C'est la lutte fi...scale ! ! !

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  1066  mots
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L'exil fiscal a commencé, et comme souvent, les artistes, comme les sportifs, sont en quelque sorte le baromètre avancé de la limite de pression du « patriotisme fiscal ». Obélix (Gérard Depardieu) s'installe à Néchin, à... 1 km de la frontière française, dans une maison dont les photos publiées ne donne pas vraiment envie d'y faire du tourisme, même fiscal ! Astérix (Christian Clavier) a lui déjà traversé la Manche et s'est installé au pays de Sa Gracieuse Majesté... « Minable », tranche Jean-Marc Ayrault, au lendemain de l'annonce d'un plan de lutte contre la pauvreté qui va coûter 2,5 milliards d'euros sur cinq ans, dont l'Etat n'a pas le moindre sou. Les riches sont déjà passés à la caisse...

Le problème, c'est qu'il y a l'impôt à 75%, plus la CSG, plus l'ISF, plus l'imposition des plus-values au barème de l'impôt sur le revenu, plus l'impôt sur les successions... L'overdose menace et la riposte s'organise. La Fondapol (Fondation pour l'innovation politique) vient de publier une note de l'ancien patron d'Andersen, Aldo Cardoso, pour dénoncer le caractère confiscatoire et « probablement inconstitutionnel » du nouvel ISF qui, associé à l'alignement de la taxation du capital sur le barème de l'impôt sur le revenu, exige d'obtenir un rendement de 9% sur son épargne. Autant dire un niveau qui n'existe pas ou plus dans le monde actuel... La très influente association française des entreprises privées (Afep) travaille de son côté sur une comparaison internationale de la taxation des hauts revenus qui vise à démontrer que l'exception fiscale française menace l'économie d'embolie.

Le problème, c'est que l'actualité ne plaide pas en faveur des plus riches. Comme un pied de nez à la gauche, les patrons du CAC 40 ont vu leur rémunération moyenne progresser encore de 10% en 2011, malgré des performances de leurs entreprises en baisse. Cela fait tâche dans la période actuelle, où la cohésion sociale nécessite un peu plus de sobriété. « On a bien fait d'augmenter la fiscalité sur les très hauts revenus », a réagi du tac au tac le Premier ministre. Pendant ce temps là, l'indice CAC 40 caracole à son plus haut de l'année et le Trésor s'endette à des taux négatifs à un an et à moins de 2% à dix ans... Pourquoi s'inquiéter, doit se dire François Hollande dans son Palais de l'Elysée ? Les marchés sont avec nous, continuons... 

Pourtant, l'Insee nous apprend que la France a détruit 41700 emplois marchands au troisième trimestre et on s'oriente vers une croissance négative sur les trois derniers mois de l'année. Après avoir échoué à nationaliser Florange, Arnaud Montebourg s'intéresse désormais à l'ancien site Péchiney de Rio Tinto en Haute-Savoie. Pendant ce temps là, PSA rajoute 1500 postes à son plan de suppression de 8000 emplois. C'est le tonneau des Danaïdes.

Extension du domaine de la lutte fiscale

La France de cette fin 2012 ressemble à un mauvais roman de Houellebecq, celui où quelques très riches surnagent dans un océan de pauvreté. Les tendances sont inquiétantes. A la différence de l'Allemagne, la France n'a toujours pas retrouvé son niveau de PIB d'avant la crise de 2007. Le problème, c'est que tandis que la population allemande stagne, celle de la France s'accroît. Il faut donc bien partager en un plus grand nombre de gens un gâteau de plus en plus petit. Certains espéraient, avec l'élection de François Hollande, un pays moins divisé. Mais l'aggravation de la crise économique et sociale a terni l'espoir du 6 mai. La crise de leadership à l'UMP ridiculise la droite, mais celle-ci remporte quand même les élections partielles à Béziers et dans les Hauts-de-Seine. Et la popularité de l'exécutif s'effondre inexorablement. François Hollande ne rassemble plus que 35% de satisfaits six mois après son arrivée au pouvoir.

D'un côté, il faut tenir sur une ligne de crête étroite, baisser les déficits, soutenir la compétitivité des entreprises, renoncer à la tentation de nationaliser les entreprises en difficulté, pour rassurer les investisseurs. De l'autre, il faut donner des gages à gauche, adresser des signaux de solidarité. On promet donc d'augmenter le RSA de 10% sur cinq ans et de le porter à la moitié du Smic en dix ans. La droite crie à l'assistanat, mais la gauche trouve que c'est insuffisant.

La crise a changé la donne. Il y avait 8,6 millions de personnes qui vivaient en 2010 sous le seuil de pauvreté (964 euros par mois, soit 60% du revenu median), dont la moitié avec moins de 781 euros. Il y a tout lieu de penser que la situation ne s'est pas améliorée en cette fin 2012, malgré les nombreux filets de protection de notre modèle social. La crise du logement social en est le symptôme le plus criant.

Et si on prenait le problème à l'envers ?

Pour lutter efficacement contre la pauvreté, il faut bien sûr faire preuve de solidarité. Mais il faut plus sûrement lutter pour créer des emplois et augmenter le potentiel de création de richesse de l'économie. Pour avoir moins de pauvres, il faut aussi avoir plus de riches, en France, pas en Belgique ou en Suisse. Certes, un effort d'harmonisation fiscale en Europe est nécessaire pour lutter contre les comportements d'évasion. Mais nul ne peut imaginer que cette harmonisation se fasse sur la base de la fiscalité française. Qui dit harmonisation dit à terme alignement sur la moyenne fiscale européenne, dont la France s'est beaucoup éloignée.

Un grand banquier résume très bien l'impasse de la politique actuelle par la parabole de la tondeuse. Si on règle la lame trop bas, on finit pas ne plus couper l'herbe, mais par gratter la terre et à force de passer et de repasser, la pelouse ne repousse plus. C'est bien le danger qui menace la France en 2013. A trop faire reposer le désendettement sur l'impôt, au lieu de la dépense, la gauche risque de tarir la source de revenus de la Nation et du coup, de ne pas atteindre ses objectifs de recettes fiscales et donc de baisse des déficits. Les marchés financiers, qui nous font tellement crédit aujourd'hui, pourraient bien finir par s'en rendre compte.

Editorial paru dans La Tribune hebdo du vendredi 14 décembre 2012.