Au boulot, tas de feignasses !

Par Philippe Mabille  |   |  1042  mots
Qu'a donc voulu dire ou provoquer le président de la République en parlant des "fainéants" à propos des opposants à ses réformes ?

« Mépris de classe » ? « Arrogance jupitérienne » ? Nouvelle transgression de la part d'un président qui veut changer l'état d'esprit d'un pays qu'il a lui-même jugé « irréformable » ? La nouvelle sortie d'Emmanuel Macron, prononcée lors de sa visite d'État à Athènes, a fait son petit effet dans le Landerneau politico-médiatique. « Je serai d'une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes », a-t-il lancé comme un défi à quelques jours de la manifestation à l'appel de la CGT.

Le mot a fait mouche

Fainéants, le mot a fait mouche et fait prendre la mouche à tous ceux et au-delà qui se sont sentis soit visés, soit insultés, par ce président décidément pas comme les autres. Emmanuel Macron n'en est pas à sa première provocation : à ses débuts comme ministre de l'Économie, il avait choqué en parlant des femmes « illettrées » de l'entreprise GAD, et s'était excusé publiquement. À Station F, l'incubateur de startup installé dans la Halle Freyssinet, ce sont « les gens qui ne sont rien » qui ont pris un Scud. Dire « une gare, c'est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », c'est à la fois d'une grande banalité et très signifiant. Mais, parler de « fainéants » et dénoncer les "extrêmes", dans un contexte où Jean-Luc Mélenchon appelle les Insoumis à « l'insurrection sociale », cela peut apparaître plus suicidaire que courageux.

Forte chute de la popularité

Dans un climat tendu, de la part d'un président qui a dévissé dans les sondages pendant tout l'été, avec la plus forte chute de popularité jamais enregistrée de la part d'un locataire de l'Élysée, les propos posent question. Et si le pire ennemi d'Emmanuel Macron était... Emmanuel Macron ? Pourquoi provoquer ainsi au risque de choquer et de blesser ? Ce qui revient sans cesse, quand on interroge ceux, proches ou moins proches, qui ont connu Emmanuel Macron, c'est que tout, chez lui, est parfaitement maitrisé. Ce n'est pas le genre d'homme à ne pas tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Quand il dit "fainéants", ce n'est pas sous le coup de l'émotion.C'est parfaitement réfléchi et ciblé.

En attendant, ses soutiens rament : les uns renvoient à la « jeunesse » du président, qui se laisse parfois un peu aller, à l'image de sa déclaration malheureuse sur les « kwassa-kwassa », les embarcations de fortune des pêcheurs comoriens. Les autres, tels le pauvre Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, tentent une explication de texte a posteriori : Emmanuel Macron, à propos des « fainéants », aurait ciblé « une posture », celle de « tous ceux qui n'ont pas eu le courage de faire les réformes nécessaires », ou en tout cas d'aller assez loin, bref, tous ses prédécesseurs : Chirac, Sarkozy, Hollande...

Un sentiment d'urgence

En réalité, à Athènes, Emmanuel Macron a été assez clair sur le sens de ses propos : « Je ne veux pas que dans quinze ans, un autre président dise "c'est pire encore" ». Pour Emmanuel Macron, président pressé, le moment est plus que venu de faire les réformes, que cela plaise ou non à tous ceux qui s'y opposent. Le chef de l'État exprime ici un sentiment d'urgence, qui correspond certainement à l'état d'esprit des Français qui le soutiennent toujours, encore assez nombreux puisque, malgré la chute, on comptait fin août encore 43% de satisfaits selon notre sondage BVA-La Tribune-Orange. Emmanuel Macron n'est pas encore totalement « hollandisé » et il n'hésite pas à mettre le crédit qui lui reste au service de l'action, car il sait bien que le temps pour réformer lui est compté.

Installer une tension dans l'opinion

En dénonçant les « fainéants », les « cyniques » et les « extrêmes », le chef de l'État installe donc une tension dans l'opinion, entre les partisans de l'immobilisme et ceux qui pensent que la France est au pied du mur. Avec les ordonnances sur le marché du travail, il a posé les fondations d'une série de réformes sociales qui toutes en appellent à l'esprit de responsabilité, individuelle et collective des Français. Face à un marché du travail devenu plus flexible pour les employeurs, il va désormais falloir construire les piliers d'une meilleure sécurisation de l'emploi : ce sont les réformes de l'apprentissage, de la formation professionnelle et de l'assurance-chômage qui seront engagées cet automne. La fainéantise, ce serait de se dire que ces réformes suffisent en elles-mêmes à résoudre la question du chômage. Bien au contraire, ce n'est que le commencement. C'est de la mise en pratique, dans les entreprises, dans la mise en œuvre au quotidien du dialogue social auquel appelle la réforme de Muriel Pénicaud, que viendra ou non la réussite de ces changements.

En dénonçant les « fainéants », Emmanuel Macron appelle donc chacun à se mettre « au boulot » afin de mener la seule bataille qui vaille, celle de la création d'activité et d'emplois. Ce que nous dit Emmanuel Macron, c'est qu'il ne faut pas tout attendre de l'État et de son chef : la balle est désormais dans le camp du patronat et des syndicats réformistes dont les réactions assez modérées ne laissent pas présager une déflagration sociale cet automne.

Les esprits ont évolué

Autre exemple, assez disruptif, d'un appel à l'intelligence collective : l'entretien accordé cet été par Emmanuel Macron à des cheminots de la SNCF, dans lequel il ose aborder tous les sujets qui fâchent : régime spécial de retraite, statut, ouverture à la concurrence. Dans d'autres temps, de tels propos auraient déjà mis en grève tous les transports publics. Pour les « fainéants, les cyniques et les extrêmes », aborder de front ce sujet explosif en même temps que celui du Code du travail aurait de quoi mettre la France à l'arrêt, comme ce fut le cas à l'hiver 1995. Et pourtant, ce n'est pas (encore) le cas, signe que les esprits ont évolué et que l'opinion est désormais sinon acquise, du moins résignée, à la nécessité des réformes.