Evénements sportifs : une vraie guerre économique

Par Par Jean-Christophe Gallien Professeur associé à l'université de Paris I-la Sorbonne  |   |  721  mots
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Ce qui se passe dans la formule 1, qui déserte les circuits européens, est révélateur d'un mouvement : les grands événements sportifs ont de plus en plus lieu hors d'Europe. Au-delà du sport, l'enjeu économique, mais aussi réputationnel et diplomatique, est majeur.

Les déclarations de Bernie Ecclestone, condamnant l'Europe de la formule 1 à un effacement progressif au profit de nouvelles terres de conquête, confirment une tendance lourde. L'Europe disparaît progressivement des cartes et des agendas des événements sportifs de niveau mondial. Certes, les prochains Jeux olympiques (JO) d'été auront lieu à Londres et il nous reste notamment les principaux championnats de football, les grands tours cyclistes et les courses au large.

Mais l'amorce d'un déplacement durable des grandes compétitions sportives internationales vers les nouveaux territoires gagnants de la mondialisation économique se poursuit. La France peine, elle aussi. Son échec récent sur la candidature pour l'organisation des JO d'hiver souligne ce mouvement de fond. Le monde change, les pays émergents, leurs médias et leurs puissances nouvelles mais aussi les appétits commerciaux des marques mondiales transforment progressivement la géographie et l'agenda mondial du sport. Nous devrions regarder ces déplacements au moins aussi précisément que nous tentons de corriger les difficultés de victoires industrielles et commerciales cette fois sur les marchés internationaux des infrastructures et des services en matière de rail, de nucléaire, de défense pour ne citer que ces derniers. Il s'agit d'enjeux qui possèdent en commun la capacité de créer de la richesse directe et indirecte, du capital matériel et immatériel, et de conforter notre pays dans son potentiel de puissance et de diplomatie douces.

Le classement du magazine « Monocle », qui faisait de nous le champion de l'influence de l'opinion publique mondiale l'année passée, nous place en troisième position cette année, derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne mais devant l'Allemagne. Notre diplomatie éducationnelle et culturelle est reconnue et redoutée. Notre création et nos industries culturelles s'imposent sur les différents marchés planétaires. L'influence de la France, c'est aussi la richesse et l'attractivité de son patrimoine, la variété, l'authenticité et la qualité de sa nature. La gastronomie, sa tradition célébrée récemment par l'Unesco et ses produits, la mode, ses créateurs et ses marques, créent un mix encore plus performant qui s'exporte et attire.

Mais dans le « mainstream » planétaire, la place grandissante conquise par les enjeux sportifs doit nous interpeller. Elle l'est en particulier pour les populations majeures des pays émergents : la jeunesse qui n'a pas le même imaginaire ni la même mémoire que ses parents et qui demain va constituer à la fois les élites et le marché de ces pays.

En ces temps de crises financière et économique, l'Europe attaquée par ses concurrents et les marchés peine à s'inscrire dans une dynamique de conquête sur le terrain des événements sportifs. Asie, Moyen-Orient, Russie, Brésil, ce qui apparaissait comme une diversification, un rééquilibrage, tourne à une forme nouvelle de délocalisation.

Comme si nous étions collectivement, et la France en tête, devenus incapables de nous imposer. Il y a là évidemment un enjeu économique mais aussi « réputationnel » et diplomatique.

Il nous reste à innover, à inventer de nouvelles compétitions. Tour de France, Coupe européenne de football, Vendée Globe, formule 1... sont nés ici. Nos territoires et leurs gouvernements locaux doivent prendre le leadership de cette nouvelle aventure. Nos entreprises doivent s'associer et s'engager durablement dans cette reconquête de l'agenda sportif. Le « sports branding » est devenu, tant pour les territoires que pour les entreprises, un enjeu économique et réputationnel sans peu d'équivalent.

La relation entre le sport et les territoires illustre sans concession les changements d'échelle de notre temps. Frictions entre mondialisation et identité locale, tensions entre individuel et collectif, tout business et aspiration pour des modèles plus respectueux de l'homme et de son environnement... Autant d'éléments qui impactent et illustrent la volonté du territoire et l'expression de son destin. Dans un contexte local et global en mutation, la « marque France » a besoin d'une stratégie d'influence et de conquête en matière sportive. La nouvelle guerre des territoires ne nous en laisse pas le choix. C'est ce positionnement, cette affirmation du mythe français dans un monde en équilibre instable, qui les transformera en autant d'atouts contemporains, en autant de leviers de croissance. Leviers dont nous avons bien besoin !