2020-2050 : "Trente glorieuses" pour l'Afrique ?

Par Alfred Mignot  |   |  1100  mots
Un pétrolier dans le port de Lagos, au Nigeria.
Quinze années de croissance moyenne à 5 % ont fini par changer notre regard sur l’Afrique : « l’afropessimisme », c’est fini ! Nous voilà presque tous saisis par « l’afroptimisme », qui perçoit surtout le formidable potentiel de croissance du continent. Mais pour que ce scénario d’espoir devienne réalité, l’Afrique devra relever encore bien des défis.

Avec « L'Afrique noire est mal partie », livre qu'il a publié en 1962, et où il passe en revue tous les handicaps du continent, l'agronome René Dumont - le premier candidat écologiste à se présenter à une élection présidentielle, en 1974, et qui fit sa campagne à bicyclette - aura façonné l'imaginaire collectif de beaucoup de Français pendant presque un demi-siècle.

Mais pas plus, car depuis le début des années 2000, l'Afrique subsaharienne (la « noire » de Dumont, comme on disait à l'époque) enregistre une croissance continue de 5 % par an en moyenne, portant le PIB du continent autour de 2 200 milliards d'euros en 2014. De ce fait, ces dernières années, une véritable bulle « afroptimiste », favorisée tant par l'essoufflement de la locomotive chinoise que par l'atonie persistante en Europe, s'est mise en place. Et même si la croissance s'est un peu tassée en 2013 (4,3 %), elle devrait à nouveau atteindre 5,1 % en 2017, selon le FMI.

De quoi faire rêver l'Europe, certes ! Mais en fait, un consensus largement répandu parmi les économistes consiste à considérer qu'en dessous de 7 % de croissance minimum, le continent ne peut pas décoller, car c'est à partir de ce taux que la croissance - si elle est inclusive - fait reculer le chômage (plus de 45 % des 15-24 ans). Autre paramètre, tout aussi négatif : si l'on répète volontiers ici et là que l'Afrique compte désormais quelque 300 millions de personnes relevant des classes moyennes - et donc autant de consommateurs potentiels solvables - on dit beaucoup moins que, selon les derniers chiffres de la Banque mondiale (janvier 2015), l'Afrique subsaharienne est la seule région au monde où le nombre de personnes très pauvres (vivant avec 1,25 dollar/jour) a augmenté depuis trente ans. Leur nombre a même doublé, de 210 millions en 1981 à 415 en 2011. Et puis, bien sûr, au passif de l'état des lieux, comment ne pas citer la question sécuritaire, avec l'accélération et la multiplication des conflits et actes terroristes, ainsi que l'un de leurs corollaires, l'hécatombe des naufragés, essentiellement africains, en Méditerranée - tragédie qui nécessite une implication forte de l'Europe, comme l'écrit sur notre site le géopoliticien Emmanuel Dupuy.

D'autre part, force est de constater qu'aujourd'hui encore, malgré quelques beaux projets dont certains pharaoniques, le déficit d'infrastructures est abyssal au sud du Sahara : 600 millions de personnes - soit presque deux habitants sur trois - restent sans accès à l'électricité ; plus de 60 % des citadins vivent dans des bidonvilles ; 36 % de la population n'a toujours pas accès à un point d'eau potable de qualité.

L'Afrique est aussi sous-équipée en chemins de fer, routes, aéroports...  ? L'état d'esprit est tel que là où naguère les « afropessimistes » voyaient un verre plus qu'à moitié vide, les « afroptimistes » d'aujourd'hui le voient plus qu'à moitié plein... d'opportunités ! L'effet des perspectives de rattrapage joue à fond : si seules 5 % des capacités hydrauliques sont exploitées, c'est donc qu'il reste un potentiel de 95 % à concrétiser. Idem pour le secteur bancaire, où 20 % seulement de la population est bancarisée, et où l'énorme marge de progression fait rêver.

Au Nord comme au Sud, un optimisme à toute épreuve

Un « rêve africain » auquel adhèrent les investisseurs internationaux présents en Afrique, qui s'affichent à « 100 % optimistes quant à l'avenir économique du continent  », nous apprend une récente étude de Havas Paris. L'une des raisons majeures avancées à cet engouement : la croissance de la population, qui devrait doubler et atteindre les 2 milliards de personnes d'ici à 2050, ce qui générera une classe moyenne solvable de 1,4 milliard d'individus, selon les estimations de la Banque africaine de développement.

En Afrique aussi, l'optimisme est souvent de mise. C'est par exemple le cas en Côte d'Ivoire. Après dix années de crises parfois sanglantes, et quatre de convalescence, le pays a enregistré un taux moyen de croissance annuel de 9 % entre 2012 et 2014. L'objectif officiel est désormais une croissance à deux chiffres et un statut d'émergent en 2020. Pour cela, la Côte d'Ivoire pourra compter sur son cacao : avec plus de 35 % des récoltes mondiales, et une production record de plus de 1,7 million de tonnes en 2014, « l'or brun » représente 22 % du PIB, plus de 50 % des recettes d'exportation et surtout les deux tiers des emplois et des revenus de la population, selon la Banque mondiale. Et la Côte d'Ivoire a désormais entrepris la transformation des fèves en pâte destinée à la fabrication du chocolat - pâte qui est dix fois plus rentable.

Un autre exemple encourageant est celui du Rwanda, dont la croissance, qui avait « chuté » à 4,6 % en 2013, s'est rétablie à 7 % dès 2014, grâce notamment aux performances des services (+ 9 %) et l'industrie (+ 6 %). En Afrique de l'Est cette fois, c'est l'industrie manufacturière de Tanzanie qui a enregistré une croissance annuelle de 9 % entre 2000 et 2010, tandis que les exportations manufacturières ont crû d'environ 31 % par an.

Vers un classique scénario de croissance  ?

Côté politique enfin, si bien des pays restent à pacifier et à stabiliser, la Tunisie et le Nigeria ont, à quelques mois d'intervalle, démontré que le principe d'alternance démocratique commence à être intégré par les sociétés africaines. Alors, de quel avenir ces éléments positifs peuvent-ils constituer les prémices ?

Si le scénario de l'émergence n'est pas assuré de s'avérer, celui de « l'implosion » paraît le moins probable, estime Abdelmalek Alaoui, spécialiste de l'intelligence économique. Et l'écouter décrire le scénario médian de la croissance - avec l'émergence de pôles tournés vers l'extérieur du continent - conforte un certain optimisme :

« On peut imaginer le renforcement des liens entre l'Afrique du Sud et les autres pays des Brics par exemple, notamment la Chine, l'Inde et le Brésil. Au nord du continent, les pays du Maghreb pourraient renforcer les relations et les échanges entre eux, tout en poursuivant l'intégration avec la rive nord de la Méditerranée, dans le cadre d'un vaste ensemble euroméditerranéen construit sur les principes de colocalisation de la production [lire dans La Tribune no 110 notre dossier « Europe Maghreb, l'urgence de coproduire », ndlr]. Enfin, certains États d'Afrique subsaharienne pourraient connaître une industrialisation accélérée, comme l'Éthiopie et le Kenya à l'Est, ou la Côte d'Ivoire à l'Ouest, cette dernière redevenant le champion d'une Afrique francophone en plein boom démographique. »

Bref, cette fois l'Afrique semble plutôt bien partie. S'affirmera-t-elle pour autant comme la nouvelle locomotive de l'économie mondiale ? Beaucoup veulent y croire.

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