Plus transparent que lui, tu meurs !

Par Philippe Mabille  |   |  1128  mots
François Fillon tente de reconquérir l'opinion en jouant la carte de la transparence et en reconnaissant une "faute morale". Une contre-attaque médiatique dont la réussite repose sur une règle de base de la communication : a-t-il vraiment dit toute la vérité ?

Anne Méaux a bien travaillé. La conseillère du vainqueur des primaires de la droite et du centre, patronne de l'agence de communication Image 7, a appliqué les préceptes de la non moins célèbre Olivia Pope, ce personnage de fiction qui, dans la série américaine Scandal, délivre à longueur d'épisode les recettes d'une riposte médiatique réussie.

1/ Dire la vérité quitte à se montrer à nu, ou en tout cas, le laisser accroire. C'est ce qu'a fait François Fillon en entrant dans le détail des rémunérations de son épouse Penelope comme assistante parlementaire ou de ses enfants, de ses comptes en banque multiples, de la valeur de son patrimoine ("je ne suis pas assujetti à l'ISF", a-t-il souligné) et en annonçant la publication sur son site de campagne des documents transmis à la justice.

2/ Reconnaître ses erreurs et présenter ses excuses. Cela a été le deuxième acte de la contre-offensive du candidat qui a admis ne pas avoir compris que la pratique, certes légale, consistant pour un parlementaire à employer des membres de sa famille ou de son entourage proche, n'était plus accepté par les Français. "Le premier courage en politique c'est de reconnaître ses erreurs. Ce qui était acceptable hier, à défaut d'être accepté, ne l'est plus aujourd'hui. C'était une erreur, je le regrette profondément et je présente mes excuses aux Français."

3/ Contre-attaquer. François Fillon a dénoncé une tentative « d'assassinat politique », ourdi en pleine campagne pour imposer un duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, qui ont été les principaux bénéficiaires, si l'on en croit les sondages, de ses déboires médiatiques et judiciaires. En clair, François Fillon a pris les Français à témoin d'une élection volée, s'appuyant sur les 4 millions d'entre eux qui ont voté à la primaire, dont 2,8 millions pour lui. Et de se poser en victime : « Jamais sous la Cinquième République », selon lui, un candidat a eu à faire face à une telle curée. Ce qui est un peu exagéré, songeons aux diamants de Bokassa, aux accusations portées contre Nicolas Sarkozy sur le financement de sa campagne de 2012. Pour Fillon, le crime est signé : "Le crime profite à ceux qui ne veulent pas du programme de rupture qui est le mien » en estimant que les principaux bénéficiaires étaient ceux qui voulaient voir un second tour entre la présidente du Front national, Marine Le Pen, et le fondateur du mouvement "En marche!", Emmanuel Macron.

4/ Et reprendre la maîtrise du calendrier. Pugnace, pour ne pas dire « droit dans ses bottes » pour reprendre une formule de son concurrent malheureux à la primaire, Alain Juppé, François Fillon a annoncé son intention de relancer immédiatement sa campagne, avec une réunion immédiate dès ce lundi de son comité de campagne pour faire bloc et resserrer les rangs qui s'étaient désunis ces derniers jours. Citant l'un de ses soutiens, Fillon a tordu le cou à tout plan B, « B comme Berezina », « parce qu'il n'y a pas d'autre solution, parce que si la droite et le centre veulent être au second tour de l'élection présidentielle, trois mois avant l'élection, il faut maintenant faire bloc et c'est ce que la grande majorité des élus de ma famille politique ont compris. »

Le plan de com' de la machine Fillon peut-il réussir ?

Comme le dit Olivia Pope à ses clients dans la série « Scandal », le premier secret d'une riposte médiatique, c'est que toute la vérité soit dite. Problème, François Fillon s'est avancé un peu imprudemment hier en assurant que la journaliste du Sunday Telegraph aurait dit avoir été « choquée » par l'utilisation faite par l'émission Envoyé Spécial de son entretien de 2007 avec son épouse (entretien dans lequel elle assure n'avoir jamais été « l'assistante » de son mari). Le propos a été démenti dans l'heure sur Twitter par la journaliste Kim Willsher. "Non, je n'ai pas été choquée », assure-t-elle. « Les propos d'Envoyé Spécial n'ont pas été sortis de leur contexte ».

Deuxième limite de la contre-attaque du camp Fillon. Elle reste exposée à toute éventuelle nouvelle révélation, qui viendrait contredire les affirmations faites par le candidat. Toute la défense de François Fillon repose sur le fait que les sommes perçues par sa famille étaient légales et ont été déclarées ; et que l'on ne peut pas, en régime de séparation des pouvoirs, porter un jugement sur la nature du travail réalisé par un assistant parlementaire, même si il est normal d'apporter la preuve que ce travail est réel et non pas fictif. François Fillon a néanmoins reconnu, ce qui est habile, que si faute il y a eu, elle est de nature « morale », d'où les « excuses » présentées aux Français dans ce qui ressemblait plus à un confessionnal qu'à une conférence de presse.

François Fillon a démontré au travers de cette affaire qu'il a de la résistance et de l'estomac, ce qui est normal pour un adepte de courses automobiles. À moins d'un nouveau rebondissement, la droite aura le plus grand mal à lui trouver un remplaçant sans se déchirer publiquement. La justice, qui a agi avec une surprenante célérité, ce qui ne peut s'expliquer que par la date très proche de l'élection, va devoir se prononcer très vite sur une éventuelle mise en examen ou un classement du dossier. Personne ne sait en revanche si les électeurs qui ont douté et doutent encore du candidat vont lui redonner une chance. Pour le moment, c'est mal parti, mais François Fillon a montré sa capacité à remonter une course en apparence perdue d'avance.

L'affaire a en revanche mis en lumière des pratiques népotiques qui ne survivront probablement pas à cette campagne présidentielle. Ainsi va la démocratie en France : de l'affaire Urba à Cahuzac en passant par les fonds secrets des ministres, supprimés par Lionel Jospin, le système politique corrige ses imperfections seulement quand un scandale éclate. Pas moins de cinq lois ont été adoptées, en 1990, 1993, 1994, 2002 et 2013, pour rendre plus transparente la vie démocratique. Ce qui est le plus étonnant, c'est que si chacune de ses lois a traité tel ou tel point particulier, jamais aucun audit sérieux et complet des pratiques contestables de la République n'a été réalisé pour fixer une fois pour toutes des règles et des usages qui empêcheraient la démocratie d'être soumise à la tentation populiste du « tous pourris » qui fait toujours le jeu des extrêmes.