EDITORIAL Budget : Jupiter foudroyé par Flanby

Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction  |   |  1133  mots
Le coup de l'héritage, tous les nouveaux gouvernements le font, c'est dans l'ordre des choses. La particularité de celui-ci, c'est qu'Emmanuel Macron, héritier de François Hollande, hérite aussi un peu de lui-même puisque même s'il n'était pas en charge du Budget, il était membre du gouvernement responsable de ce dérapage, jusqu'à sa démission à l'été 2016. Cela fait donc un peu "arroseur arrosé".
La foudre est tombée et c'est Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes qui a frappé. Selon l'audit de la rue Cambon, François Hollande laisse à son successeur un budget insincère et un trou de presque 9 milliards d'euros en 2017. Le gouvernement d'Edouard Philippe devra-t-il renoncer aux promesses les plus dispendieuses du candidat Macron ?

La Cour des comptes est "l'empêcheur de pipeauter en rond" de nos institutions. Les magistrats de la rue Cambon ont beau s'échiner telle Cassandre à prévenir les gouvernements que leurs turpitudes budgétaires n'échappent pas à leur sagacité, ce n'est que lorsque l'orage éclate que l'exécutif fait mine de s'apercevoir qu'il pleut. Commandé par le Premier ministre Edouard Philippe, l'audit rendu ce jour par la Cour des comptes apporte sans surprise la confirmation de ce qu'elle avait déjà affirmé au cours de la campagne électorale : les comptes publics de la France dérapent gravement par rapport aux prévisions optimistes du dernier budget proposé par MM. Hollande, Sapin et Eckert : près de 9 milliards d'euros de « trou », entre recettes fiscales manquantes, dépenses sous-estimées et recapitalisation d'entreprises publique en déroute (Areva).

Au point que Didier Migaud, le Premier président de la Cour des comptes, se permet de parler « d'insincérité » de la loi de finances, un terme rarement employé par l'institution.
En clair, au lieu de passer comme promis sous les 3% du PIB, le déficit public serait sans mesures de correction de 3,2% du PIB en fin d'année, contre 2,8% annoncés. 4 dixièmes de points de PIB, c'est beaucoup, pour un pays comme la France qui est le seul, avec l'Espagne, de la zone euro à vivre sous le coup d'une procédure pour déficit excessif.

Si les accusés Sapin et Eckert se sont défendus contre l'infâme qualificatif d'insincère, la nouvelle a fait le jeu du Premier ministre Edouard Philippe, ex-Les Républicains tendance Juppé, donc pas du genre à plaisanter avec le manque de sérieux budgétaire. Il a dénoncé le legs d'un « dérapage » par le gouvernement précédent et annoncé des « économies » supplémentaires pour redresser la trajectoire. Ce sera fait sans augmenter les impôts, a-t-il aussi assuré...

Le coup de l'héritage... et celui de l'arroseur arrosé

Le coup de l'héritage, tous les nouveaux gouvernements le font, c'est dans l'ordre des choses. La particularité de celui-ci, c'est qu'Emmanuel Macron, héritier de François Hollande, hérite aussi un peu de lui-même puisque même s'il n'était pas en charge du Budget, il était membre du gouvernement responsable de ce dérapage, jusqu'à sa démission à l'été 2016. Cela fait donc un peu "arroseur arrosé". Surtout, la question n'est plus désormais celle de l'héritage, mais celle de l'action qu'il compte mener pour le résorber. Or, on ne trouve pas 9 milliards d'euros sous le sabot d'un cheval, fût-il en marche. Rien que pour tenir en 2017 un déficit à 3% du PIB, il faut réaliser 4 à 5 milliards d'euros d'économies.

Pour ce faire, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, les ministres de droite en charge de Bercy peuvent compter sur la réserve de précaution qu'avaient judicieusement anticipé de faire Michel Sapin et Christian Eckert. Une combine budgétaire des plus classiques, consistant à geler certains crédits, comme cela semble prévu par exemple à la Défense, au grand dam des militaires désormais sous la coupe d'une ancienne ministre socialiste du Budget, Florence Parly, qui connaît son affaire... Geler des crédits, donc, au risque de compliquer la tâche des nouveaux ministres, dont la popularité auprès de leurs troupes dépend de leur capacité à résister à la mâchoire de Bercy.

Dans le cas présent, il y aurait donc, affirment Michel Sapin et Christian Eckert dans un courrier commun, une "cagnotte cachée" exceptionnelle de 13,9 milliards d'euros de crédits mis en réserve... C'est considérable : un tel montant de réserve n'a jamais été vu. Edouard Philippe pourrait donc puiser dedans pour tenir les engagements budgétaires de la France, sans avoir besoin de faire voter de loi de finances rectificative dans l'été. Et de fait, aucun collectif budgétaire n'a été annoncé, ce qui serait pourtant la moindre des choses vu l'ampleur du dérapage identifié par la Cour des comptes.

Comme Gulliver, empêtré dans les filets budgétaires

Mais l'essentiel est ailleurs. Au-delà des signaux de rigueur adressés depuis quelques jours par le Premier ministre mais aussi Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, le tout-Paris des conseillers du pouvoir bruisse de rumeurs d'une "opération-vérité" sur les promesses "intenables" du président de la République. S'étant engagé auprès de Bruxelles et de l'Allemagne d'Angela Merkel à ce que la France fasse ses devoirs et rétablisse sa crédibilité budgétaire avant que puisse s'engager toute relance de l'Europe, Emmanuel Macron est bien en peine de pouvoir respecter tous ses coûteux engagements de candidat.

Jupiter foudroyé par Flanby et empêtré tel Gulliver dans les filets budgétaires ? L'image est évidemment moins flamboyante que celle du monarque républicain qui convoque cinq jours avant le Congrès à Versailles, lundi, juste à la veille du discours de politique générale de son Premier ministre, pour bien montrer à tous que c'est bien lui le chef... Car si c'est le gouvernement qui va devoir endosser le mauvais rôle de père-la-rigueur à tous les étages, pour 2017 comme pour 2018, c'est bien le président de la République qui est mis au défi de démontrer que les engagements pris envers ses électeurs et les Français n'étaient pas en l'air.

Il faut donc s'attendre à de sérieuses révisions dans le programme et à des arbitrages déchirants : comment financer dans de telles conditions les 10 milliards d'euros que coûte l'exonération de taxe d'habitation pour 80% des Français ? Les 3 à 4 milliards d'euros de l'exonération de la partie « valeurs mobilières » de l'ISF ? Comment compenser la hausse d'impôts que va représenter pour les chômeurs, les indépendants, les fonctionnaires et certains retraités aisés du transfert prévu entre les charges salariales dans le privé et la CSG, qui sera relevé de 1,7 point sur tous les revenus ? Quid des mesures de compétitivité pour les entreprises (le Medef donne déjà de la voix...) ? Surtout, beaucoup de Français qui prendront de plein fouet la hausse de la CSG risquent de trouver bien saumâtre la facture, fiscale, du nouveau président, qui avait pris l'engagement de ne pas augmenter les impôts.

Et pour Emmanuel Macron, certes très habile dans la gestion de son image pour l'instant immaculée, il sera bientôt temps de redescendre de son Olympe afin de se confronter à la plus triviale des réalités. Pour détourner une expression qu'il affectionne tant, « il n'y a pas de finances (publiques) magiques » ! Et s'il a "des choses à dire" aux Français lundi à l'occasion du Congrès, et bien, nous serons tout ouïe !