A Strasbourg, les élus célèbrent la renaissance d'une collectivité alsacienne

Par Olivier Mirguet à Strasbourg  |   |  1017  mots
Une poupée vêtue d'un costume traditionnel alsacien est suspendue à un drapeau lors d'une manifestation pour protester contre le projet d'unification des régions d'Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne. (Crédits : Reuters)
La création d'une "Collectivité européenne d'Alsace", qui doit remplacer en 2021 les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, marque une victoire d'étape dans le combat des élus locaux contre la région Grand-Est, mal digérée en Alsace.

"C'est une journée historique pour l'Alsace et pour les Alsaciens. Il y a quelques mois encore, on n'aurait pas imaginé la création d'une collectivité d'Alsace". De retour de Paris dans la soirée du lundi 29 octobre, où une délégation d'élus locaux venait de rencontrer Edouard Philippe et des membres de son gouvernement, la Colmarienne Brigitte Klinkert célébrait sa victoire. Aux côtés de Frédéric Bierry, son homologue président (LR) du département du Bas-Rhin, la présidente (Divers Droite) du conseil général du Haut-Rhin a consacré une année entière à tenter de convaincre les exécutifs nationaux de conférer aux collectivités alsaciennes de nouveaux "super-pouvoirs".

Les deux départements, dont les sièges sont à Strasbourg et à Colmar, voulaient mieux distinguer leur action publique, diluée depuis la réforme territoriale de 2016  dans les frontières élargies du Grand-Est. Leur victoire, c'est la promesse de la création en 2021 d'une "collectivité Européenne d'Alsace". Ce département aux compétences élargies récupérera l'action transfrontalière, la promotion du bilinguisme, la promotion économique et touristique, des compétences sur le transport routier et certains projets ferroviaires. "Il y a un autre symbole auquel les habitants sont attachés : les plaques minéralogiques retrouveront le logo de l'Alsace", promet Frédéric Bierry.

Vers une nouvelle entité alsacienne

Initiée par les mouvements régionalistes avant d'être récupérée par les partis de tous bords, la colère grondait depuis 2015. L'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron a douché les espoirs d'un détricotage du Grand-Est et d'une renaissance de la région Alsace : le président élu a rappelé qu'il n'était pas question de toucher à la carte des régions redessinées. Les deux conseils départementaux se sont alors entendus pour mener ensemble des actions de lobbying. En juin cette année, ils ont obtenu la rédaction par le préfet de Région Jean-Paul Marx d'un rapport sur l'évolution possible des collectivités territoriales. Après plusieurs visites ministérielles et le rendez-vous de ce lundi à Matignon, la première manche est gagnée. Reste à ratifier le projet dans deux délibérations des assemblées départementales, et à attendre la publication d'un décret qui créera la nouvelle entité. Les deux préfectures actuelles seront maintenues à Strasbourg et à Colmar.

La promotion du bilinguisme est vue, à l'intérieur de l'Alsace, comme une politique essentielle de développement culturel. Elle s'adresse aussi à des milieux économiques : avec moins de 4% de chômage, la région voisine du Bade-Wurtemberg est un pourvoyeur net d'emplois pour les travailleurs alsaciens. Mais l'adéquation entre l'offre et la demande bute sur des problèmes linguistiques. La future collectivité pourra donc embaucher des enseignants... si elle en trouve : l'Education nationale est, elle aussi, confrontée à cette pénurie. L'Alsace entend aussi régler des problèmes de transport qui découlent parfois de la proximité avec l'Allemagne. "Nous demandons un mécanisme de régulation du transit des poids lourds sur notre axe nord-sud. Nos routes sont surchargées depuis la mise en place d'un péage routier en Allemagne", rappelle Brigitte Klinkert.

Maintenir la cohésion politique autour du projet

Dans le dossier épineux de la promotion économique, les équilibres locaux menacés par la loi NOTRe pourraient être rétablis. L'Adira, agence territoriale de développement économique placée sous la houlette des départements, se sentait menacée depuis la réforme territoriale de 2016. "En juillet 2018, le tribunal administratif a jugé nos financements illégaux", rappelle son directeur général Vincent Froehlicher. Dépendante à 90% des conseils départementaux, ses soutiens financiers étaient contraires au principe qui veut que les régions soient désormais chef de file de l'action économique. L'Adira, dont le budget s'élève à 4 millions d'euros sera désormais financée par toutes les collectivités ."Il ne faut pas casser ce qui fonctionne", estime Robert Herrmann, président (PS) de l'Eurométropole de Strasbourg, un territoire dont l'attractivité justifierait pourtant des activités de promotion et de prospection spécifiques. Les élus se sont entendus pour sauver l'Adira : en Alsace, l'organisation de la promotion économique territoriale a été mise en place... à l'aube des trente glorieuses.

Après avoir paraphé ce lundi l'acte de projet de la collectivité européenne d'Alsace, les élus locaux vont s'atteler à une tâche plus ardue : maintenir leur unanimité autour de ce projet. De manière peut-être anecdotique, le maire de Colmar Gilbert Meyer (LR) réclame déjà pour sa ville le siège de la nouvelle entité. "Pas question", répondent en substance les Strasbourgeois. Car le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, malgré leur "désir d'Alsace" partagé, se sont longtemps regardés en chiens de faïence. En 2013, un précédent projet de création d'une collectivité unique d'Alsace avait été soumis à référendum. La population l'avait rejeté. "Le contexte était différent, c'était avant la création du Grand-Est", rappelle Frédéric Bierry. Une partie de la population n'a pas digéré l'intégration dans cette entité "grande comme deux fois et demie la Belgique", dans laquelle les autorités alsaciennes ont dû composer avec des élus lorrains et champardennais.

Des voisins sur lesquels les Alsaciens ont eu tendance à porter un regard méprisant... Sans entrer dans des querelles de voisinage, les élus lorrains le leur rendent bien. "On va s'adapter tout en poursuivant la construction de l'espace plus vaste qu'est le Grand-Est", relativise François Werner, vice-président (UDI) du Conseil régional du Grand-Est et maire de Villers-lès-Nancy. Mais plusieurs autres élus, dont le Nancéien André Rossinot (ex-Parti radical, rallié à LREM), ont exprimé dans la presse locale leur embarras face à l'insatisfaction permanente des Alsaciens. "Leur désir d'Alsace, c'est du réchauffé. (...) Moi, je milite pour un désir de Lorraine, et je demande un effort pour la Lorraine et le Sillon lorrain", a prévenu le président de la métropole du Grand Nancy.