TVA sociale...ou antisociale ?

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction (pmabille@latribune.fr)  |   |  833  mots
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100.000 emplois ! Voilà donc le chiffre magique sur lequel Nicolas Sarkozy va désormais pouvoir communiquer pour vanter les bienfaits de sa réforme du financement de la Sécurité sociale. Le chiffre figure dans le document fourni hier par le ministère des finances et constitue une moyenne entre les différents calculs effectué par Bercy avec à son appui deux arguments. D'abord, toutes les précédentes expériences de baisse du coût du travail ont été favorables à l'emploi. Ensuite, le ciblage de la mesure, sur l'industrie, notamment automobile et le secteur agricole, et sur les salaires inférieurs à 2,4 Smic permettent de traiter le problème spécifique de secteurs fortement exposés à la concurrence internationale et pour qui on peut mesurer une réelle perte de compétitivité-prix. Ces arguments sont bien sûr recevables et de ce point de vue, la hausse de la TVA (et de la CSG patrimoine) semble mériter son appellation « sociale », bien que le mot ait disparu du vocabulaire gouvernemental.
Pour autant, affirmer aussi péremptoirement que la mesure créera 100.000 emplois nets pour l'économie française reste un pari audacieux et un mode de communication à la mode soviétique. Cela fait furieusement penser à l'expérience de Lionel Jospin avec les 35 heures. Lors du vote des lois sur la réduction du temps de travail, en 1997, une vive polémique avait eu lieu sur la réalité des 500.000 emplois promis par les défenseurs de cette mesure. En 2004, a posteriori, Martine Aubry avait affirmé que 400.000 emplois nets avaient été créés (hors secteur public), chiffre contesté par le patronat qui avait mis en avant la perte de compétitivité induite par ces « 35 heures payées 39 ». Plusieurs économistes ont conclu qu'in fine, la réduction du temps de travail n'avait pas eu d'impact significatif sur le chômage, sentiment vérifié empiriquement par les faits.
On peut dés lors au moins s'interroger sur la qualité du chiffre de 100.000 emplois créés par la TVA sociale Sarkozy, décidée dans la précipitation et une certaine improvisation. Qui peut affirmer que cette mesure, certes favorable en théorie à certains secteurs très exposés, n'aura pas des effets retours négatifs pour la compétitivité d'ensemble de l'entreprise France ? Dans une logique industrialiste, on apporte une petite bouffée d'oxygène à l'automobile ou aux industries agro-alimentaires concurrencées par l'Allemagne notamment, mais le jeu, c'est-à-dire une baisse somme toute assez limitée du coût du travail, en vaut-il la chandelle si on prend en considération les effets pervers de cette hausse de la TVA sur le reste de l'économie, celle qui n'est pas concernée par l'allégement de charges patronales parce que sa structure salariale est hors du champ de la réforme ? Les bénéfices attendus de cette mesure défensive, qui revient à une dévaluation déguisée au sein de la zone euro, risquent en effet d'être rapidement annulés par l'inflation inévitable qu'elle va engendrer. Si les prix dérapent, la pression générale sur les salaires, notamment au niveau du Smic, sera aggravée, et cela ne sera pas sans conséquences négatives sur l'emploi global. En outre, dans les secteurs innovants, source espérée des emplois d'avenir, la TVA sociale sera un coup d'épée dans l'eau. Pire, certains secteurs seront pénalisés par une TVA alourdie. En d'autres termes, au nom de la compétitivité de quelques uns, n'est-on pas en train de menacer la compétitivité de toute l'entreprise France. Et si la TVA Sarkozy se révélait antisociale ? Le seul argument du gouvernement pour contester ce raisonnement est d'affirmer que la mesure ne fera pas monter les prix, parce que la concurrence exercera un effet régulateur. Quand on a vu comment la concurrence n'a pas su éviter une flambée des prix lors du passage à l'euro, ou comment les restaurateurs se sont comportés lors de la baisse de la TVA restauration, il y a lieu de douter d'une telle affirmation. Mais on ne demande qu'à être démenti par les faits.

Ce qui est sûr, en revanche, c'est que le pari est audacieux. Avec une TVA qui serait portée à 21,2% et un CSG patrimoine à 39,5%, la structure de la fiscalité française s'éloigne de la moyenne européenne et diverge singulièrement du modèle allemand vers lequel on ne cesse pourtant de nous dire qu'il faudrait tendre. L'expérience hasardeuse tentée par Nicolas Sarkozy pour reprendre le dessus dans le combat présidentiel à venir aurait été plus convaincant si l'allégement bienvenu des charges patronales, dont on peut convenir qu'elles sont excessives en France, avait été financé par des « économies » sur les dépenses sociales et/ou par l'abandon de l'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires dont le bilan en terme d'emplois, mais aussi de pouvoir d'achat, est loin d'être concluant.