Nucléaire ou renouvelables, est-ce vraiment la question ?

Par Dominique Pialot  |   |  1384  mots
En se focalisant sur la question de l'offre en énergie et de son mode de production, le débat risque d'ignorer les solutions, celles qui existent et celles qui restent à inventer, pour réduire la demande.

Les énergies renouvelables peuvent-elles remplacer le nucléaire ? C'est le plus souvent en ces termes que l'on pose le débat  sur la place de ces deux sources d'énergie. Mais, en dehors du fait que ce sont les seules à produire de l'énergie sans émettre de CO2, donc compatibles avec la lutte contre le changement climatique, tout ou presque les oppose. Il n'est guère envisageable de remplacer rapidement l'un par les autres, et cela semble même utopique pour certains usages. Mais les arguments le plus souvent invoqués sont aussi ceux qui prêtent le plus le flanc à la critique.

Intermittentes

Le nucléaire offre une grande disponibilité (85 % en moyenne) qui lui permet d'alimenter en permanence les utilisateurs de toutes natures, du TGV aux cimenteries en passant par les convecteurs électriques qui équipent massivement les logements français. A l'inverse, les énergies renouvelables les plus répandues, l'éolien et le solaire, sont des sources d'énergie intermittentes, qui par définition ne produisent que lorsque le vent souffle (30 % de disponibilité) ou le soleil brille (20 % en France). On estime à 150 MW la capacité solaire installée pour compenser 50 MW de nucléaire. Pour assurer une production d'énergie constante, il faudrait donc utiliser en parallèle des solutions de « backup » alimentées par des sources conventionnelles.
Les énergies renouvelables ne peuvent donc répondre à la demande lors des pics de consommation, de plus en plus fréquents et de plus en plus élevés, ni répondre à des demandes de fortes puissances, telles que le TGV ou certaines industries électro-intensives. La biomasse, seule technologie renouvelable prévisible et capable de produire en continu, reste peu développée en France, et les installations existantes ont des puissances encore faibles au regard des centrales thermiques ou nucléaires.

Des solutions de stockage encore insuffisantes
A l'inverse, il peut arriver que les énergies renouvelables produisent plus que le réseau ne peut absorber à un instant t. En l'absence de solutions de stockage, cette énergie est exportée s'il y a une demande, mais le plus souvent perdue. Sur ce point, une meilleure interconnexion transfrontalière permettrait d'absorber une plus grande partie de cette production intermittente, les éoliennes de mer du Nord produisant rarement en même temps que les panneaux solaires du Sud de l'Europe. Ce système est d'ailleurs testé à plus petite échelle en Allemagne sous le nom de KombiKraftWerk.
Quant au stockage, on voit apparaître des solutions à base d'hydrogène, mais à ce jour la seule solution éprouvée à grande échelle est celle du « pompage-turbinage ». Il s'agit de pomper de l'eau pour la stocker dans des réservoirs en hauteur grâce à l'énergie produite, et à la relâcher en la faisant passer par des turbines au moment où l'on a besoin de cette énergie. Une solution adaptée aux pays montagneux équipés de barrages comme l'Autriche ou la Norvège, qui y recourent massivement.
Même techniquement, la capacité du réseau électrique à les absorber constitue un des principaux freins à une utilisation massive des énergies renouvelables.

L'avènement des réseaux intelligents doit remédier en partie à ce problème, en donnant au gestionnaire du réseau des outils pour équilibrer en permanence l'offre et la demande. L'installation de compteurs par exemple lui permettra d'obtenir en temps réel une photographie précise de la consommation nationale à l'instant T, et d'ajuster la production d'énergie conventionnelle de façon à absorber plus de renouvelables. A l'inverse, l'effacement électrique permet, via des agrégateurs de consommateurs individuels ou industriels, de décaler une partie de la consommation dans le temps en cas de pic de demande.

Vraiment plus coûteuses ?

Mais le principal argument des opposants aux énergies renouvelables est celui du coût. Il est vrai que l'électricité française (d'origine nucléaire à 75 %) est l'une de moins chères d'Europe. Mais ce prix modéré est le résultat d'un parc existant largement amorti. Or les mesures de sûreté supplémentaires imposées depuis l'accident de Fukushima vont alourdir la facture. Sans compter la prise en compte de coûts afférents d'ores et déjà été plusieurs fois révisés à la hausse, qu'il s'agisse du site d'enfouissement des déchets, du démantèlement ou de la prochaine génération, les EPR. Le rapport de la Cour des Comptes paru il y a quelques semaines, supposé décrypter le « vrai coût du nucléaire » n'a pas vraiment permis d'élucider tous ces points, faute de chiffres fiables disponibles.
Les renouvelables de leur côté restent encore massivement subventionnées et pèsent lourd dans la facture d'électricité. Le mégawattheure est à 60 euros en moyenne au prix de gros, 42 euros pour le nucléaire si l'on se réfère à la loi Nome (nouvelle organisation du marché de l'électricité). En comparaison, l'éolien terrestre coûte 80 euros et le solaire photovoltaïque de 300 à 600 euros. Entre ces deux extrêmes, la biomasse se situe entre 120 et 140 euros et l'éolien offshore, pour lequel les résultats de l'appel d'offre doivent être publiés en avril, devrait se situer autour de 170/180 euros le MGh.

Les courbes de prix finiront par se croiser


Pourtant, l'éolien approche de la parité réseau (un prix équivalent à celui de l'énergie conventionnelle) dans de nombreux pays, et le solaire y parvient également dans les régions les plus ensoleillées. Les acteurs de ces filières entrevoient dans un avenir proche la possibilité de se passer des subventions, qui baissent un peu partout en Europe, y compris en France où un moratoire sur le photovoltaïque a été instauré fin 2010 pendant plusieurs mois. L'effondrement des coûts et la situation de surcapacité observés depuis deux ans ont provoqué la faillite de plusieurs acteurs historiques du secteur solaire. Mais pour ceux qui sauront passer le cap, la parité réseau (même plus longue à atteindre dans un pays où l'électricité est peu chère comme la France) en sera d'autant plus rapide. Les courbes de prix du nucléaire et des énergies renouvelables finiront donc par se croiser.

Solutions d'avenir créatrices de valeur et d'emplois

D'ailleurs, à l'échelle mondiale, ces dernières continuent d'attirer les investisseurs. En 2010, elles ont mobilisé plus de 210 milliards de dollars dans le monde, et représenté plus de la moitié des nouvelles capacités installées. A l'échelle mondiale et à moyen et long termes, ces filières sont promises à un bel avenir, et certains observateurs estiment qu'il est grand temps que les industriels français s'y positionnent. Ce qui semble encore possible sur l'éolien offshore, malgré le retard accumulé sur les leaders européens comme l'Allemagne, le Danemark ou le Royaume-Uni.

Mais en France, la stabilité du cadre tarifaire et surtout réglementaire indispensable pour attirer les investisseurs et développer une filière est loin d'être acquise. Et les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement restent modestes, notamment en comparaison des puissances déjà installées en Allemagne, qui a créé 370.000 emplois dans le secteurs. D'ailleurs, même l'objectif de 23 % fixé pour 2020 dans le cadre du paquet climat énergie européen n'est pas garanti. A huit ans de l'échéance, la France n'en est encore qu'à 12,9%.

Le potentiel des économies d'énergie

Pour autant, alors même que seulement 22 % de l'électricité allemande était d'origine nucléaire (contre 75 % pour la France), l'Allemagne devra très probablement recourir massivement au gaz russe (ce qui limite fortement son indépendance énergétique) et même sans doute au charbon (ce qui est contraire à ses objectifs de réduction d'émissions de CO2) avant de pouvoir compter exclusivement sur les énergies renouvelables.
De part et d'autre du Rhin, plutôt que (et dans tous les cas, avant) de se focaliser sur le nucléaire et les renouvelables, une partie de la solution semble plutôt résider dans les gisements d'économies d'énergie. Surtout en France, où, à usage égal, notre facture est d'un quart supérieure à celle des Allemands. L'association négaWatt a ainsi publié récemment un scénario estimant à 65 % les économies d'énergies réalisables d'ici à 2050, 91 % d'énergies renouvelables et une sortie définitive du nucléaire vers 2033...


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