Ils ont des bonnets rouges... Vive la Bretagne

Par Philippe Mabille  |   |  871  mots
La colère de la rue, hier dirigée contre les patrons, s'est retournée contre l'Etat à l'image de la révolte des "bonnets rouges" bretons. Que révèle cette révolte et que dire de l'avenir de la Bretagne et de l'écotaxe.

Il y a quelques années, la colère de la France laborieuse se tournait souvent vers les entreprises et les patrons. Il y a bien eu le saccage de la préfecture de Compiègne en 2009 par des salariés de Continental, mais, avec l'affaire de l'écotaxe et la grande colère des « bonnets rouges » bretons, la violence se tourne désormais de façon spectaculaire vers l'État et ses symboles, ici, des portiques. Une quinzaine d'installations d'Ecomouv' ont déjà été détruites et le mouvement parti de la pointe occidentale du pays menace de s'étendre vers le sud, alimentant des revendications régionalistes que l'on n'avait plus vues, à ce niveau d'intensité, depuis très longtemps.

Paris contre province, sentiment d'abandon et d'isolement de la périphérie face au pouvoir central et à la gouvernance aveugle de Bruxelles, Jacobins contre Girondins. La crise bretonne nous interpelle tous et atteint non seulement l'autorité de l'État, mais plus profondément encore, la cohésion sociale d'une république française fragmentée, et même fracturée si l'on en croit l'économiste et urbaniste Laurent Davezies dans La Crise qui vient (Seuil, 2012). L'universitaire, très écouté par le pouvoir, y décrit une France où les territoires sont entrés en grande souffrance et se livre à une critique sans concession de la décentralisation telle qu'elle a été réalisée.

Le cas de la Bretagne est donc bien plus qu'une révolte fiscale. C'est aussi et surtout la conséquence d'un manque d'anticipation dans une région qui a fait des choix stratégiques risqués et surtout qui n'a pas réussi à s'adapter à la nouvelle donne économique européenne et mondiale. On le voit avec la réforme en cours de la politique agricole commune, l'agriculture intensive a vécu et, en tout cas dans des pays à coût du travail élevé, elle est un choix suicidaire tant pour l'emploi que pour l'environnement. Dans le travail engagé pour offrir un nouveau pacte de croissance à la Bretagne, il serait donc illusoire de compter sur le rétablissement des aides européennes. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas aider la Bretagne, bien au contraire, mais l'enjeu est ailleurs.

Au-delà de la crise actuelle, une région qui ne manque ni d'atouts ni de ressorts

« Le gouvernement, s'appuyant sur le rapport Innovation 2030 remis par Anne Lauvergeon dont c'est l'un des sept défis prioritaires, a commencé à proposer à ses interlocuteurs bretons de travailler sur la grande question du XXIe siècle, celle de l'alimentation. L'innovation, qui est mise à toutes les sauces en cet automne, au secours de la Bretagne, voilà le projet d'avenir qui pourrait bien offrir une porte de sortie à la crise actuelle.

Certes, la Bretagne, comme toute la filière agroalimentaire française, a bien raison de dénoncer la concurrence déloyale qui a prospéré à l'intérieur même du cadre européen. Le débat sur le salaire minimum qui agite la construction de la prochaine grande coalition au pouvoir outre-Rhin y répondra peut-être. Mais, le mal est fait, et l'enjeu se déplace maintenant plutôt sur la façon dont la Bretagne, comme d'ailleurs toutes les régions françaises, va refonder une économie diversifiée pour créer les emplois de demain. Sous la crise actuelle, il y a pourtant beaucoup de bonnes raisons d'espérer dans le dynamisme d'une région qui ne manque pas d'atouts et de ressorts (lisez à ce sujet demain le supplément de notre hebdomadaire sur les « entreprises qui innovent » à Rennes).

D'ailleurs, le taux de chômage de la Bretagne, certes en hausse comme partout, est encore bien inférieur à la moyenne nationale. Il reste à la région de refonder son plan stratégique : celui-ci passera évidemment par l'agriculture, mais dans un cadre nouveau et plus innovant ; par le tourisme, même si la spéculation immobilière joue plutôt comme un frein; par la silver économie, l'un des grands enjeux du vieillissement de la population; et par le désenclavement d'un territoire qui, en essayant de tuer l'écotaxe, joue contre son propre camp, car l'argent qui aurait dû être prélevé sur les poids lourds doit servir à moderniser le réseau de transports. C'est pour cela que le gouvernement ne parle que de « suspension » et a raison de refuser de céder aux ultimatums. Dans d'autres pays européens, la mise en place de ce nouveau mode de financement des infrastructures ne s'est pas non plus passée sans heurts.

En France, à force de tarder, on a fini par atteindre en pleine crise un corps fiscal écorché vif. Mais les Bretons se sont plus révoltés contre l'impuissance de l'Etat a accompagner la transition économique de ce territoire, qui était pourtant prévisible. Sur le long terme, et à condition de rassurer la Bretagne, on peut être certain que cette écotaxe finira par revenir sous une forme plus acceptable que l'étrange et coûteux dispositif actuel. Le tout est savoir quand ? Il faudra sans doute de longs mois de négociation avant que François Hollande ne retrouve les marges politiques pour rouvrir le débat.