La voie étroite de Bruno Le Maire

Par Philippe Mabille  |   |  1034  mots
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C'est donc mardi que l'Insee dévoilera le vrai chiffre du déficit public de 2023, celui qui alimente la tension depuis un mois sur le réel état de nos finances publiques. A en croire les données obtenues par le sénateur Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances de la haute assemblée, au terme de sa descente surprise à Bercy, il est « calamiteux », pour reprendre une vieille expression fort à propos : 5,6% en 2023 au lieu de 4,9%, 5,7% en 2024 au lieu de 4,4%, et même 5,9% en 2025, soit 2,2 points de plus que la prévision faite dans la programmation pluriannuelle. Soit une impasse budgétaire de 65 milliards d'euros, trois fois plus que les 20 milliards d'économies annoncées pour 2025. Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des Comptes, était presque prudent avec les 50 milliards d'euros évoqués dans son récent rapport.

Face à cette situation, très paradoxalement, la classe politique s'agite beaucoup plus que les marchés financiers. Le « spread », le fameux écart de taux à dix ans entre la France et l'Allemagne, pays de référence en matière de crédibilité financière en Europe, ne bouge pas. Il aurait même tendance à baisser, signe que la dette française reste attractive aux yeux des investisseurs du monde entier. Avec un taux d'endettement inférieur de 50 points de PIB à celui la France, l'Allemagne n'emprunte pratiquement plus sur les marchés. Du coup, les investisseurs se ruent sur la bonne dette française, considérée comme de la dette allemande avec une marge de 50 points de base.

Restaurer la crédibilité financière de la France

Pourquoi donc s'affoler si la France peut encore s'endetter à si bons comptes ? Après tout, quand vous devez beaucoup d'argent à votre banquier, c'est lui qui ne dort pas, dit le dicton. Peut être parce que la situation est en train de s'inverser. La dette de la France et de l'Allemagne sont peut-être fongibles dans un portefeuille de placement, mais les deux pays n'ont pas, encore, fusionné leurs budgets... Et le risque s'accroît de voir la dette de la France être dégradée en avril et en mai par les agences de notation Fitch, Moody's et Standard & Poor's.

Il faut donc agir pour restaurer la crédibilité financière de la France avant qu'il ne soit trop tard. Bien sûr, la France n'est pas dans la situation de la Grèce en 2009. A l'époque, la Grèce avait menti délibérément sur l'état de ses déficits, en réalité quatre fois plus élevés qu'annoncé. Elle avait truqué ses comptes avec l'aide de ses banquiers conseils, les impôts ne rentraient pas dans les caisses de l'Etat... La France n'en est heureusement pas là. On est loin du scénario de « la nuit de la faillite » imaginé en 2012 par Gaspard Koenig, qui raconte une attaque massive de méchants traders américains sur la dette française.

« Je ne sais pas ce que c'est qu'un superprofit »

Face au mur de la dette, Emmanuel Macron, qui n'a pas la rigueur budgétaire ancrée dans ses gènes, ce qui peut sembler curieux pour un inspecteur des finances, commence à prendre la mesure de la situation. Mercredi dernier, après une réunion de ministres et de responsables de la majorité, il a exclu de présenter un projet de loi de finances rectificative et appelé à un effort partagé entre l'Etat, les collectivités locales et la sphère sociale. Alors qu'une partie de la majorité commence à envisager une hausse des impôts sur les « superprofits » des entreprises, dont les résultats 2023 restent très élevés (146 milliards pour les sociétés du CAC 40), voire d'une contribution exceptionnelle de la part des plus aisés. La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, y est favorable mais pas le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, qui refuse de remettre en cause la politique  pro-business. En 2022, il avait même fait sourire les dirigeants du Medef en déclarant devant la Rencontre des entrepreneurs de France : « Je ne sais pas ce que c'est qu'un superprofit »...

Bruno Le Maire a pourtant bien des solutions en tête pour faire des économies et réduire la dette. Il les détaille dans un petit livre assez accessible intitulé « La voie française » publié cette semaine chez Flammarion. Dans ce nouvel ouvrage, dans un style assez différent de son précédent livre, il détaille les voies et moyens de parvenir au plein emploi en ramenant le chômage d'un plancher de 7% à 5%. Surtout, dans un chapitre sur le financement du modèle social français, il préconise (page 68 et suivantes) de transférer 5 points de cotisations sociales acquittées par les salariés, soit près de 60 milliards d'euros, sur une assiette plus large, par exemple la TVA ou la CSG.

Dans le premier cas, cette TVA sociale, déjà appliquée en Allemagne par Angela Merkel en 2007 après les réformes Schröder, aurait le mérite de taxer les importations. Mais le défaut de faire remonter l'inflation. Pas si simple en période de sortie de choc inflationniste. Dans le second cas, Bruno Le Maire l'assume, il s'agirait « de rééquilibrer la charge de la CSG entre les retraités et les actifs ». Exactement ce qu'Emmanuel Macron avait tenté de faire au début de son premier quinquennat, et qu'il avait défait à l'issue de la crise des gilets jaunes devant la révolte des petits retraités également pénalisés par la sous indexation de leurs pensions.

Pas sûr que le président de la République, qui se serait agacé de la sortie du livre de Bruno le Maire à deux mois des élections européennes du 9 juin, ait très envie de retenter l'aventure. Bref, à bien lire entre les lignes, cette « voie française » du ministre de l'Economie est un sacré brûlot politique et une voie étroite pour qui voudrait en faire un axe de conquête du pouvoir en 2027. Ce dont Bruno Le Maire se défend, bien entendu.