en commençant par les plus énergivores, pour améliorer la sobriété globale du pays. Mais, pour ce faire, le secteur doit impérativement modifier ses modes de fonctionnement traditionnels et s?adapter à la nouvelle exigence d?efficacité énergétique.
En revanche, les transports, qui viennent juste derrière en volume et, surtout, consomment la plus grande partie des hydrocarbures importés, n?ont été que très peu évoqués dans le débat.

L?efficacité énergétique, deuxième « source » d?énergie française en 2050 ?

Globalement, on estime que les gisements d?efficacité énergétique, s?ils étaient correctement exploités, pourraient à l?horizon 2020 représenter 35 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), en-dessous de la consommation pétrolière attendue à cet horizon (46 Mtep) mais légèrement au-dessus de la consommation électrique (33 Mtep).

Mais au cours des échanges, ce qui divise le plus, c?est finalement l?attitude adoptée ou conseillée face aux incertitudes inhérentes à tout exercice de prospective, plus encore en matière d?énergie, un secteur marqué aussi bien par des évolutions technologiques, économiques ou géopolitiques.

De nombreuses voix s?élèvent pour souligner que l?avenir, par définition, ne ressemblera pas au passé, qu?à titre d?exemple, on aurait eu les plus grandes difficultés à anticiper il y a vingt ans les bouleversements liés à l?explosion des télécoms.

Ni trop tôt, ni trop tard, ni trop, ni trop peu?

A partir de là, d?aucuns misent tout sur d?hypothétiques ruptures technologiques rendant inutiles tout effort de sobriété, quand d?autres se contentent de projections « balistiques ». Consistant à poursuivre la trajectoire actuelle, elles ne tiennent au contraire aucun compte des évolutions technologiques à venir et encore moins de celles des de modes de vie.

Quant au gouvernement, de l?aveu même de l?un de ses représentants, la situation des finances publiques va le contraindre à faire des choix entre différentes solutions, sans savoir laquelle se serait in fine révélée la plus efficace. Avec une difficulté : opérer cette hiérarchisation « ni trop tôt, ni trop tard ». Autre commentaire entendu au cours des débats : pour être retenue, une solution doit démontrer sa « soutenabilité », y compris, si ce n?est d?abord, sur le plan économique.

Autrement dit, s?il est bien naturel qu?une nouvelle technologie soit soutenue à ses débuts de façon artificielle, pas question que la situation perdure de façon indéfinie. Là encore, question de curseur?

L?adage mendésien selon lequel « gouverner, c?est choisir » est donc particulièrement délicat en matière de transition énergétique, sans qu?on ait même évoqué ni le nucléaire, ni les gaz de schiste, qui ont pourtant bien « pollué » le débat.