Michelin veut révolutionner l'automobile

Par Dominique Pialot  |   |  774  mots
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EDF va louer des voitures électriques, la SNCF affrète des bus, les constructeurs automobiles proposent des «services de mobilité»... Comme l'explique à La Tribune son directeur prospective et développement durable Patrick Oliva, Michelin aussi entend s'affirmer comme «acteur de la mobilité», en agissant non seulement sur le véhicule mais aussi sur son usage.

Patrick Oliva, directeur de la prospective et du développement durable du groupe Michelin, s'intéresse à la voiture électrique depuis le début de sa carrière professionnelle chez le fabriquant de batteries SAFT, il y a une bonne trentaine d'années. Il avoue qu'il s'attendait à un décollage plus rapide. «Au cours de la décennie actuelle, nous observerons de nombreuses expérimentations, des rapprochements entre les différents acteurs de la mobilité, mais c'est véritablement la prochaine décennie qui verra décoller les voitures hybrides et électriques», anticipe-t-il aujourd'hui. Cet avènement lui semble inévitable, tant la dépendance actuelle au pétrole constitue un frein à la mobilité des marchandises et des personnes.

Une consommation encore trop élevée

«Cette nouvelle mobilité sera marquée par la connectivité entre véhicules, entre véhicules et bâtiments, entre véhicules et infrastructure, etc. et l'introduction de la composante électrique dans les véhicules, qu'il s'agisse du moteur, de l'électronique de puissance, de batterie ou de pile à combustible.»

Mais un frein, pourtant rarement évoqué, lui paraît incompatible avec un développement de masse des véhicules existants: leur consommation d'énergie, qui demeure trop élevée pour être intéressante sur le plan économique et en termes d'écologie, selon la provenance de l'électricité. «A environ 25 kWh pour 100 kilomètres, leur consommation correspond à 2,5 litres de diesel, précise-t-il. Pour que cela devienne intéressant quel que soit le mix énergétique, il faut descendre jusqu'à 15 kWh pour 100 kilomètres, ce qui, même pour une électricité produite à partir de charbon, représente 100 grammes de CO2 par kilomètre parcouru». L'objectif actuellement fixé par la Commission européenne pour les véhicules neufs est de 120 gr/km.

Une industrialisation d'ici 2016

Plusieurs pistes permettent d'atteindre cette performance: alléger le véhicule, optimiser les auxiliaires et grappiller des gains d'énergie sur tous les composants. C'est là que les roues motorisées développées par le groupe prennent tout leur sens. «Avec les roues motorisées, le capot et tout ce qu'il y a dessous deviennent inutiles», affirme Patrick Oliva. Ce qui permet d'éliminer les volumes inutiles et d'offrir une habitabilité maximale. «On peut optimiser leur efficacité en travaillant roue par roue grâce à l'électronique et, par exemple, proposer des fonctionnalités 4x4 à des prix abordables.»

Michelin teste actuellement son invention dans différentes configurations et auprès de plusieurs constructeurs d'automobiles et de bus, sur lesquels cela permet de gagner en habitabilité grâce à des planchers plats. «Nous travaillons actuellement avec un consortium d'équipementiers et de constructeurs avec pour objectif d'amener ces roues au stade de l'industrialisation d'ici à 2016».

Ré-inventer complètement la voiture

En tant que telles, les roues motorisées n'ont rien de très nouveau. «Depuis le début du XXe siècle déjà, on essaie de mettre des moteurs dans les roues, reconnaît Patrick Oliva. Mais aujourd'hui ils sont plus petits et puissants et suffisamment légers pour ne pas perturber le fonctionnement de la roue.» Surtout, Michelin pense avoir une longueur d'avance sur ses concurrents. Les autres technologies  utilisent des moteurs co-axiaux qui les alourdissent et vont probablement limiter leur développement.

Mais le véritable intérêt de ces roues motorisées ne s'exprimera vraiment qu'à partir du moment où les constructeurs oseront inventer des véhicules totalement nouveaux.  Pour l'heure, Patrick Oliva regrette que «les véhicules classiques électrifiés ne décalent ni la relation entre le conducteur et la voiture, ni l'habitabilité ou l'organisation de l'espace intérieur et extérieur.» Seul le BB1 présenté par Peugeot au dernier salon de Francfort, et qui peut loger quatre personnes malgré sa petite taille, grâce à l'espace gagné par les roues, préfigure ce que pourraient être ces véhicules d'un nouveau genre.

De multiples services depuis le guide gastronomique

Non content d'espérer être à l'origine des véhicules de demain, c'est aussi sur le terrain de l'offre de services que Michelin entend jouer un rôle. «Avec l'avènement de la connectivité et de l'électrique, on va assister à une recomposition des acteurs de la mobilité et à l'émergence de prestations nouvelles, pour offrir non pas la possession d'un véhicule mais l'utilisation de la mobilité», rappelle Patrick Oliva. Et Michelin, dont le fameux guide préfigurait déjà le service à l'automobiliste, peut se targuer d'être déjà entré dans cette ère du service, par exemple avec ses contrats dans l'aéronautique portant sur un nombre donné d'atterrissages, ou ceux destinés aux transporteurs routiers, basés sur le kilométrage.