La voiture en libre-service à la conquête des villes allemandes

Par Pauline Houédé, à Berlin  |   |  986  mots
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Libre-service intégral, voitures électriques, applications pour smartphones... En Allemagne, les constructeurs automobiles multiplient les offres et les formules de voitures en autopartage pour mieux se concilier les faveurs des municipalités, arguments écologiques à l'appui. Premières villes visées : Berlin, Düsseldorf et Cologne.

Une déco récup, des tournois de tennis de table et des séances télé devant Tatort, la série policière qui cartonne outre-Rhin. Voilà l'équation marketing concoctée l'été dernier par Daimler, avec sa boutique éphémère ouverte dans le quartier jeune et bobo berlinois de Kreuzberg, pour faire la promotion de son nouveau service d'autopartage Car2go dans la capitale allemande.
Le constructeur met le paquet pour séduire les Berlinois avec sa flotte de Smart bleu et blanc. Car à Berlin la compétition est rude. Les acteurs du marché lorgnent sa population jeune et non motorisée. « Seulement 30 % des Berlinois possèdent une voiture », explique Michael Fischer, responsable de la communication de DriveNow, le service d'autopartage proposé par BMW, en concurrence directe avec Daimler.

Le libre-service intégral à partir de 2 euros

Depuis l'arrivée des constructeurs automobiles, la capitale allemande connaît la plus grosse offre du pays, avec plus d'une dizaine d'entreprises dans la course : après BMW en septembre 2011 et Daimler en avril 2012, Citroën a débarqué à Berlin avec ses C-Zéro l'été dernier.
La formule des constructeurs est presque toujours la même : une voiture disponible en free floating, c'est-àdire en libre-service intégral, par opposition au système de stations développé par les acteurs déjà établis de l'autopartage, présents dans le pays depuis les années 1980.
Cette formule offre moins de contraintes, puisque le client gare son véhicule à l'endroit de son choix après utilisation. Chaque constructeur a conclu un partenariat avec un spécialiste en charge de la logistique (Europcar pour Daimler, Sixt pour BMW, Deutsche Bahn Rent pour Citroën). Ils ont un prix identique ou presque, à 29 centimes d'euro la minute, ou à partir de 2 euros les dix minutes pour Citroën. Et enfin, ils ont mis en oeuvre des applications pour smartphones similaires, qui permettent de localiser la voiture disponible la plus proche.
Pendant longtemps, afin de mieux séduire les municipalités et les élus locaux, ce sont les arguments écologiques qui ont prévalu : soulager le trafic urbain et réduire les émissions de CO2, libérer des places de parking. Mais s'il appartenait encore récemment à une niche, le marché est aujourd'hui en plein boom et l'argument « style de vie » s'est imposé. « C'est devenu cool », résume Hannes Beyer, chargé de projet chez Deutsche Bahn Rent, filiale de la compagnie ferroviaire active dans l'autopartage depuis 2001.

Pour les groupes automobiles, il s'agit de s'adapter aux pratiques des consommateurs citadins qui renoncent à acheter un véhicule. Face aux opérateurs traditionnels comme Stadtmobil ou Flinkster - présent dans 140 villes allemandes -, les industriels peuvent se permettre d'effectuer d'énormes investissements et de renoncer aux profits immédiats. « Nous avons besoin de temps, il faut deux à trois ans pour être rentables. Nous le sommes actuellement dans trois villes [sur 18 dans le monde, ndlr] où nous avons lancé Car2go en premier », explique Andreas Leo, responsable de la communication du service autopartage chez Daimler.

Citroën, premier sur l'offre tout électrique

Mis à part Berlin, c'est à Düsseldorf et à Cologne que la bagarre est la plus forte, avec la présence de BMW et de Daimler. Mais les Smart de Car2go circulent également dans les rues de Hambourg et de Stuttgart, tandis que BMW est présent à Munich et Volkswagen à Hanovre, son fief de BasseSaxe. Si les groupes déclarent ne cibler que les grandes villes de plus de 500000 habitants, c'est qu'il faut beaucoup de clients pour faire fonctionner le business model
du libre-service intégral, basé sur un nombre élevé de locations. D'où l'importance de quadriller au mieux le territoire pour être disponible et repéré sur les smartphones d'un maximum de clients.
Car2go a aujourd'hui un avantage certain à Berlin, avec 1200 véhicules, contre 600 pour BMW et 100 pour Citroën, et une couverture de 280 km2 quand les autres ne vont en règle générale pas au-delà de la ligne du S-Bahn (le RER berlinois) qui fait le tour du centre-ville.
Dès ce mois de mars, Citroën a augmenté sa flotte à 250 véhicules et compte la porter à 500 unités. BMW joue la carte des véhicules haut de gamme, avec des Mini Cooper et des BMW Série 1, plus spacieux que les Smart, limitées à deux places.
Mais, pour les villes allemandes, l'argument écologique n'est jamais loin : Daimler met en avant la faible émission de CO2 de sa Smart, tout comme Volkswagen avec sa Golf BlueMotion à Hanovre. Citroën a quant à lui devancé ses concurrents avec son offre exclusivement électrique. La riposte se prépare : Daimler a annoncé le lancement de 300 véhicules électriques à Stuttgart, et en teste actuellement 16 à Berlin, quand BMW prévoit d'intégrer à sa flotte 40 véhicules électriques à Berlin et 20 à Munich au deuxième trimestre.

Un complèment aux transports en commun

Les trajets restent courts - 7 km en moyenne pour les Citroën électriques à Berlin -, avec un ou deux utilisateurs par voiture... Ces véhicules ne risquent-ils pas de voler des usagers aux transports publics ? « Nous sommes plus complémentaires que concurrents », affirme-t-on chez Daimler, tout comme chez BMW. « Nos clients peuvent par exemple décider d'utiliser Car2go la nuit lorsque le métro est fermé ou quand ils doivent effectuer trop de changements de ligne pour atteindre leur destination et qu'un trajet direct en voiture semble plus pratique », argumente Andreas Leo, chez Daimler.
« On peut se demander si le système de free floating, utilisé pour des trajets très courts, soulage vraiment le trafic,
avance de son côté Gabi Lambrecht, de la Fédération allemande de l'autopartage. Nous craignons que les piétons ou cyclistes ne se mettent à utiliser eux aussi ces voitures. »
La fédération représente une centaine d'opérateurs, mais aucun constructeur. Tous fonctionnent selon le modèle concurrent des stations, encore majoritaire en Allemagne.