Le président d'un monde qui change

Par Philippe Mabille  |   |  822  mots
Alain Juppé et François Fillon
La droite a sélectionné deux offres politiques assez différentes. Pas tant sur le programme économique, que sur la vision de la société. Laquelle l'emportera?

Si l'élection avait eu lieu dimanche dernier, François Fillon aurait-il été élu président de la République ? Avec son score quasi plébiscitaire, le candidat que l'on n'attendait pas a-t-il tué la primaire et assuré sa qualification pour 2017 ? Ou bien au contraire le ralliement en sa faveur de Nicolas Sarkozy est-il le baiser de la mort, qui convaincra la gauche de retourner voter dimanche, pour Alain Juppé ? Sur le papier, François Fillon est bien parti pour l'emporter. Mais les électeurs ont prouvé, ces derniers temps, en France comme ailleurs, qu'ils n'aiment pas que les jeux soient faits d'avance. Le suspense demeure donc entier, pour savoir, qui, du libéral conservateur de la Sarthe, ou du sage de Bordeaux, va l'emporter.

Un choix entre deux hommes de droite de qualité

Une chose est sûre, et cela fait une vraie différence avec la primaire américaine, l'offre politique qui se présente, certes inattendue, propose un choix entre deux hommes de droite de qualité. Deux anciens Premiers ministres, qui connaissent les arcanes du pouvoir, qui ont l'expérience pour diriger un pays comme la France. Même si l'effet de surprise de la remontée spectaculaire de Francois Fillon a pu conduire à faire le parallèle avec l'élection de Donald Trump, la comparaison s'arrête là.

François Fillon, qui a gouverné la France pendant cinq ans auprès de Nicolas Sarkozy, n'a rien à voir avec un Donald Trump, ni par son parcours ni par ses attitudes ou son comportement. En revanche, le message adressé par les électeurs qui l'ont propulsé en tête est au moins aussi troublant que celui des électeurs américains. C'est une France très conservatrice, catholique et traditionaliste qui a fait gagner François Fillon, avec des alliances inspirées des mouvements contre le mariage pour tous.

 La France a basculé à droite

Le score de François Fillon montre que la France a basculé à droite, plus encore qu'on ne le pense. Ce n'est bien évidemment pas une bonne nouvelle pour François Hollande, qui espérait affronter une nouvelle fois Nicolas Sarkozy. Mais si François Fillon l'emporte, ce n'est pas une si mauvaise nouvelle pour la gauche, qui pourra s'appuyer sur les arguments de l'affrontement à venir avec Alain Juppé pour roder ses arguments de campagne... Ce basculement de l'électorat n'est pas non plus une bonne affaire pour le Front national de Marine Le Pen au point que l'on peut se demander s'il est aussi sûr qu'on le dit qu'elle sera qualifiée quoi qu'il arrive pour le second tour en 2017.

La droite a donc sélectionné deux offres politiques assez différentes. Pas tant sur le programme économique, assez semblable même s'il y a des nuances. Mais sur la vision de la société. Alain Juppé, allié avec François Bayrou, se présente en héritier du gaullisme et veut rassembler les Français plutôt que de les diviser, y compris sur la question de l'identité. Il est bien décidé à attaquer François Fillon sur son programme, qu'il juge « d'une brutalité excessive » et sur son positionnement, qui lui fait craindre un retour en arrière sur plusieurs sujets sur lesquels François Fillon se montre ambigu, comme le droit à l'avortement et la filiation pour les homosexuels.

Plus critique sur la mondialisation

François Fillon, dont il ne faut pas oublier qu'il est aussi l'héritier d'une autre branche du gaullisme, celle incarnée par Philippe Séguin, plus critique sur la mondialisation et l'ouverture des frontières, fait un diagnostic plus sombre qu'Alain Juppé sur l'état de la France. Il propose une purge budgétaire radicale avec une réduction massive du nombre des agents de l'Etat (500.000 postes contractuels inclus, en augmentant le temps de travail). En fait, Fillon n'a pas changé de diagnostic, celui qui l'avait conduit en septembre 2007, à parler d'une « France en faillite ».

Pour les électeurs qui vont se déplacer dimanche, ce sera un choix décisif, car vu l'état actuel de division à gauche, il est bien possible que le second tour de la primaire de droite soit aussi l'élection du prochain président de la République. Le président d'un monde qui change à toute vitesse, entre transition numérique et écologique, et qui bascule, entre Brexit et « trumpisme » dans un nouveau cycle (temporaire ou durable ?), dans lequel la notion de frontière et la protection contre les inégalités engendrées par la mondialisation, redeviennent des enjeux majeurs. Ce n'est pas tous les jours qu'une démocratie a devant elle une telle occasion de s'exprimer. Entre Alain Juppé et François Fillon, ce n'est pas tout à fait bonnet blanc et blanc bonnet. Reste à savoir si les électeurs s'en rendront compte et se mobiliseront, pour faire de cet exercice, une première pour la droite, un exemple de démocratie participative à l'échelle de la nation.