L'Afrique, un continent en ébullition numérique

Avec la multiplication des programmes numériques des gouvernements, la présence active des grands groupes internationaux et l’émergence de startups innovantes, l’Afrique high-tech est bien partie. Tour d’horizon. Par Macerana Nuño, chef de projet à l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed Paris)
Une étude réalisée par McKinsey en 2013 estimait le potentiel du numérique africain en 2025 : la contribution de l'Internet au PIB africain sera de 300 milliards de dollars.

Le potentiel du processus mondial de numérisation des économies et des sociétés n'est plus à démontrer. Il peut être créateur de richesses, d'emploi, d'insertion sociale (accès à la santé, à l'éducation) et économique - à travers notamment les services de la banque mobile -, agent de transformation de l'État et des entreprises, outil de rapprochement des citoyens de l'administration publique, etc.

En Afrique, cela est encore plus vrai compte tenu de la taille du continent, de la jeunesse de la population et des défis écologiques, démographiques, sanitaires et sociaux à venir. Une étude réalisée par McKinsey en 2013 estimait le potentiel du numérique africain en 2025 : la contribution de l'Internet au PIB africain sera de 300 milliards de dollars, 75 milliards de dollars seront réalisés chaque année par le commerce en ligne et 300 milliards de gains de productivité seront accomplis dans certains secteurs clés. Ce potentiel est inégalement réparti, puisque sur les 54 pays africains, cinq seulement - Maroc, Sénégal, Rwanda, Afrique du Sud, Kenya - jouissent à ce jour d'une capacité prometteuse.

Volonté politique forte, groupes et startups

De plus en plus de pays et d'acteurs africains renforcent leur positionnement dans ce secteur afin de profiter des opportunités : le Maroc avec son plan Maroc numérique 2013 et bientôt 2020 ; le Sénégal avec son plan Sénégal émergent et sa déclinaison sectorielle sur le numérique en 2020, en cours d'élaboration ; le Kenya avec sa vision à 2030 et le Rwanda, avec son plan Nici, en sont quelques exemples. Ils montrent, malgré des mises en œuvre perfectibles, que la volonté politique est forte. Des zones technologiques et des incubateurs sont développés pour faciliter les mises en réseau : Diamniadio Valley (Sénégal), Konza Techno City (Kenya), Cyberparc de Sidi Abdellah (Alger), Technopark de Casablanca, JoziHub, Ihub, de Johannesburg (Afrique du Sud), Activspaces de Douala (Cameroun), CcHub de Lagos (Nigéria). Les grands groupes sont très bien implantés : Orange et son Orange Money ou Safaricom et son service M-Pesa facilitent les transferts d'argent internationaux [notamment des migrants, estimés à 400 milliards de dollars par an, ndlr] ; le Groupe Athos développe son projet de plateforme numérique de compétences au Sénégal ; Quant à Microsoft, SAP, Mastercard, Maroc Télécom, IBM, Alcatel-Lucent, Huwei, etc., ils sont aussi très actifs sur le continent.

L'activité d'e-commerce, balbutiante encore dans beaucoup de pays, se développe dans d'autres avec deux grandes plateformes d_achat en ligne : Konga, la boutique en ligne du Nigeria, et Jumia, accessible dans huit pays africains. Des startups innovantes fleurissent.

Des succès dans le domaine de l'e-gouvernement permettent de voir les avancées réalisées du côté des administrations, notamment en termes de dématérialisation. Il s'agit, par exemple, du programme e-Nantis de l'Afrique du Sud pour l'enregistrement des voitures, celui de la carte Chifa algérienne, le projet eHealthcare du Gabon, qui a modernisé le système d'assurance maladie du pays en délivrant des cartes de santé, et le programme SMS for Health de la Gambie ou encore la dématérialisation des procédures douanières au Sénégal.

Par ailleurs, une vingtaine de pays ont des projets en cours visant à mettre en place des registres de cartes d'identité et électoraux biométriques. Le foisonnement numérique de l'Afrique est également perceptible dans le nombre très important de congrès organisés presque chaque mois : à Tunis (ICTforALL), à Dakar (Ve édition IT Forum), à Abidjan (Africa IT & Telecom Forum et les Journées de l'entreprise numérique), à Casablanca (IIIe Forum de la monnaie et du paiement électronique), à Nairobi (ICT innovation Forum), etc.

Des cadres légaux harmonisés

Il n'y a pas que des logiques nationales. Des dynamiques régionales sont aussi à l'œuvre : convention de l'Union africaine et de la Cedeao sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, initiatives de l'Uemoa visant l'harmonisation des cadres légaux concernant les transactions électroniques, élaboration au sein de la Communauté africaine de l'Est (CEA) d'un cadre régional facilitant l'harmonisation des stratégies TIC nationales, cadre stratégique sur les TIC mis en place par les États membres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). Elles montrent la nécessité, encore plus forte dans le domaine mondialisé du numérique, de dépasser les frontières et de mettre en place des cadres légaux compatibles, voire harmonisés, entre les pays d'une zone régionale. Il s'agit aussi de trouver ensemble des solutions aux défis qui se posent avec autant de rapidité.

Mais cette prolifération numérique est confrontée à des nombreuses limites, parmi lesquelles l'infrastructure disponible (fibre optique, 3G, 4G, connexion aux câbles sous-marins), l'accessibilité réelle à Internet — les mobiles avec Internet et les tablettes restent chers et les débits lents —, la sécurité, le nombre insuffisant de capital humain spécialisé, la faible production des contenus. L'Afrique doit passer du stade de la consommation numérique (réseaux sociaux, messagerie électronique, etc.) à celui de la production de contenus et de services à forte valeur ajoutée.

Certes, l'émergence de l'Afrique ne pourra pas être que numérique. Néanmoins, la numérisation des économies et de la société est un levier puissant d'émergence et de développement sur lequel les acteurs publics, privés et la société civile doivent irrémédiablement s'appuyer.

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