2045 : l'année où l'Homme s'est débarrassé de la mort

Par Florence Pïnaud  |   |  1090  mots
"Les recherches médicales veulent retarder, voire supprimer, les symptômes de sénescence corporelle."
#30ansLaTribune - La Tribune fête ses 30 ans. A cette occasion, sa rédaction imagine les 30 événements qui feront l'actualité jusqu'en 2045. Le 6 novembre de cette même année, Sens+ lance un service « cure de jeunesse » avec la régénération simultanée de différentes fonctions vitales. Un service dont ne devrait pas avoir besoin le premier bébé immortel qui vient de naître en Chine.

L'annonce a fait l'effet d'une bombe, la Chine vient de concevoir le premier bébé « immortel », totalement immunisé contre le vieillissement. Né à Beijing, l'enfant pourrait se développer jusqu'à sa taille adulte, sans vieillir par la suite. Les chercheurs du Beijing Genomics Institute (BGI) sont formels, si les gènes responsables de la dégradation de nos cellules ont été supprimés de l'ADN de ce bébé, l'équipe lui a inséré d'autres gènes synthétiques pour éviter les blocages de croissance. Les deux précédentes expériences chinoises de ce type avaient révélé des effets pervers : aucun des enfants édités n'avait dépassé l'âge de cinq ans.

Depuis l'aboutissement du projet de recherche Sens (Strategics for Engineered Negligible Senescence), nous savons exactement comment nos cellules se dégradent dans le cadre de notre obsolescence programmée. Lancé en 2002 par le bio-gérontologue britannique Aubrey de Grey, ce projet et ses découvertes ont provoqué une véritable révolution santé.

Aujourd'hui, les principales recherches médicales ne veulent plus tant soigner des maladies, mais retarder, voire supprimer les symptômes de sénescence corporelle. Vaincre la mort donc !

La fin des maladies chroniques

Comme souvent, la nouvelle annonce de Beijing a provoqué l'indignation. Si la majorité des instances éthiques ont admis que l'on pouvait améliorer la longévité par édition génétique et traitements cellulaires, la suppression totale des gènes MCN51 et RJK78 sur embryon est interdite par la Convention de Calcutta (50 Etats signataires en 2029). Mais la Chine n'a pas adopté le texte et ne s'interdit pas ce type d'expérimentations. Une liberté qui suscite beaucoup d'intérêt chez les candidats à l'éternité : déjà 5 000 des familles les plus riches du monde ont obtenu la nationalité chinoise pour bénéficier des prochaines découvertes du BGI sur l'accroissement de la longévité.

Depuis 25 ans, les interventions sur l'espérance de vie humaine n'ont pas manqué. Très motivés par le fait de repousser l'âge de leur mort, la majorité des Occidentaux ont approuvé la Consultation de Moscou. Une consultation sur la liberté de recherche dans le cadre de projets privés, lancée par l'homme d'affaires russe Dimitri Itskov, avec le soutien du célèbre transhumaniste Ray Kurzweil, ancien chercheur américain d'Alphabet (ex-Google). Si elle n'a pas valeur de loi, cette consultation influence aujourd'hui les arbitrages sur chaque nouveau projet. Les arguments sont simples : après avoir été décriées par les mouvements bioconservateurs, l'édition génétique et la thérapie cellulaire ont permis d'éliminer une grande partie des maladies chroniques du début du siècle. Et aujourd'hui, plus des deux tiers des sollicitations médicales concernent des pathologies infectieuses, facilement traitées par les antibiotiques ciblés, dont le Français Xavier Duportet avait été l'un des pionniers.

Réparer les corps et rajeunir les cellules

Dans la course folle à l'immortalité, l'autre annonce est celle du Britannique Sens+. Fondé en 2019 sur le marché de la régénération cellulaire, le géant biotechnologique s'est développé autour des découvertes du projet d'Aubrey de Grey. Aujourd'hui, il lance un service de « régénération globale » des principales fonctions de l'organisme, dans le cadre de ce que le groupe présente comme une « cure de jeunesse cellulaire » (poumons, estomac, foie, rein, artères). Jusque là expérimentée auprès de ses principaux financeurs et des adhérents de la Singularity University (fondée par Ray Kurzweil), cette restauration améliorerait les fonctions vitales des personnes de plus de 70 ans.

A l'âge où les bien-portants développent les premiers signes du vieillissement, elle semble améliorer nettement l'état de santé, comme l'a constaté le conseil international de performance scientifique en lui accordant sa validation. Le service Sens+ s'inscrit dans le développement des techniques de régénérations d'organes par micro injection de cellules souches IPS. Cette réparation s'est fortement développée depuis que la communauté scientifique a confirmé l'innocuité des cellules souches IPS, cellules adultes rajeunies en cellules embryonnaires par un procédé japonais.

Aujourd'hui, suivant les fragilités rencontrées, on fait régénérer son foie, son pancréas, ses reins et même son coeur, spécialité du géant français Cell Prothera. Mais si l'annonce de Sens+ ressemble à un bain de jouvence, ce forfait global ne garantit pas encore un allongement du quotient longévité et ne concerne pas le cerveau dont la réparation cellulaire n'est pas encore totalement maîtrisée.

La vie éternelle, un service haut de gamme

Selon Sens+, le service global sera facturé autour de 2 millions d'euros, ce qui le réserve de fait aux 1 % plus riches de l'humanité. A ceux qui lui rappelle que les remboursements forfaitaires de l'assurance santé européenne ne dépassent plus 5 000 euros par traitement et 10 000 euros par an - afin d'éviter tout déficit - le CEO de Sens+ précise que toutes ses recherches ont été financées par le secteur privé et que ses prix ne sont pas soumis à la règlementation de calibrage des tarifs médicaux. Et parmi les assureurs santé, trois services très haut de gamme réfléchissent actuellement à une prise en charge partielle pour leurs adhérents. Si les tarifs de régénération ont fortement chuté ces dix dernières années, un foie neuf coûte encore plus de 25 000 euros et l'immortalité n'est pas prête à devenir un véritable droit de l'homme.

Néanmoins, l'association transhumaniste européenne Heales se félicite de cette baisse des tarifs. Depuis le début du siècle, elle incite les gouvernements d'Europe à investir dans cette lutte anti-vieillissement, afin de réduire les inégalités d'accès aux traitements. Au-delà de ce problème, l'allongement du quotient longévité réveille des craintes démographiques. Des craintes qui conduiront peut-être à un retour de la régulation des naissances, comme l'annoncent certains Etats européens.

Reste que pour les candidats à l'éternité, l'amélioration du quotient longévité ne suffit pas. Ils disposent encore de la piste « cryogénie », qui laisse pour l'instant craindre une incapacité à relancer l'organisme à la décongélation. Mais aussi de celle de « l'uploading » encore loin d'être au point. Le téléchargement des connexions cérébrales sur des ordinateurs, pour faire passer sa conscience dans le PC, n'a pas encore donné de résultats probants.