Pire que le Brexit : le "BrexCity"

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  511  mots
Vertige de part et d'autre de la Manche : dans les marchés dits « de gros » (wholesale), les services réservés aux clients financiers et aux grands « corporates », Londres concentre 78% du marché européen, dont 55% pour le compte de clients... continentaux.
Pour l'instant, le Brexit est vu en France comme une immense opportunité commerciale. Mais ce sera avant tout un immense défi réglementaire et politique.

« Pas de négociation sans notification », tel est le mantra de la Commission européenne. Si Bruxelles attend patiemment de recevoir la demande de Theresa May, les calculettes, elles, n'en ont pas moins commencé à tourner. Et elles affichent, dans le secteur financier, des résultats qui ont de quoi donner le vertige aux négociateurs, le français Michel Barnier en tête, tant ils soulignent la domination de la City... et donc les risques que le Brexit fait courir de part et d'autre du channel.

Les banques sont les premières concernées. Londres « pèse » le quart des services financiers en Europe, dont le chiffre d'affaires est évalué entre 190 et 205 milliards d'euros par an. Les deux tiers de cet immense marché sont entre les mains des banques, britanniques mais pas seulement. Les banques continentales, au premier rang desquelles les quatre géantes françaises BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE représentent 10 % des actifs sous gestion européens. Les cinq premières banques d'investissement américaines : ­Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan, Bank of America et Citigroup localisent 90 % de leurs activités au Royaume-Uni. Dans les marchés dits « de gros » (wholesale), les services réservés aux clients financiers et aux grands « corporates », Londres concentre 78 % du marché européen, dont 55% pour le compte de clients... continentaux.

Toujours selon l'enquête du Parlement, si les banques étrangères basées à Londres devaient installer une filiale en Europe, afin de continuer à profiter de l'accès au marché européen que leur offre l'actuelle appartenance du Royaume-Uni à l'Union, leurs coûts opérationnels augmenteraient de 3 % à 8 %. En termes de coût, un « hard Brexit » a de quoi concurrencer les exigences, si décriées par les banquiers, du Comité de Bâle.

Pour l'instant, le Brexit est vu en France comme une immense opportunité commerciale, la question étant : combien des 2,2 millions de salariés du Royaume-Uni la place de Paris va-t-elle récupérer ?

Mais ce sera avant tout un immense défi réglementaire et politique. Comment imaginer que l'Union européenne ou les autorités de surveillance des marchés du Continent n'aient pas de droit de regard sur les banques qui produisent 78 % des opérations de gros qu'utilisent leurs propres banques et entreprises pour se financer et se couvrir contre les risques ?

Pour le moment, les députés se sont contentés de mettre à l'écart les Britanniques des négociations en cours, comme la conservatrice Kay Swinburne, une ancienne cadre de Deutsche Bank à Londres, qui ne sera pas le rapporteur du nouveau règlement sur la gestion de crise des chambres de compensation.

Mais on voit mal comment le Parlement européen, qui s'est donné tant de peine à faire entendre sa voix sur la trentaine de textes de réglementation adoptée depuis 2009, laisserait le cadre des relations entre l'économie européenne et sa principale place financière, devenue « offshore », être négocié derrière des portes fermées par l'équipe de Michel Barnier et les ministères nationaux.