Merci, monsieur Cahuzac !

Par Eric Walther, directeur de la rédaction  |   |  794  mots
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Si le mensonge de Jérôme Cahuzac a pu prospérer pendant des mois, c'est aussi parce que le sentiment d'impunité est une maladie qui continue de miner la classe politique française

Toute folie a une explication. Celle de Jérôme Cahuzac qui, en s'acharnant à mentir sur l'existence de son compte personnel à l'étranger depuis décembre dernier, n'échappe bien évidemment pas à cette règle. Le ministre du budget démissionné en a donné une que l'on veut bien croire : "J'ai été pris dans une spirale du mensonge et m'y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords". Certes. On peut comprendre qu?un ministre hésite à déjuger sa parole quelques jours après sa mise en cause dès lors qu'il n'y avait pas de charge ou de preuve supplémentaire le justifiant. Quoique.
Beaucoup plus inquiétante est la partie obscure des motifs profonds de ce dévastateur parjure dont on cerne bien la nature. D'abord la personnalité de ce boxeur de la politique. Il est de ceux qui, sûrs de leur fait, de leurs compétences, assurant sans difficultés leur complexe de supériorité, estiment que rien ne peut, ne doit empêcher la marche de leur histoire qui en l'occurrence accompagne, et même guide, pensent-ils, celle de leur pays. La fin justifierait les moyens au nom d'un intérêt supérieur de l'Etat. Jérôme Cahuzac en était la caricature, mais nombreux sont ses semblables qui n'en pensent pas moins.

Comme si le « pourvu que ça passe » restait une règle intangible
Car dans l'ombre a aussi prospéré cette calamiteuse unanimité politique de complaisance qui s'est constituée autour du personnage dès sa mise en cause. Oui, bien sûr, la présomption d'innocence demeure une valeur cardinale de notre socle républicain. Sa remise en cause saperait dramatiquement les fondements de notre démocratie et nous ramènerait à des heures bien malheureuses de notre passé. Mais qui peut honnêtement assurer qu'il ne pouvait y avoir de doutes sur la parole du ministre pour que, non pas ses ennemis, cela aurait perdu en crédibilité, mais ses proches, son entourage ne le convainquent de lâcher? La gauche, qui n?avait déjà pas grand moral, ne peut même plus se raccrocher à la morale.
Le faisceau d'indices semblait tout de même bien bruyant. Que Jérome Cahuzac ait pu nier « en bloc et en détails » (sic), mentir à la représentation nationale, au président de la République (on en est à espérer qu'il lui a vraiment menti !) en dit tristement long sur le sentiment d'impunité latente dans lequel évolue la classe politique française. Comme si elle vivait sous les ailes d'un ange protecteur qui avait pour nom, entre autres, pressions sur la justice. Comme si le temps qui s?écoule pouvait continuer tranquillement de faire son travail d?oubli. Comme si le « pourvu que ça passe » restait une règle intangible. Il faut dire qu?il en est tellement passé...
Réhabiliter tant qu'il est encore temps l'action politique
Ces « circonstances atténuantes » sont aussi graves que la faute de Jérôme Cahuzac. D'autant que son aveu explosif intervient à un moment pas vraiment sympathique pour la parole et l'action politiques. Ainsi le livre de nos confrères Carole Barjon et Bruno Jeudy, « Le coup monté », démontre avec une grande cruauté comment l'équipe de Jean-François Copé a manipulé les résultats de l'élection du président de l'UMP. La mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bettencourt, même si elle ne préjuge en rien de la suite de la procédure, n'améliore pas le climat, pas plus que l?énième de Jean-Noël Guérini, le président du conseil des Bouches-du-Rhône.
Les tirs se sont naturellement concentrés sur Jérôme Cahuzac, quelques heures à peine après la publication de son communiqué, histoire d'isoler la bête malade du troupeau. Cela ne changera rien à l'affaire. Difficile de trouver dans notre histoire, un aussi désastreux épisode pour l'honneur du pouvoir. En ce qu'il est crû, limpide, l'aveu de Jérôme Cahuzac ne souffre pas le moindre débat et multiplie les dégats. Que la droite glose sur la gauche et sa prétendue vertu, que la gauche allume en urgence des contre-feux, nous cantonnera à une guéguerre pas vraiment à la hauteur de l'enjeu : celui de réhabiliter tant qu'il est encore temps l'action politique. En ce sens, la bombe Cahuzac peut servir de détonateur à une prise de conscience de ceux qui prétendent la conduire. La peur des juges (que ceux qui les ont si vulgairement attaqués ces derniers jours y réfléchissent), la peur de la presse (osons le dire !), la peur des populismes qui est déjà bien nourrie doivent les y aider. Les y forcer.