La promesse des baisses d'impôts du président Macron est-elle encore tenable ? Face à des finances publiques exsangues et une économie au ralenti, le camp présidentiel se fissure sur ce dossier hautement inflammable. Comme l'avait évoqué en août 2022 l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne quand elle dit ne pas fermer la porte à une taxation des superprofits, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet (Renaissance) a poussé les feux ce vendredi pour réclamer une réflexion sur une taxation exceptionnelle des grandes entreprises.
« Nous ne souhaitons pas que les impôts des Français augmentent. Cela étant dit, moi je suis partisane de regarder lorsqu'il y a des superdividendes, des superprofits, des rachats d'actions massifs par les entreprises », a-t-elle déclaré sur l'antenne de France Bleu.
La présidente du Palais Bourbon doit se rendre dimanche au Congrès du Modem à Blois. Dans ce groupe parlementaire, le chef des députés Jean-Paul Mattei réclame depuis 2022 une hausse de la fiscalité sur le capital. Balayée d'un revers de main par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, cette proposition risque de revenir en force face à la montagne d'investissements à réaliser dans la transition écologique, le numérique et la Défense.
Le ministre de l'Economie a d'ailleurs affirmé au micro de BFMTV que le budget 2025 prolongerait « le mécanisme de récupération des rentes qui ont pu être faites par les énergéticiens parce que les prix ont flambé », « mais pas plus que ça».
Mi-mars, la Cour des comptes a pointé le faible rendement de cette taxe et jugé celle-ci pas « équitable » pour le consommateur. Sur 2022 et 2023, le rendement était de 4,2 milliards d'euros, alors que les énergéticiens ont affiché des résultats mirobolants. Compte tenu du ralentissement de l'activité, le rendement de cette fiscalité devrait mécaniquement baisser.
En déplacement à Bruxelles ce vendredi, Emmanuel Macron renvoyé à « la stratégie » que le gouvernement doit annoncer « la semaine prochaine ».
« Je ne vais pas préempter les solutions techniques », a éludé le chef de l'Etat. Il a également appelé à compléter « l'effort budgétaire ».
Dans les colonnes de La Tribune, le patron du Medef a mis en garde sur une possible hausse de la fiscalité sur les entreprises.
« Les entreprises ne doivent pas être prises pour cible. Cela pèserait sur la croissance. Nous ne réussirons pas à atteindre le plein-emploi - objectif que nous partageons avec le gouvernement - si nous sommes dans une trajectoire économique molle. »
Un déficit public dans le rouge
Le gouvernement doit affronter une violente tempête budgétaire. Accusé d'avoir prévu une croissance trop optimiste en 2023 et en 2024, le gouvernement a revu à la baisse sa projection de PIB à 1%, contre 1,4% pour cette année. Résultat, le déficit public pourrait avoisiner les 5,6% du produit intérieur brut en 2023, contre 4,9% initialement prévu. Le 26 mars prochain, l'Insee doit dévoiler une mise à jour des comptes nationaux. Une perspective très redoutée par la Macronie.
Sous le feu des critiques, les ministres de Bercy ont déjà annoncé 30 milliards de coupes dans les dépenses publiques étalées sur deux ans. Les 10 premiers milliards d'euros actés par décret doivent d'abord concerner les dépenses de l'Etat. Les 20 milliards d'euros suivants, eux, devraient cibler les collectivités locales et la protection sociale.
Sur l'ensemble du quinquennat, la Cour des comptes a préconisé de tailler 50 milliards d'euros dans la dépense publique. Mais il semble que ces coupes ne devraient pas suffire pour compenser des recettes fiscales au plus bas.
Les recettes fiscales en chute libre
L'année dernière, l'Etat a enregistré des recettes bien inférieures à ce qui était prévu dans le projet de loi de finances 2023. Lors de leur audition devant la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Bruno Le Maire (Economie) et Thomas Cazenave (Comptes Publics) ont détaillé le trou de 7,7 milliards d'euros dans les recettes de l'Etat.
Les moindres rentrées fiscales de l'impôt sur les sociétés (-4,4 milliards d'euros) et celles de la TVA (-1,4 milliard d'euros) ont creusé plus que prévu le déficit des finances publiques en 2023. Le ralentissement brutal de la croissance en 2023 a clairement plombé les rentrées fiscales et sociales de l'Hexagone. Et les perspectives ne sont guère réjouissantes.
« La prévision de croissance de la France a été révisée à la baisse en raison de chiffres décevants pour la fin de l'année 2023 et un environnement international plus dégradé que prévu comme en Allemagne. Cela a eu un effet sur la croissance française », a rappelé la cheffe économiste du Trésor Dorothée Rouzet ce vendredi.
Outre le coup de frein de l'activité, les diminutions d'impôts entamées depuis 2017 (IS, transformation de l'ISF en IFI, impôt de production, suppression de la taxe d'habitation portant sur la résidence principale, fin de la redevance audiovisuelle) ont pu fragiliser en pleine pandémie les recettes fiscales de l'Etat et celles des administrations des collectivités locales et de la sécurité sociale.
« Le problème est que ces baisses d'impôts n'ont pas été financées par des baisses de dépenses équivalentes », a rappelé le directeur des études chez Rexecode, Olivier Redoulès.
En manque de recettes, le gouvernement veut embrayer sur une nouvelle réforme de l'assurance chômage. Vent debout, les syndicats - et une partie du patronat - veulent garder la main sur les comptes de l'Unedic et la gestion de l'assurance-chômage. Mais le ministre de l'Economie s'est montré favorable à une reprise en main « définitive » de ce système assurantiel par l'Etat.
Taxation des rachats d'actions, la promesse aux oubliettes
En pleine réforme des retraites, le chef de l'Etat avait proposé de s'attaquer aux rachats d'actions lors d'un entretien télévisé à l'heure du déjeuner. Emmanuel Macron avait alors dénoncé « le cynisme » de « grandes entreprises », qui profitent « de leurs revenus tellement exceptionnels qu'ils en arrivent à utiliser cet argent pour racheter leurs propres actions ». A la mode aux Etats-Unis, le phénomène des rachats d'actions a pris de l'ampleur en Europe et en France.
Selon la lettre spécialisée Vernimmen.net, les rachats d'actions ont atteint 30 milliards d'euros en 2023, augmentant de 30% par rapport à 2022. Au moment du marathon parlementaire pour le budget 2024, cette idée d'un prélèvement avait refait surface. Au final, le gouvernement s'est contenté de retenir l'idée assez vague d'obliger les entreprises rachetant leurs actions à rouvrir des accords d'intéressement avec les salariés, au nom du partage de la valeur.
Face à la situation préoccupante des finances publiques, « il faut faire une revue des dépenses et de la fiscalité », explique Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.
« Depuis le début de la crise sanitaire, l'épargne n'a jamais été aussi importante et les revenus du patrimoine ont augmenté. Il y a une vraie déconnexion entre les revenus du capital et les revenus du travail », ajoute-t-il.
Une des pistes « serait de mettre en place un impôt exceptionnel de crise ». « Il s'agit de mettre dans le débat toutes les baisses d'impôt et proposer des hausses en fonction des capacités de certains secteurs », plaide l'économiste.
Macron attendu au tournant
En déplacement au Brésil la semaine prochaine, le président de la République doit rencontrer son homologue Lula. Sous présidence brésilienne, le G20 doit débattre d'une fiscalité mondiale sur les milliardaires en juillet prochain. Lors d'un déplacement en février dernier, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait promu cette idée lors d'une réunion des pays du G20 finances.
« Nous sommes pleinement engagés à accélérer le processus de mise en place au niveau international, au niveau de l'OCDE, au niveau du G20, et je l'espère au niveau des pays européens, d'une taxation minimale des individus afin de combattre toute forme d'optimisation fiscale des personnes à travers le monde », a déclaré le locataire de Bercy.
Aux Etats-Unis, le programme du président Biden pour les élections de novembre prochain propose une hausse de la fiscalité sur les plus grandes fortunes. Reste à savoir si le gouvernement de Gabriel Attal va se positionner plus clairement sur cette fiscalité dans l'Hexagone.