Allocations familiales : un débat impossible...mais nécessaire

Par Eric Walther, directeur de la rédaction  |   |  679  mots
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Fût-il risqué, et même pour certains explosif, le débat sur le plafonnement ou la fiscalisation des allocations familiales mérite d'être ouvert. Didier Migaud, le président de la Cour des Comptes, a eu raison de le susciter ce weekend. Pourquoi? D'abord les chiffres. L'enveloppe globale distribuée l'an dernier approche les 13 milliards d'euros. A ce niveau de dépenses et en ces temps de crise budgétaire, il est légitime de s'interroger sur l'intérêt d'un tel investissement. Investissement, car il s'agit bien là de participer à ce qui demeure essentiel pour une nation, la vitalité de sa natalité. C'est en tout cas le fondement historique de cet article fondamental de notre contrat social. Et ses défenseurs ont beau jeu de rappeler qu'il a prouvé son efficacité : le taux de fécondité français (2,01) demeure un des plus élevés des nations occidentales. La littérature est abondante sur cette question et la mission conduite par Bertrand Fragonard, grand spécialiste de la politique familiale, qui rendra ses conclusions au Premier ministre, devrait encore enrichir les connaissances de la faculté sur le sujet.
Le débat sur les allocations familiales posent deux questions essentielles : quel est l'impact que peut avoir une éventuelle modification de leur niveau global sur la famille ? Y toucher, plus précisément entamer son principe dit d'universalité, constitue-t-il réellement une véritable entaille à notre modèle social ?
Deux questions évidemment difficiles à trancher : la première relève quasiment de la prévision sondagière, la seconde de l'interprétation idéologique. Quelques indications de bon sens tout de même. Bon nombre de ménages aisés ne comptent pas sur leurs allocations familiales pour décider d'avoir des enfants et à fortiori leur offrir les meilleures conditions de vie. L'honnêteté oblige d'ailleurs beaucoup d'entre eux à dire qu'ils « supportent » une forme d'injustice à bénéficier de ce argent. Problème : à partir de quel niveau de revenu y a-t-il un risque de démotivation procréative, ou en tout cas de préjudice réel pour la qualité de l'éducation, à toucher à ces prestations?
Les travaux de Bertrand Fragonard nous donneront peut-être quelques indices, mais seulement des indices. En ce sens, l'option fiscalisation présente des avantages évidents par rapport à celle de la mise sous condition de ressources. Même si elle participera à un relèvement, certes très faible, du taux global d'imposition, ce qui n'est aujourd'hui pas très tendance.
Sur le deuxième point, le gouvernement sera beaucoup plus exposé. Lionel Jospin, alors Premier ministre, en avait fait la cruelle expérience en 1999 : sous la pression, il avait dû suspendre la mesure de placement sous condition de ressources à peine plus d'un an après son entrée en vigueur. La particularité de cette opposition est qu'elle est exceptionnellement transpolitique : de l'extrême droite à l'extrême gauche, tout le monde est plus ou moins contre. Pour des raisons fortement différentes. Pas grand-chose de commun entre les réactions d'une droite des plus conservatrices agrippée à ses valeurs familiales traditionnelles (et bien souvent aussi pourfendeur de l'hypertrophie de la dépense publique...), et la défense pied à pied du principe d'universalité (pourtant déjà largement égratigné) du parti communiste et de bon nombre de syndicats.
Il n'est qu'à écouter la volée de déclarations surgies de tous bords ce lundi pour mesurer la sensibilité du sujet. Leur outrance doit inspirer la méfiance en ce qu'elle masque davantage des postures que des réelles contributions au débat. C'est un problème. Il est aussi absurde de penser qu'une réflexion et donc des décisions sur ce sujet vont mettre à bas la politique familiale pour les uns ou abandonner à l'histoire l'esprit des réformes sociales de 1945 pour les autres. La force d'une démocratie est de pouvoir s'offrir des débats de cette nature. La tournure prise par ceux qui ont entouré le mariage pour tous n'incite pas l'optimisme. Mais la force d'une démocratie c'est aussi de ne pas refuser les obstacles.